vendredi 6 mai 2022

La marée de morte-eau des autres visages

  

Parfois, en une photo, le théâtre politique laisse entrevoir les coulisses de l’âme de ceux qui en sont les principaux acteurs, et jaillissent alors la petitesse des hommes et la bassesse des caractères. Cela nous a rappelé la réponse que donnait Pessoa à ceux qui voulaient par tous les moyens en être, de ce spectacle dérisoire et tellement humain.

 


         « Réussite ?

Pauvres demi-dieux boutiquiers, qui conquièrent des empires avec leurs belles paroles et nobles intentions, et ont besoin d’argent pour le gîte et le couvert ! On dirait les troupes d’une armée en déroute, dont les chefs auraient eu des rêves de gloire, cependant qu’aux hommes égarés dans la vase des marais, ne reste que la notion de grandeur, la conscience d’avoir été une armée, et le vide de ne même pas avoir su ce que faisait ce chef qu’ils n’ont jamais vu.

Ainsi chacun se rêve-t-il, pendant un instant, chef de l’armée dont il a pourtant fui l’arrière-garde. Ainsi chacun, dans la boue des ruisseaux, salue-t-il la victoire que personne n’a pu remporter, et dont il est seul resté, pareil à ces miettes parmi les taches d’une nappe qu’on a oublié de secouer.

Ils remplissent les interstices de l’action quotidienne comme la poussière les interstices des meubles quand on ne les nettoie pas avec soin. Dans la lumière banale du jour ordinaire on les voit briller comme de petits vers gris contre l’acajou rougeâtre ou entre l’acajou et la toile cirée noire. On les enlève avec un petit clou. Mais personne n’a la patience de les enlever. »

 


 

 


 

 

 

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