L’élection de Macron nous a englouti
sous une avalanche de livres plus inutiles les uns que les autres. Les
éditorialistes en vue ont cru bon de nous livrer leurs analyses qui penchent le
plus souvent du côté de la courtisanerie la plus éculée. La palme en la matière
revient incontestablement à Brice Couturier qui, sans rire, a intitulé son
essai Macron, le président philosophe.
On sera tout de même un peu déçu de ne pas trouver dans ce parterre de fins
journalistes d’investigation le nom de Christophe Barbier. Ce dernier se
contentant d’un rap-fiction qui prouve une fois encore que non seulement le
ridicule ne tue pas mais qu’il permet de faire une belle carrière dans une
société d’imposteurs. Le « journaliste » Eric Fottorino n’hésitant
pas de son côté à prêter sa plume dégoulinante au président lui-même afin de
publier un livre rempli de fatuité, dont le titre est un programme à lui seul :
Macron par Macron.
Ce premier flot de parution a été suivi
par un second qui aurait dû nous titiller un peu plus les méninges. En effet,
les intellectuels médiatiques se sont fendus de leurs analyses : Régis
Debray a décrit péniblement ce « nouveau pouvoir », Olivier Duhamel a
bafouillé deux-trois trucs qui flottaient vaguement dans ses souvenirs de
constitutionnaliste, Jean-Noël Jeannerey a une fois de plus pagayé dans le
vide, etc. Les ouvrages a priori plus
ambitieux de Pierre-André Taguieff et de Philippe Raynaud nous ont clairement
laissé sur notre faim. Pour clore le tout, notre champion national de sociologie
a rédigé un ouvrage à sa propre gloire : Macron par Touraine.
Dans ce déluge de commentaires
égotiques, seul un petit essai intelligent a surnagé, celui de Harold Bernat
justement intitulé Le néant et le
politique. Critique de l’avènement Macron. Placé sous le patronage de Jean
Baudrillard, Guy Debord et Michel Clouscard, il commence par rappeler que la
personnalité de Macron – qui a tant fait gloser les commentateurs ! – n’a
tout simplement aucun intérêt dans la mesure où elle n’est que la révélatrice
d’un processus beaucoup plus profond : l’effacement du politique. En cela,
Macron est bien un simulacre qui permet de représenter un réel qui n’existe
plus. L’énorme batelage médiatique qui a accompagné son ascension n’avait
d’autre but que de donner chair à ce produit préfabriqué : le montrer, le
raconter, le soupeser, bref, le rendre réel puis incontournable.
Rappelons que la simulation est une
liquidation par redoublement de la réalité par les signes de la réalité. Une
fois installée dans les représentations, la simulation comme copie de la
réalité disparaît au profit d’une nouvelle réalité qui ne repose plus sur rien,
c’est le simulacre. D’où la fameuse phrase de Baudrillard : « Le
simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité – c’est la vérité qui cache qu’il
n’y en a pas. Le simulacre est vrai ». Avec Macron, la scène du politique
s’est déplacée dans un autre espace, celui de la simulation, avec pour fin
dernière de liquider le politique en tant qu’espace de conflictualités. Concrètement,
cela passe par la réduction du langage au code et du discours à la
communication. Ainsi, Macron a pu tout dire et son contraire sans que cela
n’apparaisse comme contradictoire ; son message informe, malléable, épouse
les standards de la publicité politique : « se retrouver ensemble »,
« dépasser les clivages du passé », « projet d’avenir »,
etc. A cela s’ajoute une volonté de lisser toutes les oppositions afin
d’apparaître comme un émetteur neutre, pragmatique et toujours positif – un
émetteur dépolitisé. Dans ce contexte, tous ceux qui portent une parole
contestataire ou simplement critique sont de suite rabattus au rang d’extrémistes
irresponsables. Alain Deneault parle à ce propos de « neutralisation par
le centre » que l’on peut considérer comme une version sophistiquée
du reductio ad hitlerum.
Cette bouillie idéologique a également
pour fonction de substituer l’image à la parole et de faire advenir ainsi une
société du spectacle politique. Selon ce schéma, Macron ne doit pas être
envisagé comme le « candidat des médias » comme feignent de le croire
les journalistes qui se veulent insoumis (Aude Lancelin, Edwy Plenel, etc.)
mais comme un candidat calibré pour les médias, suscitant les commentaires, les
« unes », les fantasmes. « Macron n’est pas vide. Il jouit du
vide qui le fait être (…). Il se nourrit de l’idiotie médiatique qu’il flatte
et dont il est le candidat par excellence » écrit Harold Bernat. Il est
moins une figure charismatique qu’un agent chromatique qui reflète les lumières
artificielles de la société virtualisée.
Dans cette configuration, l’auteur
souligne que les citoyens-consommateurs ne sont pas exempts de toute
responsabilité. Non seulement ils jouissent du spectacle offert mais se croient
volontiers au-dessus du lot en développant une indifférence amusée voire un
cynisme de bon aloi. En vérité, la rationalité du jugement critique disparaît
derrière l’évidence indiscutable de l’opérationnalité : Macron est devenu
un désir fétichisé sur lequel chaque citoyen peut transférer son besoin de
positivité, d’optimisme, d’empathie. Ainsi, le progressisme – dont la faillite
est quasi-totale – réussit l’incroyable tour de force de se présenter comme la
seule vision acceptable de l’avenir.
Enfin, il faut ajouter au dispositif
pour qu’il soit complet les recettes de la gestion managériale appliquée à la
manipulation des affects. Quand la parole se réduit au slogan, les images à la
mise en scène du spectacle et la politique à la neutralité bienveillante, la fabrication
du consentement peut s’appuyer sur « une foule d’hommes semblables et
égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et
vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme » (Tocqueville). Dès lors,
les structures du pouvoir se confondent avec les structures de la subjectivité
moyenne pour donner naissance à une sorte de despotisme mou qui gère davantage
les émotions de la multitude qu’il ne met en discussion les opinions
individuelles.
Au final, le but de cette gigantesque
opération de marketing politique est naturellement de faire perdurer un système
à bout de souffle en neutralisant par avance, comme on l’a vu précédemment,
tout jugement critique. Il en résulte un effacement progressif du politique
compris comme le lieu de la discussion et donc de l’opposition au profit d’un
« esthétisme global, cool et instantané ». De la même façon, le sens
de la communauté voire la simple espérance d’une destinée collective sont
relégués au rang des vieilles antiquités quand ils ne sont pas vus comme le
substrat d’idéologies nauséabondes. Désormais, dans cette société impolitique,
il appartient à chacun de faire de son existence une petite entreprise prospère
avec l’espoir un jour d’intégrer le camp des vainqueurs, celui de la start-up nation.
Je suggère la lecture du petit ouvrage prophétique de Alfred Jarry - L'amour Absolu - d'un prix inestimable mais vendu 2 euros sur la toile qui raconte la vie d'un certain Emmanuel Dieu (oui oui) qui couche avec sa mère adoptive (toute ressemblance avec des faits réels etc.) et que je n'ai pas encore lu, de peur d'y trouver la Vérité.
RépondreSupprimerMerci pour la suggestion. J'espère que ça ne tourne pas comme dans "Ubu Roi" sinon on est vraiment très mal...
SupprimerUbu c'est de la gaudriole à côté de l'Amour Absolu où l'on apprend des choses cachés depuis la fondation du monde.
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