Dans
son dernier essai, Le loup dans la
bergerie, Jean-Claude Michéa ne fait pas œuvre d’originalité mais poursuit
son travail de sape des illusions progressistes. Comme il l’avait déjà
mentionné en 2013 dans Les mystères de la
gauche, il rappelle l’incompatibilité foncière qui existe entre le
socialisme et le libéralisme. Cette fois-ci, il enfonce le clou : la
gauche moderne est désormais coupable de trahison pour avoir abandonné la
question sociale au profit de l’injonction morale, dit autrement, d’avoir
préféré la religion des droits de l’homme au sort des classes populaires.
A
l’occasion d’une conférence prononcée au 42ème Congrès du Syndicat
des avocats de France, dont le texte augmenté est ici publié, Michéa rappelle
les points fondamentaux de sa démonstration. L’anthropologie libérale repose
sur le postulat d’un individu isolé qui conduit à la « désagrégation de
l’humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier et une fin
particulière » (Engels). Dès lors, il est impossible d’établir une
définition commune du Bien, l’Etat se contentant d’assurer une
« régulation protectrice de processus sans sujets » que traduit à
merveille l’expression paradoxale de « vivre-ensemble séparé ». Dans
ce contexte, la sphère des valeurs ultimes, comme l’essence des relations
sociales, sont remises entre les mains du Marché et du Droit. Le premier se
charge d’harmoniser les intérêts rivaux par la loi de l’offre et de la demande
tandis que le second régit l’équilibre précaire entre les libertés
individuelles concurrentes. Avec l’aide de la cybernétique, ce système débouche
logiquement sur l’effacement du gouvernement des hommes au profit de
l’administration des choses.
Comme
à son habitude, Michéa prolonge son texte plutôt bref par toute une série de
« scolies » qui dévoilent sa détestation de plus en plus profonde de
la gauche. Lui-même n’ayant pas été épargné par les attaques du camp
progressiste, il se fait volontiers polémiste pour égratigner les mandarins de
la pensée unique. C’est assurément le côté le plus réjouissant du livre. Ainsi,
l’exhortation foucaldienne à la « vie non fasciste » vulgarisée par
Bernard-Henri Lévy dans L’idéologie
française trouve aujourd’hui son écho le plus farcesque dans le soutien des
intellectuels de gauche à des causes pour le moins ambivalentes, comme s’il
s’agissait pour eux de prouver par tous les moyens leur « appartenance à
la partie récupérable de la ”race“ blanche ». Michéa cite l’exemple de
Houria Bouteldja qui a reçu le soutien officiel d’intellectuels « radicaux »
dans Le Monde pour lutter contre le racisme
alors même que la porte parole des Indigènes de la République tient un discours
explicitement racisé ! Les délires de la théorie du genre et les
confusions du féminisme radical sont également analysés à l’aune d’un « processus
circulaire d’autocontestation » qui ne connaît plus aucune limite depuis
Mai 68.
On
comprend mieux pourquoi l’auteur du Loup
dans la bergerie apparaît de plus en plus comme un proscrit dans la sphère
médiatique. Et il ne va sûrement pas arranger son cas avec la comparaison
suivante : « Il suffit par exemple de parcourir le terrifiant recueil
de lettres rassemblées par André Halimi – La
Délation sous l’Occupation – pour y découvrir en effet de troublantes
similitudes de style et de mentalité entre ceux qui, sous le régime de Vichy,
considéraient de leur devoir “citoyen” de dénoncer leurs voisins à la Gestapo
ou au Commissariat général aux questions juives et ceux qui, de nos jours,
inondent quotidiennement de leur prose ”indignée“ et de leurs pétitions
vengeresses le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou les colonnes du Monde et de Libération » (p. 156.). Michéa constate que l’espace se réduit
de plus en plus pour les idées dissidentes situées entre deux feux, celui de la
droite libérale adoratrice du Marché et celui de la gauche libertaire idolâtre
de l’Universel. Ces deux dernières se rejoignent finalement dans l’effacement
de toutes les limites, de toutes les frontières, comme le montre symboliquement
l’alignement idéologique des « “mystérieux” No Border du multimilliardaire Georges Soros » et de « l’enfant
chéri de France Info, le très médiatique Cédric Herrou ». Décidément, Michéa est bon pour une séance d’autocritique
voire un procès public afin d’extirper le fascisme qui est en lui, le fascisme qui
hante son esprit et ses conduites quotidiennes.
Que reste-t-il de la gauche
après un tel réquisitoire ? Rien, Marx lui-même n’aurait jamais eu « l’étrange
idée de se définir comme un ”homme de gauche“ (un point que la plupart des
universitaires de gauche d’aujourd’hui continuent pourtant de dissimuler sans
vergogne à leurs lecteurs moutonniers) » (p. 80).
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