samedi 23 avril 2016

Du "Hijab Day" à Alain de Benoist, la révolution tranquille de Science-Po ?



La venue d’Alain de Benoist pour une conférence donnée au 27 rue Saint-Guillaume aura constitué un drôle d’épilogue au « Hijab Day » organisé le mercredi 20 octobre par une association étudiante de Sciences-Po. Précisons d’ailleurs à ce propos que la bataille du hijab n’aura pas eu lieu, faute de combattant(e)s. Le matin même, les pages Facebook étaient chauffées à blanc, promettant la lutte vestimentaire finale entre hijabistes, minijupistes ou nimportequoiistes mais l’affrontement a fait long feu, comme on pouvait s’y attendre, et aux dires des témoins de la déroute, c’est à peine si l’on pouvait apercevoir quelques foulards esseulés portés par les vagues successives de sortie de cours durant la matinée. Quant aux minijupes, pas plus, pas moins que d’habitude : RAS mon général.
Ce micro-battage médiatique a peut-être favorisé la venue en toute discrétion du fondateur et directeur de la revue Krisis dans le supposé temple de la « pensée unique » où, depuis quelques temps, le monde des associations étudiantes semble en pleine ébullition. En l’occurrence, c’est le SPIV, « l’association des bicus » - comprendre des « bicursus Sciences-Po-Université Paris IV » - , qui a organisé cette conférence dans une petite salle de la rue Saint-Guillaume, à peine capable de contenir les cinquante personnes qui s’y entassent pour écouter Alain de Benoist disserter pendant un peu plus d’une heure sur le thème « Modernité, libéralisme et pensée unique. » « Vaste sujet, commente le principal intéressé avant le début de la conférence, mais on verra bien. »
Après d’une heure d’intervention balayant le large champ historique de la modernité et de la post-modernité, des Lumières jusqu’à nos jours, les questions de l’assistance sont pour le moins nombreuses, quelquefois critiques, comme celle d’une étudiante entendant défendre les positions critiquées du « féminisme égalitariste », à d’autre moment plus ambitieuses encore, comme cet étudiant demandant au conférencier comment « restaurer le sacré ». A l’une, Alain de Benoist répondra qu’il ne s’agit pas de défendre l’égalité en niant absolument les différences entre les sexes et au deuxième qu’il n’a pas de « recette magique » à proposer pour faire aboutir une telle entreprise. A d’autres, curieux de savoir s’il adhère à la thèse du « grand remplacement », il répond qu’il préfère parler de métissage à grande échelle et de « grande transformation », avant de souligner, interrogé sur le sujet par un autre étudiant, que la question sociale lui semble en effet être essentielle, puisque située à la racine du phénomène de radicalisation islamique ou de « salafisation » des banlieues.
Quelques médias n’ont pas manqué de réagir à la venue d’Alain de Benoist à Sciences-Po, tel Le Monde, qui titrait le lendemain, sous la plume d’Ariane Chemin : « Alain de Benoist, intellectuel d’extrême-droite accueilli à bras ouverts à Sciences-Po. »[1] « A bras ouvert » ne semble pas être une expression tout à fait appropriée, les organisateurs de la conférence ayant eu toutes les peines du monde à obtenir la petite salle où se tenait la discussion, mais l’on pourra admettre que l’événement avait de quoi surprendre, au-delà même des très respectables colonnes du Monde




Ceci peut-être rendait d’autant plus frappante l’hétérogénéité de l’auditoire présent dans la petite salle de la rue Saint-Guillaume. Parmi les nombreuses mains qui se sont levées au cours de la discussion suivant la conférence, on comptait aussi bien celle de l’étudiante se présentant comme une féministe égalitaire, que l’intervention d’un jeune journaliste annonçant, avec une pointe de méfiance, travailler pour le journal Présent ou encore celle d’un représentant du Front de Gauche Sciences-Po. Le ton courtois sur lequel étaient formulées les questions, et ce quel que soit le point de vue exprimé, rappelait que nous étions à Sciences-Po, mais l’on tendrait presque à oublier qu’en octobre dernier, les très fameux antifas de Sciences-Po avaient abondamment tagué la façade de l’immeuble pour accueillir l’arrivée d’une représentation du Front National parmi les associations étudiantes. Pas d’antifas à l’horizon cette fois-ci. Le « Hijab Day », tempête dans un verre d’eau, semblait lui aussi déjà bien loin. A quelques kilomètres de là, les sympathisants de la « Nuit Debout » se rassemblaient place de la République devant un orchestre amateur de 350 musiciens jouant La Symphonie du Nouveau Monde d’Anton Dvorak. Avec une ironie mêlée de sympathie, Alain de Benoist évoquait pour finir le mouvement contre la loi travail, ses aspirations tout autant que ses contradictions. Dans la salle, le public, toujours attentif, achevait de prendre quelques notes avant de marquer par une longue salve d’applaudissements la fin d’une intervention qui aura duré près de deux heures. Si l’on a pas rejoué une autre symphonie du nouveau monde ce soir-là rue Saint-Guillaume, la venue d’Alain de Benoist montre qu’une petite révolution s’est jouée depuis quelques mois dans les murs de la prestigieuse institution, censée former et préparer les élites de demain. L’apprentissage du pluralisme idéologique semble s’inviter à petit pas dans le cursus intellectuel de ces dernières ce qui, dans une société française étouffée depuis bien longtemps par le binarisme idéologique, n’est pas une si mauvaise chose, n’en déplaise, évidemment, aux journalistes du Monde...

Article publié également sur le FigaroVox


[1] Ariane Chemin. « Alain de Benoist, intellectuel d’extrême-droite accueilli à bras ouverts à Sciences-Po. » lemonde.fr. 21/04/2016

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