Des moutons noirs vivaient en un pays très proche.
De la cour entière ils étaient la risée,
Pour déplorer des maux que nul encore n'osait.
De leur haine, de leur peur, on leur faisait reproche :
"Vous êtes les suppôts de l’immonde animal !”
Et même si parfois, un courtisan, prudent,
Admettait quelque tort ou quelque “Cependant…”,
Ils demeuraient bannis des joutes et des bals.
Voilà qu'en ce pays arrive un autre mal,
Plus nouveau, plus certain, aussi plus imminent.
Et trois autres moutons, cousins des précédents,
Se mirent à bêler dans l'enclos familial.
Ils étaient habillés d'un blanc chirurgical.
"La cour est subjuguée par de mauvais prophètes,
Et les remèdes qu'on veut vous vendre à prix d'or,
Ne sont que de la poudre à enterrer des morts.
Nous, de la guérison avons la vraie recette !"
"Pourquoi faut-il vous croire ?" Firent les moutons noirs.
"Parce que, nous aussi, le pouvoir nous rejette !"
Et voici que les bêtes, convaincues par ce cri,
Bêlèrent à tue-tête en faveur des crieurs.
Tout ne fut que courroux, vacarmes et rumeurs.
L'ennemi de l'ennemi ne pouvait qu'être ami.
Parmi les moutons noirs, quelques-uns en doutèrent.
“Pourquoi, si leurs remèdes solutionnent les maux
Qui coûtent tout leur or aux géants de ce monde,
Ceux-ci ne rendent pas à leur science féconde
La part qui leur est due de gloires et de rameaux ?
Pourquoi refusent-ils de rencontrer leurs pairs ?
Pourquoi titres et grades sont-ils la seule réponse,
A toutes les questions, à tout ce que dénoncent
Les demandeurs de preuves, les chasseurs de chimères ?
D’un Maréchal de France, menacé par la guerre,
Mais ignorant par où se cache l'ennemi,
Dirait-on qu’il louvoye à chercher celui-ci,
Avant que d'attaquer par la bonne frontière ?
Oui, bien de ceux à qui leur remède fut prescrit
A une mort atroce évidemment échappent,
Mais pas plus que ceux qui, dans ce malheur qui frappe,
N’ont bu ni médecine ni autre plaidoirie…”
Et on leur répondit : “Vous, espions de la cour ?
Vous, valets du pouvoir ? Vous, ignobles cerbères
De la corporation des riches apothicaires ?
Vous n'êtes pas docteurs, changez donc de discours !”
Mais le mal persistait, et avec lui, le doute.
Quand les questions s’ajoutent, le croquant s’arc-boute.
“Pourquoi certains nient-ils l’atrocité du mal
Alors que chaque jour défilent en linceuls
Les cortèges d’amis, de parents et d’aïeuls,
Qui plus que l’an passé, péniblement exhalent ?
Pourquoi, plus un savant est moqué par ses pairs,
Plus est-il adulé par tant de sectateurs ?
Que faut-il choisir d’être, pour un profit meilleur :
Héros de quelques-uns, ou soldat ordinaire ?
Pourquoi attendons-nous qu’au plus haut soit le mal
Avant de prévenir qu’il se répande encor,
Par d’évidents retraits de nos précieux corps,
Du plus simple et facile, au plus dur et total ?
Quelle confiance encore accorder à ceux qui,
Du début à la fin, aujourd’hui comme hier,
Ont tout dit, hardis, tout, et aussi son contraire,
Tout, gascons, excepté ce qui le justifie ?”
Nul ne leur répondit, sinon qu’en deux seuls camps
Le monde se tenait : les bons, et les méchants.
Le temps fit son office. Et, parmi les remèdes,
Certains, fort désirés, empirèrent le mal,
Quand d’autres, assurément, d’un zèle triomphal,
Conclurent ce malheur tel un triste intermède.
Lesquels, à votre avis ? Ne le demandez point
Aux fameux moutons noirs : d'avoir été trompés
Leurs mémoires aussitôt furent comme estompées,
Sans un mot de regret, pour d’autres baragouins.
Celui qui contre grands et puissants de ce monde
Se prétend ton allié, peut n’être qu’un retors,
Qu'un ennemi de plus, qu’un profiteur encor.
Vers lui aussi, conduis ta critique féconde.
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