dimanche 4 novembre 2018

Michéa, la trahison de la gauche



Dans son dernier essai, Le loup dans la bergerie, Jean-Claude Michéa ne fait pas œuvre d’originalité mais poursuit son travail de sape des illusions progressistes. Comme il l’avait déjà mentionné en 2013 dans Les mystères de la gauche, il rappelle l’incompatibilité foncière qui existe entre le socialisme et le libéralisme. Cette fois-ci, il enfonce le clou : la gauche moderne est désormais coupable de trahison pour avoir abandonné la question sociale au profit de l’injonction morale, dit autrement, d’avoir préféré la religion des droits de l’homme au sort des classes populaires.

         A l’occasion d’une conférence prononcée au 42ème Congrès du Syndicat des avocats de France, dont le texte augmenté est ici publié, Michéa rappelle les points fondamentaux de sa démonstration. L’anthropologie libérale repose sur le postulat d’un individu isolé qui conduit à la « désagrégation de l’humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière » (Engels). Dès lors, il est impossible d’établir une définition commune du Bien, l’Etat se contentant d’assurer une « régulation protectrice de processus sans sujets » que traduit à merveille l’expression paradoxale de « vivre-ensemble séparé ». Dans ce contexte, la sphère des valeurs ultimes, comme l’essence des relations sociales, sont remises entre les mains du Marché et du Droit. Le premier se charge d’harmoniser les intérêts rivaux par la loi de l’offre et de la demande tandis que le second régit l’équilibre précaire entre les libertés individuelles concurrentes. Avec l’aide de la cybernétique, ce système débouche logiquement sur l’effacement du gouvernement des hommes au profit de l’administration des choses.

         Comme à son habitude, Michéa prolonge son texte plutôt bref par toute une série de « scolies » qui dévoilent sa détestation de plus en plus profonde de la gauche. Lui-même n’ayant pas été épargné par les attaques du camp progressiste, il se fait volontiers polémiste pour égratigner les mandarins de la pensée unique. C’est assurément le côté le plus réjouissant du livre. Ainsi, l’exhortation foucaldienne à la « vie non fasciste » vulgarisée par Bernard-Henri Lévy dans L’idéologie française trouve aujourd’hui son écho le plus farcesque dans le soutien des intellectuels de gauche à des causes pour le moins ambivalentes, comme s’il s’agissait pour eux de prouver par tous les moyens leur « appartenance à la partie récupérable de la ”race“ blanche ». Michéa cite l’exemple de Houria Bouteldja qui a reçu le soutien officiel d’intellectuels « radicaux » dans Le Monde pour lutter contre le racisme alors même que la porte parole des Indigènes de la République tient un discours explicitement racisé ! Les délires de la théorie du genre et les confusions du féminisme radical sont également analysés à l’aune d’un « processus circulaire d’autocontestation » qui ne connaît plus aucune limite depuis Mai 68. 



         On comprend mieux pourquoi l’auteur du Loup dans la bergerie apparaît de plus en plus comme un proscrit dans la sphère médiatique. Et il ne va sûrement pas arranger son cas avec la comparaison suivante : « Il suffit par exemple de parcourir le terrifiant recueil de lettres rassemblées par André Halimi – La Délation sous l’Occupation – pour y découvrir en effet de troublantes similitudes de style et de mentalité entre ceux qui, sous le régime de Vichy, considéraient de leur devoir “citoyen” de dénoncer leurs voisins à la Gestapo ou au Commissariat général aux questions juives et ceux qui, de nos jours, inondent quotidiennement de leur prose ”indignée“ et de leurs pétitions vengeresses le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou les colonnes du Monde et de Libération » (p. 156.). Michéa constate que l’espace se réduit de plus en plus pour les idées dissidentes situées entre deux feux, celui de la droite libérale adoratrice du Marché et celui de la gauche libertaire idolâtre de l’Universel. Ces deux dernières se rejoignent finalement dans l’effacement de toutes les limites, de toutes les frontières, comme le montre symboliquement l’alignement idéologique des « “mystérieux” No Border du multimilliardaire Georges Soros » et de « l’enfant chéri de France Info, le très médiatique Cédric Herrou ». Décidément, Michéa est bon pour une séance d’autocritique voire un procès public afin d’extirper le fascisme qui est en lui, le fascisme qui hante son esprit et ses conduites quotidiennes. 

 
     Que reste-t-il de la gauche après un tel réquisitoire ? Rien, Marx lui-même n’aurait jamais eu « l’étrange idée de se définir comme un ”homme de gauche“ (un point que la plupart des universitaires de gauche d’aujourd’hui continuent pourtant de dissimuler sans vergogne à leurs lecteurs moutonniers) » (p. 80).



 

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