lundi 11 décembre 2017

Imprécis d'anarchie taoïste




         Daniel Giraud est un nom très commun qui va bien à celui qui ne fait que passer dans le monde sans vouloir à tout prix y laisser son empreinte. Pourtant, cet « illustre inconnu » compte parmi nos plus talentueux dilettantes, tour à tour métaphysicien du vide, intellectuel anarchique, poète égaré, romancier voyageur, traducteur du chinois, diariste incertain, apprenti astrologue et même chanteur de blues. Son dernier opuscule Tao et anarchie est à son image : une succession d’aphorismes, sans ordre, sans importance, avec une petite musique de fond qui rappelle que « la vie intérieure et l’action sociale sont deux choses qui s’excluent ».
Il nous invite à cheminer avec deux maîtres en désorientation, Max Stirner et Tchouang-Tseu, du côté de la « sublime porte de l’anarchie ». Nulle théorie dans ces pages inspirées, illustrées fugacement par François Matton, mais une sorte de viatique pour l’homme libéré de lui-même. Les grands auteurs du taoïsme y croisent les philosophes intempestifs et, bien sûr, les penseurs de l’anarchisme individualiste – les autres anarchistes, les théoriciens de la révolution, ont sans doute trop cherché à renverser l’ordre établi pour ne pas être dupes de la société dans laquelle ils s’imaginaient être le reflet inversé. Ne nous y trompons pas, la tonalité de l’ouvrage demeure radicale ; il faut juste aller la chercher à la racine de ce qui est : l’existence à vide qui s’oppose en tous points à la construction sociale. Le poète Renzo Novatore en a parfaitement défini les lignes de fuite : « Quiconque explore son être intérieur pour en extirper ce qui est caché projette une ombre qui éclipse toute forme de société existant sous le soleil ».

Daniel Giraud (né en 1946), s’il conserve parfois – rarement, c’est heureux !– quelques tics de la pensée gauchiste des années 1970, parvient à nous entraîner sur les pentes de l’esprit et nous rappelle avec Paul Valéry que « toute mystique est un vase d’anarchie ». Les taoïstes sont d’ailleurs plus « philosophes » en la matière puisqu’ils savaient que les empires chinois ne renfermaient que de la prétention, du trop plein, du pouvoir politique. Ils leur suffisaient de manier le paradoxe pour s’en extirper, cœurs joyeux et esprits libres. 
   
Evidemment, aujourd’hui, l’Etat rapace nous enserre profondément dans ses tenailles et il est de plus en plus difficile de s’en libérer. Les pseudo-révolutionnaires en appellent encore au grand soir sans trop y croire. La population, lessivée, se livre corps et âme à la consommation ; en vérité, elle se dévore elle-même. Dans un tel monde, nous naviguons à vue avec les rescapés de l’existence égarée et savons trop bien que le dernier mot appartient aux pirates : « Buvant, puis buvant encore, tombant à terre et se relevant pour boire, c’est ainsi qu’on atteint à la libération ». Tchouang-Tseu se marre bien avec ses amis les « individualistes souriants » qui roulent sur le parterre universel.      


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