Daniel Giraud est un nom très commun
qui va bien à celui qui ne fait que passer dans le monde sans vouloir à tout
prix y laisser son empreinte. Pourtant, cet « illustre inconnu »
compte parmi nos plus talentueux dilettantes, tour à tour métaphysicien du
vide, intellectuel anarchique, poète égaré, romancier voyageur, traducteur du
chinois, diariste incertain, apprenti astrologue et même chanteur de blues. Son
dernier opuscule Tao et anarchie est
à son image : une succession d’aphorismes, sans ordre, sans importance,
avec une petite musique de fond qui rappelle que « la vie intérieure et
l’action sociale sont deux choses qui s’excluent ».
Il
nous invite à cheminer avec deux maîtres en désorientation, Max Stirner et
Tchouang-Tseu, du côté de la « sublime porte de l’anarchie ». Nulle
théorie dans ces pages inspirées, illustrées fugacement par François Matton,
mais une sorte de viatique pour l’homme libéré de lui-même. Les grands auteurs
du taoïsme y croisent les philosophes intempestifs et, bien sûr, les penseurs
de l’anarchisme individualiste – les autres anarchistes, les théoriciens de la
révolution, ont sans doute trop cherché à renverser l’ordre établi pour ne pas
être dupes de la société dans laquelle ils s’imaginaient être le reflet
inversé. Ne nous y trompons pas, la tonalité de l’ouvrage demeure
radicale ; il faut juste aller la chercher à la racine de ce qui
est : l’existence à vide qui s’oppose en tous points à la construction
sociale. Le poète Renzo Novatore en a parfaitement défini les lignes de
fuite : « Quiconque explore son être intérieur pour en extirper ce
qui est caché projette une ombre qui éclipse toute forme de société existant
sous le soleil ».
Daniel
Giraud (né en 1946), s’il conserve parfois – rarement, c’est heureux !–
quelques tics de la pensée gauchiste des années 1970, parvient à nous entraîner
sur les pentes de l’esprit et nous rappelle avec Paul Valéry que « toute
mystique est un vase d’anarchie ». Les taoïstes sont d’ailleurs plus
« philosophes » en la matière puisqu’ils savaient que les empires
chinois ne renfermaient que de la prétention, du trop plein, du pouvoir
politique. Ils leur suffisaient de manier le paradoxe pour s’en extirper, cœurs
joyeux et esprits libres.
Evidemment,
aujourd’hui, l’Etat rapace nous enserre profondément dans ses tenailles et
il est de plus en plus difficile de s’en libérer. Les pseudo-révolutionnaires
en appellent encore au grand soir sans trop y croire. La population, lessivée,
se livre corps et âme à la consommation ; en vérité, elle se dévore
elle-même. Dans un tel monde, nous naviguons à vue avec les rescapés de
l’existence égarée et savons trop bien que le dernier mot appartient aux
pirates : « Buvant, puis buvant encore, tombant à terre et se
relevant pour boire, c’est ainsi qu’on atteint à la libération ».
Tchouang-Tseu se marre bien avec ses amis les « individualistes
souriants » qui roulent sur le parterre universel.
Pour acheter la revue Idiocratie, c'est par ici...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire