vendredi 28 juin 2019
jeudi 27 juin 2019
Claudel project
La scène se passe en 1938 :
" Vint l'heure d'enregistrer le Christophe Colomb sur des disques destinés à l'émission radiophonique. A peine le travail commencé, je pus admirer le perpétuel génie inventif, la constante inquiétude imaginative du grand poète. Quand nous abordâmes la scène de la tempête en haute mer, Claudel savait déjà tout ce que l'on pouvait savoir en matière radiophonique. Il conseillait des procédés nouveaux ; il mêlait les plans vocaux ; il utilisait avec désinvolture les disques de "sounds effects". Je me souviens que, pour représenter symboliquement le premier assaut du cyclone, il nous fit utiliser le passage d'un train express, transposé en une sorte de trombe gigantesque."
Alejo Carpentier, Un souvenir de Paul Claudel, El Nacional, 25 février 1955.
samedi 22 juin 2019
Le consumérisme, pénitencier de l'âme
Pier Paolo Pasolini a parfaitement caractérisé l’idéologie de l’hédonisme de
masse : « génocide culturel » et « cataclysme
anthropologique ». Et il
précisait que le génocide consistait pour lui en « une substitution de
modèles » ; autrement dit, un nouveau type humain faisait table rase
du passé pour se donner corps et âme à la nouvelle société, celle de la
dévoration consumériste. C’est pourquoi les jeunes en constituaient la pointe
avancée, le reflet le plus exact :
« Les
fils qui nous entoure, surtout les plus jeunes, les adolescents sont presque
tous des monstres. Leur aspect physique est presque terrifiant, et, lorsqu’il
ne l’est pas, il est fastidieusement triste. D’horribles toisons, des
chevelures caricaturales, des teints pâles, des yeux éteints. Ce sont les
masques de quelque initiation barbare, mais barbare d’une manière bien morne.
Ou bien ce sont les masques d’une intégration diligente et inconsciente, qui
n’éveille pas la compassion »[1].
Que
dirait Pasolini aujourd’hui ? Il suffit de regarder les gens déambuler
dans les rues des grandes villes pour constater que, désormais, toutes les
générations sont touchées, comme possédées par la marchandise : corps
informes, regards vides, gestes maladroits, paroles creuses, vie débile. Le
divertissement s’infiltre partout, jusqu’au plus profond des âmes, pour
dessiner les contours d’un nouveau rapport au monde en grande partie régenté
par les industries culturelles.
En 2010, la publication d’un ouvrage
collectif, Divertir pour dominer,
connaissait un véritable succès public, et ce, en dépit de toute publicité. Il
déboulonnait une à une les idoles façonnées par la société du spectacle :
la télévision, la publicité, le sport et le tourisme. Le ton restait cependant
journalistique – la plupart des articles avaient été publiée dans L’offensive libertaire – et la critique
ancrée dans une sorte de progressisme bon teint avec l’utilisation, par exemple,
de l’écriture inclusive. La parution récente du volume 2 met non seulement à
jour les nouvelles entreprises dévastatrices de la culture de masse mais gomme
aussi les défauts précités en adoptant une approche à la fois plus radicale et
plus approfondie.
La
filiation est clairement assumée avec la théorie critique (école de Francfort)
dont on trouve des résonances chez de nombreux penseurs atypiques :
Anders, Charbonneau, Bauman, Michéa, Dufour, etc. De façon quasi-pavlovienne,
la gauche s’est pourtant détournée de cette pensée radicale pour embrasser les
nouvelles marchandises culturelles dans un langage jargonneux qui se déploie
dans tous les campus universitaires : cultural
studies, visual studies, porn studies, etc. Au nom de l’altérité,
de la diversité et d’une supposée transgression des codes, les nouveaux clercs
voient dans n’importe quel produit à la mode le moyen de s’émanciper et de
s’inventer une nouvelle identité, en lien avec les communautés que l’on se
choisit. Ce « consumérisme identificatoire », qui se décline sous de
multiples variantes (LGBT, végan, spécisme, spiritualisme, etc.), est une
formidable machine à détourner de l’action politique pour mieux se donner à la
construction de soi. Ce qui rend finalement caduque le message alternatif des
années 1970 : « La transformation du monde passe par la
transformation de soi ». Au
contraire, c’est la transformation du monde qui entraîne la transformation de
soi, massive, irrémédiable, dictée par les impératifs d’une société qui
robotise la jouissance à coups de tittytainment
et de pornocratie.
