L’ouvrage du
journaliste David Thomson Les revenants
(sous-titré : Ils étaient partis
faire le jihad, ils sont de retour en France) est proprement sidérant. Basé
sur une dizaine d’entretiens approfondis, il nous plonge dans la galaxie
islamiste : des quartiers populaires en France jusqu’aux villes de Mossoul
et de Raqqa passées sous la coupe de Daesh. Avant 2014 (mise en place de la coalition
internationale), il était apparemment très simple voire banal de passer de la
haine du mécréant, célébrée à force de rodomontades derrière son écran
d’ordinateur, à un vol direct pour la Turquie et, quelques jours après, à son
intégration dans les rangs de l’Etat islamique. On pourrait presque parler
d’une année Erasmus à l’étranger ; année particulièrement riche pour
l’ouverture à l’autre et la connaissance d’autres aires culturelles. Cela peut
faire sourire mais il semble que beaucoup de jihadistes aient effectivement importé
de France « ″leur jahilya de
cité″, c’est-à-dire leur habitus de quartiers sensibles ». C’était encore
l’époque du « LOL jihad » (avant 2014) au cours de laquelle les
nouvelles recrues se faisaient photographier avec leur Nike Air au pied,
un fusil d’assaut dans une main et le smartphone dernier cri dans l’autre.
Les temps ont
changé. Non pas que l’idée islamiste ait failli, loin de là, mais il est tout
simplement de plus en plus dangereux de rester sur place alors que les
bombardements de la coalition s’intensifient. On comprend dès lors sans peine
qu’un bon père de famille, qui a parfois eu l’opportunité de contracter
plusieurs mariages, se rappelle au bon souvenir de son pays d’origine quand
bien même il a trahi ce dernier pour rejoindre l’un de ses ennemis les plus
féroces. Auparavant, cela s’appelait de la haute trahison ou encore de
l’intelligence avec l’ennemi et consistait en « une extrême déloyauté à
l’égard de son pays, de son chef d’Etat, de son gouvernement ou de ses institutions ». Autre temps, autres mœurs. Aujourd’hui, c’est
le pays trahi qui organise le retour de ses valeureux guerriers.
L’ouvrage de Thomson commence d’ailleurs
par un chapitre pour le moins étonnant : la retranscription de deux
échanges téléphoniques entre Bilel (citoyen français parti combattre aux côtés
de Daesh) et le Consulat français de Turquie. L’on y apprend que Bilel a
contacté le Consulat pour que ce dernier facilite voire organise son retour en
France, lui, sa femme et ses trois enfants. Bien sûr, il est prêt à répondre de
son engagement islamiste auprès de la justice mais, pour l’heure, il convient
de l’aider à franchir la frontière turque – devenu hermétique au cours de l’année
2016 – sans se faire tirer dessus par les gardes. Et le Consulat de passer tous
les coups de fil nécessaires pour assurer le passage de la petite famille en
Turquie tout en prévenant son interlocuteur des démarches effectuées. A ce
jour, Bilel a bien été intercepté par les autorités turques qui ont décidé de
l’accuser de « faits de terrorisme » tandis que le reste de sa
famille a rejoint le nord de la France. Précisons, toujours selon Thomson, que
la majorité des « revenants » sont remis entre les mains des
autorités françaises et envoyés directement en prison même s’il est par la
suite difficile d’établir des chefs d’inculpation précis – d’où la clémence des
peines.
On le voit, le
retour est relativement simple pour ceux qui ne se sont pas fait trop remarquer
sur place; les autres, c’est-à-dire la dizaine de Français à occuper des
postes de responsabilité au sein l’Etat islamique auxquels il faut ajouter les quelques
psychopathes chargés des basses besognes (exécutions, tortures, etc.) sont
repérés, identifiés et la plupart du temps « dronés ». Aujourd’hui, près
de 200 personnes sont revenues en France – le chiffre étant en augmentation
constante étant donné la situation en Irak et en Syrie – et la question qui brûle toutes
les lèvres est la suivante : quel est l’état d’esprit de ces individus
radicalisés dont le projet de vie était « de tuer pour être
tués » ? La réponse est sans ambages, comme le résument les propos de
Zoubeir (un des revenants) : « En rentrant, la plupart sont déçus
peut-être, mais repentis, pas du tout. Ils sont encore partisans du jihad.
C’est pour ça que la plupart ne sont pas prêts à témoigner contre ces gens. Ils
ont des gros dossiers sur les gens de l’EI, mais ils veulent pas aider parce
qu’ils considèrent la France comme une force mécréante, ennemie de l’islam, qui
lutte contre leurs frères »[1].
En effet, ce qui marque profondément
à la suite de la lecture des témoignages, c’est le degré très élevé de
l’idéologisation qui a sûrement été moins subi que choisi comme un élément à
part entière, essentiel, d’un chemin de vie. Il ne faut pas oublier que la
majorité des radicalisés ont trouvé dans l’islamisme une voie de
rédemption ; une voie qui leur a permis de devenir quelqu’un alors même
qu’ils n’étaient personne – il s’agit bien de « perdants radicaux »pour reprendre l’expression d’Enzensberger. A cet égard, le profil des
jihadistes français est éloigné de celui de certains combattants étrangers
(Tunisiens, Marocains, etc.) : ils sont souvent très jeunes, issus de
quartiers populaires à forte densité migratoire, en situation d’échec social
et/ou scolaire et peu versés dans la pratique religieuse. Le processus
d’islamisation est paradoxalement très rapide, et profond, parce qu’il équivaut
pratiquement à chaque fois à une nouvelle conversion. Le déficit de
connaissance religieuse est alors comblé par un surinvestissement dans la
discipline mentale et corporelle. En outre, le processus se renforce avec la
lecture de compilations de textes islamiste en version PDF, le visionnage
continu de vidéos barbares, la répétition en boucles des passages les plus
vindicatifs du Coran et la promesse sans cesse répétée d’un paradis à venir
pour les martyrs de la cause. Il ne fait aucun doute, à la lecture des
témoignages, que la croyance dans un au-delà rédempteur est une dimension très
profonde de l'idéologie islamiste.
Dans ce contexte, les programmes de
déradicalisation font doucement sourire des revenants qui ne se considèrent pas
comme des radicaux. Il serait de toutes façons difficile pour eux de revêtir une
ancienne identité qui renvoie à la haine de soi et aux échecs répétés. Aussi
paradoxale que cela puisse paraître, c’est encore le salafisme quiétiste (dont
certains proviennent) qui offre la meilleure porte de sortie : l’identité
musulmane y est affirmée avec vigueur – donc, sans reniement – et se déploie dans toutes les dimensions de l’existence.
Ainsi, la radicalité n’est plus vécue sous le signe de la violence mais
déclinée sous une forme éthique, sociale et culturelle. Bref, un mode de vie à
part entière qui engage tout l’être mais laisse de côté, au moins
temporairement, la question du jihad armé.
Pour conclure, il ressort de la
lecture des Revenants un constat sans
appel : les pouvoirs publics sont au mieux atteints d’une cécité qui
confine à l’aveuglement et, au pire, d’une culture de la compromission qui
s’apparente à de la haute trahison. Depuis plus de dix ans, les politiques
conduites par les gouvernements successifs ne font qu’attiser la haine de ceux
qui ne sont pas encore partis - et qui en sont désormais empêchés - sans jamais, à
aucun moment, rassurer ceux qui subissent l’islamisme rampant sur une part de plus en plus vaste du territoire français, à commencer par les musulmans eux-mêmes.
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