Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 26 septembre 2020[1], Esther Duflo et Abhijit Banerjee, « prix Nobel d’économie 2019 », recommandent de reconfiner toute la population française par anticipation du 1er au 20 décembre 2020 pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Le couple d’économistes insiste sur le fait qu’il s’agit de protéger au maximum les plus vulnérables – les personnes âgées et celles qui souffrent de maladies chroniques – susceptibles d’être contaminées par les plus jeunes. « Plus le nombre de jeunes infectés augmente, plus il y a de chances qu’ils contaminent les plus fragiles. C’est inéluctable si la progression continue au rythme actuel. » La mesure est nécessaire, avance le couple franco-américain de professeurs au MIT, car les fêtes de Noël se révèlent particulièrement propices à la propagation du virus, avec « leurs longs moments de convivialité autour d’une table (sans parler des cantiques et des chansons à boire) ». Face à cette convivialité d’un autre âge qui remet en question tous les sages principes de la vigilance sanitaire, il s’avère donc indispensable d’accompagner les populations dans ce moment de danger extrême car, avance notre savant couple d’évangélistes du principe de précaution : « les citoyens responsables vont bientôt faire face à des dilemmes cornéliens entre leurs différents devoirs, et il est déraisonnable de ne pas les guider dans ces choix. » Il serait déraisonnable de vouloir en effet laisser les citoyens quelque peu libres de leurs choix dans une période aussi dangereuse et de disputer la moindre de ses prérogatives au « pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. »[2]
Esther Duflo et Abhijit Banerjee sont deux économistes. Insistons bien sur ce point pour commencer. Ils participent au MIT au Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL), centre de recherche qui a pour objectif de coordonner les politiques de lutte contre la pauvreté en faisant en sorte qu’elles ne s’appuient que sur les données et preuves scientifiques. En dépit des objectifs ambitieux de leur laboratoire de recherche, force est de constater toutefois qu’Esther Duflo et Abhijit Banerjee ne sont ni biologistes, ni épidémiologistes, ni virologues, ni médecins et encore moins des politiques. Ce sont des apôtres de la pensée scientifique convaincus que l’action politique doit être strictement rationalisée et fondée sur l’approche scientifique. Disons-le plus nettement : ce sont aussi des prophètes de malheur qui entraînent notre société toute entière dans une course en avant aussi folle qu’absurde, dont elle ne se relèvera peut-être jamais. Pour protéger à tout prix la fraction de la population – les plus âgés, les malades, les obèses… - la plus exposée au Covid-19, le reste de la société doit cesser de vivre en vertu de mesures sanitaires qui ne sauveront plus personne quand la dite société aura sombré dans le marasme économique ET une pandémie incontrôlable faute de moyens de la contrôler.
« En bref, sitôt que l’on a affaire à une opinion baroque et manifestement absurde, l’on peut être sûr qu’elle a pour auteur quelque prince de la pensée. » Voilà ce qu’écrivait Jean Paulhan, il a plus de quatre-vingt ans, en mars 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La France qui s’apprête alors à entrer dans le plus meurtrier conflit de l’histoire est plus divisée que jamais, son régime parlementaire tiraillé à hue et à dia par de multiples factions, groupes d’opinions et tendances politiques et son opinion publique ne sait plus vraiment à quel prophète se vouer entre tous ceux – autrement plus talentueux que ceux d’aujourd’hui – qui prétendent détenir la solution pour sauvegarder la paix en Europe et sauver le pays. Le pire désastre militaire de l’histoire de France et quatre années d’occupation balayèrent les assurances des « princes de la pensée ». Pour autant, les traditions ne s’effacent pas aussi facilement et dans un pays aussi aristocratique que le nôtre, les princes ne rendent pas les armes aussi vite.
L’abdication du politique a consacré en 2020, une nouvelle forme de principat à travers l’avènement du pouvoir médical. La nomination du Comité scientifique a lié les mains de nos gouvernants qui s’est soumis avec zèle aux décrets d’un aréopage qui n’a rien à envier aux conseils des éphores de l’antique cité de Sparte. Il faudra apprendre à vivre avec l’épidémie, nous ont répété Olivier Véran, Jérôme Salomon ou Emmanuel Macron. Pourtant, les mesures imposées à la population disent tout le contraire. Elles découlent d’un principe de précaution poussé jusqu’à l’absurde qui invite la population à vivre semi-cloîtrée, illusoirement protégée derrière le masque porté partout, mince barrière de tissu ou de coton acquérant une fonction presque magique, sorte de gri-gri de tissu qui devient le symbole de la société du risque zéro.
Il n’y a pas de risque zéro. En soumettant à cette injonction délirante l’intégralité de la population pour protéger une minorité plus vulnérable, les autorités hypothèquent l’avenir économique et le futur des plus jeunes générations avec des conséquences socio-économiques dont nous prenons à peine la mesure et qui ne se révéleront dans toute leur ampleur que dans les années à venir. Et pendant que la France, et une bonne partie de l’Europe, s’enferme dans la forteresse dogmatique du risque zéro, le risque géopolitique ne cesse de croître à nos frontières, à commencer par la Méditerranée où Recep Tayip Erdogan continue à pousser ses pions. Nos princes de la pensée seront-ils les artisans du prochain désastre qui abattra les murs fragiles de notre prison de précautions ?
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