Dans un chapitre revigorant, Cédric
Biagini rappelle effectivement que le consumérisme est devenu une culture à
part entière. Dans un acte d’achat, le consommateur ne satisfait plus seulement
un désir mais s’inscrit dans un rapport social qui détermine sa place dans le
marché des individus. Mieux, il multiplie les expériences pour se sentir
exister : l’émotion se substitue à la réflexion pour donner forme à des
styles modulables de vie de plus en plus détachés de toute référence
collective. D’où la recherche incessante de postures fantasques, de causes
extravagantes, de sensations extrêmes, etc. qui font de l’anticonformisme le
pire des conformismes. Il faudrait aujourd’hui des dizaines de Philippe Muray
pour répertorier la liste incroyable des pratiques plus débilitantes les unes
que les autres. Pas un domaine n’échappe à ce management volontaire. Que
n’a-t-on pas écrit sur les mystères insondables de l’amour ? L’étrange
alchimie des âmes ? L’union sacrée des sexes ? Alors qu’il suffisait
de quelques applications pour faire de l’amour un marché comme les autres, un
marché où l’on se vend, se rencontre, se consomme et se jette.
Derrière ce consumérisme féroce, il
faut bien sûr détecter l’empreinte du capitalisme qui fait de la subjectivité
humaine son nouvel espace de rentabilité. Cette économie de l’attention impose
la mobilisation totale, jusqu’à réduire année après année notre temps de
sommeil. La multiplication et le succès des séries en est un révélateur
exemplaire : voici un produit parfaitement calibré pour capter notre attention.
Son procès d’élaboration est méticuleusement établi : un producteur
financier, une équipe de scénaristes, des techniques de marketing et même des
études neuroscientifiques. Ainsi, chaque épisode est savamment minuté (30 à 36
séquences pour une durée moyenne de 42 minutes) et repose sur un fil narratif
basique : présentations des enjeux, montée vers le climax et dénouement. Ensuite,
c’est toute une activité sociale qui se déploie : les réseaux en parlent,
les journalistes s’agitent, les universitaires devisent et les marchands
empochent les gains. Au final, la télévision qui trônait au milieu du salon
depuis les années 1980 a progressivement laissé la place à l’écran d’ordinateur
que les parents et les enfants regardent directement dans la chambre à coucher.
Comme une parabole du progrès, toujours plus près des âmes.
Divertir
pour dominer consacre également des chapitres à « la gamification du monde », à
« la pornification » et à la massification de l’art contemporain,
trois des industries les plus florissantes du nouveau capitalisme de
divertissement. Si l’on y ajoute le sport-spectacle, le tourisme de masse et la
musique envahissante, il reste effectivement peu de temps pour faire autre
chose en dehors, bien entendu, du sacro-saint temps de travail. On le voit, nos
vies sont bien remplies et nos âmes bien occupées, aussi regarderons-nous la
fin du monde sur un écran de smartphone, depuis la chambre à coucher, plutôt
heureux et finalement satisfaits.
mercredi 19 juin 2019
Haine (1)
« Il y a haine en
moi, forte et de date ancienne,
Et pour la beauté on verra
plus tard »
Henri Michaux
jeudi 13 juin 2019
Mazette, quel noceur ! (II)
« La
farandole est un piège ! Deux danseurs sur trois sont des androïdes !
Des robots ! A la faveur des fêtes, ils capturent leurs proies humaines en
leur tendant la main. Leurs doigts secrètent une sève dont le pouvoir est tel
qu’un simple shake hand suffit à opérer une soudure thermique définitive !
Une véritable greffe ! Les victimes, transformées en frères siamois, sont
alors incluses dans la farandole, prises entre parenthèses en quelque sorte. A
partir de cet instant, écartelés entre deux robots infatigables, les
prisonniers se changent en crucifiés, dansant sans relâche, jusqu’à l’épuisement,
jusqu’à la mort. Car les androïdes se nourrissent de leur énergie, digérant
leurs atomes de carbone jour après jour comme des sangsues cybernétiques.
Regarde bien ! Tu as devant toi l’un des pièges les plus redoutables mis
au point par les princes du carnaval ! »
(Serge Brussolo Carnaval de fer)
Inscription à :
Articles (Atom)