dimanche 18 février 2018

Macron, la réverbération du vide




         L’élection de Macron nous a englouti sous une avalanche de livres plus inutiles les uns que les autres. Les éditorialistes en vue ont cru bon de nous livrer leurs analyses qui penchent le plus souvent du côté de la courtisanerie la plus éculée. La palme en la matière revient incontestablement à Brice Couturier qui, sans rire, a intitulé son essai Macron, le président philosophe. On sera tout de même un peu déçu de ne pas trouver dans ce parterre de fins journalistes d’investigation le nom de Christophe Barbier. Ce dernier se contentant d’un rap-fiction qui prouve une fois encore que non seulement le ridicule ne tue pas mais qu’il permet de faire une belle carrière dans une société d’imposteurs. Le « journaliste » Eric Fottorino n’hésitant pas de son côté à prêter sa plume dégoulinante au président lui-même afin de publier un livre rempli de fatuité, dont le titre est un programme à lui seul : Macron par Macron.

         Ce premier flot de parution a été suivi par un second qui aurait dû nous titiller un peu plus les méninges. En effet, les intellectuels médiatiques se sont fendus de leurs analyses : Régis Debray a décrit péniblement ce « nouveau pouvoir », Olivier Duhamel a bafouillé deux-trois trucs qui flottaient vaguement dans ses souvenirs de constitutionnaliste, Jean-Noël Jeannerey a une fois de plus pagayé dans le vide, etc. Les ouvrages a priori plus ambitieux de Pierre-André Taguieff et de Philippe Raynaud nous ont clairement laissé sur notre faim. Pour clore le tout, notre champion national de sociologie a rédigé un ouvrage à sa propre gloire : Macron par Touraine.


         Dans ce déluge de commentaires égotiques, seul un petit essai intelligent a surnagé, celui de Harold Bernat justement intitulé Le néant et le politique. Critique de l’avènement Macron. Placé sous le patronage de Jean Baudrillard, Guy Debord et Michel Clouscard, il commence par rappeler que la personnalité de Macron – qui a tant fait gloser les commentateurs ! – n’a tout simplement aucun intérêt dans la mesure où elle n’est que la révélatrice d’un processus beaucoup plus profond : l’effacement du politique. En cela, Macron est bien un simulacre qui permet de représenter un réel qui n’existe plus. L’énorme batelage médiatique qui a accompagné son ascension n’avait d’autre but que de donner chair à ce produit préfabriqué : le montrer, le raconter, le soupeser, bref, le rendre réel puis incontournable.

         Rappelons que la simulation est une liquidation par redoublement de la réalité par les signes de la réalité. Une fois installée dans les représentations, la simulation comme copie de la réalité disparaît au profit d’une nouvelle réalité qui ne repose plus sur rien, c’est le simulacre. D’où la fameuse phrase de Baudrillard : « Le simulacre n’est jamais ce qui cache la vérité – c’est la vérité qui cache qu’il n’y en a pas. Le simulacre est vrai ». Avec Macron, la scène du politique s’est déplacée dans un autre espace, celui de la simulation, avec pour fin dernière de liquider le politique en tant qu’espace de conflictualités. Concrètement, cela passe par la réduction du langage au code et du discours à la communication. Ainsi, Macron a pu tout dire et son contraire sans que cela n’apparaisse comme contradictoire ; son message informe, malléable, épouse les standards de la publicité politique : « se retrouver ensemble », « dépasser les clivages du passé », « projet d’avenir », etc. A cela s’ajoute une volonté de lisser toutes les oppositions afin d’apparaître comme un émetteur neutre, pragmatique et toujours positif – un émetteur dépolitisé. Dans ce contexte, tous ceux qui portent une parole contestataire ou simplement critique sont de suite rabattus au rang d’extrémistes irresponsables. Alain Deneault parle à ce propos de « neutralisation par le centre » que l’on peut considérer comme une version sophistiquée du reductio ad hitlerum.

         Cette bouillie idéologique a également pour fonction de substituer l’image à la parole et de faire advenir ainsi une société du spectacle politique. Selon ce schéma, Macron ne doit pas être envisagé comme le « candidat des médias » comme feignent de le croire les journalistes qui se veulent insoumis (Aude Lancelin, Edwy Plenel, etc.) mais comme un candidat calibré pour les médias, suscitant les commentaires, les « unes », les fantasmes. « Macron n’est pas vide. Il jouit du vide qui le fait être (…). Il se nourrit de l’idiotie médiatique qu’il flatte et dont il est le candidat par excellence » écrit Harold Bernat. Il est moins une figure charismatique qu’un agent chromatique qui reflète les lumières artificielles de la société virtualisée.



      Dans cette configuration, l’auteur souligne que les citoyens-consommateurs ne sont pas exempts de toute responsabilité. Non seulement ils jouissent du spectacle offert mais se croient volontiers au-dessus du lot en développant une indifférence amusée voire un cynisme de bon aloi. En vérité, la rationalité du jugement critique disparaît derrière l’évidence indiscutable de l’opérationnalité : Macron est devenu un désir fétichisé sur lequel chaque citoyen peut transférer son besoin de positivité, d’optimisme, d’empathie. Ainsi, le progressisme – dont la faillite est quasi-totale – réussit l’incroyable tour de force de se présenter comme la seule vision acceptable de l’avenir.

         Enfin, il faut ajouter au dispositif pour qu’il soit complet les recettes de la gestion managériale appliquée à la manipulation des affects. Quand la parole se réduit au slogan, les images à la mise en scène du spectacle et la politique à la neutralité bienveillante, la fabrication du consentement peut s’appuyer sur « une foule d’hommes semblables et égaux, qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme » (Tocqueville). Dès lors, les structures du pouvoir se confondent avec les structures de la subjectivité moyenne pour donner naissance à une sorte de despotisme mou qui gère davantage les émotions de la multitude qu’il ne met en discussion les opinions individuelles.

         Au final, le but de cette gigantesque opération de marketing politique est naturellement de faire perdurer un système à bout de souffle en neutralisant par avance, comme on l’a vu précédemment, tout jugement critique. Il en résulte un effacement progressif du politique compris comme le lieu de la discussion et donc de l’opposition au profit d’un « esthétisme global, cool et instantané ». De la même façon, le sens de la communauté voire la simple espérance d’une destinée collective sont relégués au rang des vieilles antiquités quand ils ne sont pas vus comme le substrat d’idéologies nauséabondes. Désormais, dans cette société impolitique, il appartient à chacun de faire de son existence une petite entreprise prospère avec l’espoir un jour d’intégrer le camp des vainqueurs, celui de la start-up nation.




3 commentaires:

  1. Je suggère la lecture du petit ouvrage prophétique de Alfred Jarry - L'amour Absolu - d'un prix inestimable mais vendu 2 euros sur la toile qui raconte la vie d'un certain Emmanuel Dieu (oui oui) qui couche avec sa mère adoptive (toute ressemblance avec des faits réels etc.) et que je n'ai pas encore lu, de peur d'y trouver la Vérité.

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    1. Merci pour la suggestion. J'espère que ça ne tourne pas comme dans "Ubu Roi" sinon on est vraiment très mal...

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    2. Ubu c'est de la gaudriole à côté de l'Amour Absolu où l'on apprend des choses cachés depuis la fondation du monde.

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