jeudi 12 janvier 2017

Les revenants, demain en France !



L’ouvrage du journaliste David Thomson Les revenants (sous-titré : Ils étaient partis faire le jihad, ils sont de retour en France) est proprement sidérant. Basé sur une dizaine d’entretiens approfondis, il nous plonge dans la galaxie islamiste : des quartiers populaires en France jusqu’aux villes de Mossoul et de Raqqa passées sous la coupe de Daesh. Avant 2014 (mise en place de la coalition internationale), il était apparemment très simple voire banal de passer de la haine du mécréant, célébrée à force de rodomontades derrière son écran d’ordinateur, à un vol direct pour la Turquie et, quelques jours après, à son intégration dans les rangs de l’Etat islamique. On pourrait presque parler d’une année Erasmus à l’étranger ; année particulièrement riche pour l’ouverture à l’autre et la connaissance d’autres aires culturelles. Cela peut faire sourire mais il semble que beaucoup de jihadistes aient effectivement importé de France « ″leur jahilya de cité″, c’est-à-dire leur habitus de quartiers sensibles ». C’était encore l’époque du « LOL jihad » (avant 2014) au cours de laquelle les nouvelles recrues se faisaient photographier avec leur Nike Air au pied, un fusil d’assaut dans une main et le smartphone dernier cri dans l’autre.

         Les temps ont changé. Non pas que l’idée islamiste ait failli, loin de là, mais il est tout simplement de plus en plus dangereux de rester sur place alors que les bombardements de la coalition s’intensifient. On comprend dès lors sans peine qu’un bon père de famille, qui a parfois eu l’opportunité de contracter plusieurs mariages, se rappelle au bon souvenir de son pays d’origine quand bien même il a trahi ce dernier pour rejoindre l’un de ses ennemis les plus féroces. Auparavant, cela s’appelait de la haute trahison ou encore de l’intelligence avec l’ennemi et consistait en « une extrême déloyauté à l’égard de son pays, de son chef d’Etat, de son gouvernement ou de ses institutions ».  Autre temps, autres mœurs. Aujourd’hui, c’est le pays trahi qui organise le retour de ses valeureux guerriers. 


L’ouvrage de Thomson commence d’ailleurs par un chapitre pour le moins étonnant : la retranscription de deux échanges téléphoniques entre Bilel (citoyen français parti combattre aux côtés de Daesh) et le Consulat français de Turquie. L’on y apprend que Bilel a contacté le Consulat pour que ce dernier facilite voire organise son retour en France, lui, sa femme et ses trois enfants. Bien sûr, il est prêt à répondre de son engagement islamiste auprès de la justice mais, pour l’heure, il convient de l’aider à franchir la frontière turque – devenu hermétique au cours de l’année 2016 – sans se faire tirer dessus par les gardes. Et le Consulat de passer tous les coups de fil nécessaires pour assurer le passage de la petite famille en Turquie tout en prévenant son interlocuteur des démarches effectuées. A ce jour, Bilel a bien été intercepté par les autorités turques qui ont décidé de l’accuser de « faits de terrorisme » tandis que le reste de sa famille a rejoint le nord de la France. Précisons, toujours selon Thomson, que la majorité des « revenants » sont remis entre les mains des autorités françaises et envoyés directement en prison même s’il est par la suite difficile d’établir des chefs d’inculpation précis – d’où la clémence des peines.

         On le voit, le retour est relativement simple pour ceux qui ne se sont pas fait trop remarquer sur place; les autres, c’est-à-dire la dizaine de Français à occuper des postes de responsabilité au sein l’Etat islamique auxquels il faut ajouter les quelques psychopathes chargés des basses besognes (exécutions, tortures, etc.) sont repérés, identifiés et la plupart du temps « dronés ». Aujourd’hui, près de 200 personnes sont revenues en France – le chiffre étant en augmentation constante étant donné la situation en Irak et en Syrie – et la question qui brûle toutes les lèvres est la suivante : quel est l’état d’esprit de ces individus radicalisés dont le projet de vie était « de tuer pour être tués » ? La réponse est sans ambages, comme le résument les propos de Zoubeir (un des revenants) : « En rentrant, la plupart sont déçus peut-être, mais repentis, pas du tout. Ils sont encore partisans du jihad. C’est pour ça que la plupart ne sont pas prêts à témoigner contre ces gens. Ils ont des gros dossiers sur les gens de l’EI, mais ils veulent pas aider parce qu’ils considèrent la France comme une force mécréante, ennemie de l’islam, qui lutte contre leurs frères »[1].

En effet, ce qui marque profondément à la suite de la lecture des témoignages, c’est le degré très élevé de l’idéologisation qui a sûrement été moins subi que choisi comme un élément à part entière, essentiel, d’un chemin de vie. Il ne faut pas oublier que la majorité des radicalisés ont trouvé dans l’islamisme une voie de rédemption ; une voie qui leur a permis de devenir quelqu’un alors même qu’ils n’étaient personne – il s’agit bien de « perdants radicaux »pour reprendre l’expression d’Enzensberger. A cet égard, le profil des jihadistes français est éloigné de celui de certains combattants étrangers (Tunisiens, Marocains, etc.) : ils sont souvent très jeunes, issus de quartiers populaires à forte densité migratoire, en situation d’échec social et/ou scolaire et peu versés dans la pratique religieuse. Le processus d’islamisation est paradoxalement très rapide, et profond, parce qu’il équivaut pratiquement à chaque fois à une nouvelle conversion. Le déficit de connaissance religieuse est alors comblé par un surinvestissement dans la discipline mentale et corporelle. En outre, le processus se renforce avec la lecture de compilations de textes islamiste en version PDF, le visionnage continu de vidéos barbares, la répétition en boucles des passages les plus vindicatifs du Coran et la promesse sans cesse répétée d’un paradis à venir pour les martyrs de la cause. Il ne fait aucun doute, à la lecture des témoignages, que la croyance dans un au-delà rédempteur est une dimension très profonde de l'idéologie islamiste.



Dans ce contexte, les programmes de déradicalisation font doucement sourire des revenants qui ne se considèrent pas comme des radicaux. Il serait de toutes façons difficile pour eux de revêtir une ancienne identité qui renvoie à la haine de soi et aux échecs répétés. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, c’est encore le salafisme quiétiste (dont certains proviennent) qui offre la meilleure porte de sortie : l’identité musulmane y est affirmée avec vigueur – donc, sans reniement –  et se déploie dans toutes les dimensions de l’existence. Ainsi, la radicalité n’est plus vécue sous le signe de la violence mais déclinée sous une forme éthique, sociale et culturelle. Bref, un mode de vie à part entière qui engage tout l’être mais laisse de côté, au moins temporairement, la question du jihad armé.

Pour conclure, il ressort de la lecture des Revenants un constat sans appel : les pouvoirs publics sont au mieux atteints d’une cécité qui confine à l’aveuglement et, au pire, d’une culture de la compromission qui s’apparente à de la haute trahison. Depuis plus de dix ans, les politiques conduites par les gouvernements successifs ne font qu’attiser la haine de ceux qui ne sont pas encore partis - et qui en sont désormais empêchés - sans jamais, à aucun moment, rassurer ceux qui subissent l’islamisme rampant sur une part de plus en plus vaste du territoire français, à commencer par les musulmans eux-mêmes.
















[1] David Thomson, p. 88.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire