La venue d’Alain de
Benoist pour une conférence donnée au 27 rue Saint-Guillaume aura constitué un
drôle d’épilogue au « Hijab Day » organisé le mercredi 20 octobre par
une association étudiante de Sciences-Po. Précisons d’ailleurs à ce propos que
la bataille du hijab n’aura pas eu lieu, faute de combattant(e)s. Le matin
même, les pages Facebook étaient chauffées à blanc, promettant la lutte
vestimentaire finale entre hijabistes, minijupistes ou nimportequoiistes mais
l’affrontement a fait long feu, comme on pouvait s’y attendre, et aux dires des
témoins de la déroute, c’est à peine si l’on pouvait apercevoir quelques
foulards esseulés portés par les vagues successives de sortie de cours durant
la matinée. Quant aux minijupes, pas plus, pas moins que d’habitude : RAS
mon général.
Ce
micro-battage médiatique a peut-être favorisé la venue en toute discrétion du
fondateur et directeur de la revue Krisis
dans le supposé temple de la « pensée unique » où, depuis quelques
temps, le monde des associations étudiantes semble en pleine ébullition. En
l’occurrence, c’est le SPIV, « l’association des bicus » - comprendre
des « bicursus Sciences-Po-Université Paris IV » - , qui a organisé
cette conférence dans une petite salle de la rue Saint-Guillaume, à peine
capable de contenir les cinquante personnes qui s’y entassent pour écouter
Alain de Benoist disserter pendant un peu plus d’une heure sur le thème
« Modernité, libéralisme et pensée unique. » « Vaste sujet,
commente le principal intéressé avant le début de la conférence, mais on verra
bien. »
Après
d’une heure d’intervention balayant le large champ historique de la modernité
et de la post-modernité, des Lumières jusqu’à nos jours, les questions de
l’assistance sont pour le moins nombreuses, quelquefois critiques, comme celle
d’une étudiante entendant défendre les positions critiquées du « féminisme
égalitariste », à d’autre moment plus ambitieuses encore, comme cet
étudiant demandant au conférencier comment « restaurer le sacré ». A
l’une, Alain de Benoist répondra qu’il ne s’agit pas de défendre l’égalité en
niant absolument les différences entre les sexes et au deuxième qu’il n’a pas
de « recette magique » à proposer pour faire aboutir une telle
entreprise. A d’autres, curieux de savoir s’il adhère à la thèse du
« grand remplacement », il répond qu’il préfère parler de métissage à
grande échelle et de « grande transformation », avant de souligner,
interrogé sur le sujet par un autre étudiant, que la question sociale lui
semble en effet être essentielle, puisque située à la racine du phénomène de
radicalisation islamique ou de « salafisation » des banlieues.
Quelques
médias n’ont pas manqué de réagir à la venue d’Alain de Benoist à Sciences-Po,
tel Le Monde, qui titrait le
lendemain, sous la plume d’Ariane Chemin : « Alain de Benoist,
intellectuel d’extrême-droite accueilli à bras ouverts à Sciences-Po. »[1]
« A bras ouvert » ne semble pas être une expression tout à fait
appropriée, les organisateurs de la conférence ayant eu toutes les peines du
monde à obtenir la petite salle où se tenait la discussion, mais l’on pourra
admettre que l’événement avait de quoi surprendre, au-delà même des très
respectables colonnes du Monde…
Ceci
peut-être rendait d’autant plus frappante l’hétérogénéité de l’auditoire
présent dans la petite salle de la rue Saint-Guillaume. Parmi les nombreuses
mains qui se sont levées au cours de la discussion suivant la conférence, on
comptait aussi bien celle de l’étudiante se présentant comme une féministe
égalitaire, que l’intervention d’un jeune journaliste annonçant, avec une
pointe de méfiance, travailler pour le journal Présent ou encore celle d’un représentant du Front de Gauche
Sciences-Po. Le ton courtois sur lequel étaient formulées les questions, et ce
quel que soit le point de vue exprimé, rappelait que nous étions à Sciences-Po,
mais l’on tendrait presque à oublier qu’en octobre dernier, les très fameux
antifas de Sciences-Po avaient abondamment tagué la façade de l’immeuble pour
accueillir l’arrivée d’une représentation du Front National parmi les
associations étudiantes. Pas d’antifas à l’horizon cette fois-ci. Le
« Hijab Day », tempête dans un verre d’eau, semblait lui aussi déjà
bien loin. A quelques kilomètres de là, les sympathisants de la « Nuit
Debout » se rassemblaient place de la République devant un orchestre
amateur de 350 musiciens jouant La
Symphonie du Nouveau Monde d’Anton Dvorak. Avec une ironie mêlée de
sympathie, Alain de Benoist évoquait pour finir le mouvement contre la loi
travail, ses aspirations tout autant que ses contradictions. Dans la salle, le
public, toujours attentif, achevait de prendre quelques notes avant de marquer
par une longue salve d’applaudissements la fin d’une intervention qui aura duré
près de deux heures. Si l’on a pas rejoué une autre symphonie du nouveau monde
ce soir-là rue Saint-Guillaume, la venue d’Alain de Benoist montre qu’une
petite révolution s’est jouée depuis quelques mois dans les murs de la
prestigieuse institution, censée former et préparer les élites de demain.
L’apprentissage du pluralisme idéologique semble s’inviter à petit pas dans le
cursus intellectuel de ces dernières
ce qui, dans une société française étouffée depuis bien longtemps par le
binarisme idéologique, n’est pas une si mauvaise chose, n’en déplaise,
évidemment, aux journalistes du Monde...
Article publié également sur le FigaroVox
[1]
Ariane Chemin. « Alain de Benoist, intellectuel d’extrême-droite accueilli
à bras ouverts à Sciences-Po. » lemonde.fr.
21/04/2016
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire