Longtemps, nous avons apprécié les petits ouvrages du philosophe allemand d’origine coréenne, Byung-Chul Han, qui avaient le mérite d’établir une nouvelle théorie critique du capitalisme en multipliant les angles d’approche et en croisant de nombreuses références : Foucault, Heidegger, Baudrillard, Freud, McLuhan, Simmel, etc. Un fil directeur traversait et soutenait l’ensemble de l’œuvre : les nouvelles formes de subjectivation en régime néolibéral. D’où la dénonciation des techniques de pouvoir dans une société de la performance, l’éloge de l’ennui et de la lenteur dans une temporalité accélérée, le mirage de la bienveillance et de la tolérance dans « l’enfer de l’identique », la mobilisation totale des affects individuels à l’ère du numérique, etc. Autant de thématiques traitées de façon incisive avec un véritable art de la synthèse et de la formule bien sentie.
Seulement, depuis la parution des derniers ouvrages (Topologie de la violence, Amusez-vous bien ! et L’expulsion de l’autre), la mécanique s’est enrayée et osons-le dire la formule ne fait plus recette. L’efflorescence des concepts masque de moins en moins une pensée qui finit par tourner à vide avec, notamment, la répétition des mêmes critiques et, chose nouvelle, l’apparition de propos particulièrement lénifiants. L’on en vient presque à se demander si l’attrait pour les anciens ouvrages n’était pas le fait d’une rhétorique, certes entraînante, mais finalement assez creuse.
Etre ou ne pas être un intellectuel
En tout cas, le dernier ouvrage, Thanatocapitalisme[1], ne déroge pas à la règle : le titre attire l’œil mais le contenu laisse interrogateur. Mis à part un premier chapitre convenable, « Capitalisme et pulsion de mort » (p. 7-31), quoique très largement inspiré d’Erich Fromm (longuement cité) et de Jean Baudrillard, le reste de l’ouvrage est une succession de chapitres courts qui reprennent des anciennes thématiques, aujourd’hui bien connues : le panoptique numérique, le « dataïsme », l’empire du vide, etc. Et lorsque l’auteur aborde la question des réfugiés, on reste pantois devant une telle accumulation de clichés qui mériterait à elle seule de figurer parmi les plus belles pages du politiquement correct. Byung-Chul Han allant jusqu’à s’imaginer s’enfuir dans un nouveau pays, un « pays de rêve », un « pays hospitalier » où « il pourrait redevenir totalement un patriote » – les Allemands apprécieront que cet exemple d’intégration, professeur à l’université des Beaux-Arts de Berlin, n’en reste pas moins un citoyen nomade, promoteur d’un patriotisme à la carte. Enfin, l’ouvrage se termine par ce qu’il faut bien appeler du remplissage avec l’ajout de deux entretiens très largement dispensables.
Bref, Byung-Chul Han ne nous convainc plus et, s’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, nous n’y reviendrons pas de sitôt. Quand la théorie critique se pare des atours d’une sorte de pop philosophie chic et radicale, elle tombe dans le piège qu’elle s’est elle-même tendue ; cela pourrait d’ailleurs constituer le sujet du prochain ouvrage de Han : Coprophagie et capitalisme, la critique consumée par elle-même.
[1] A peine l’ouvrage publié en 2021 au PUF, un autre faisait déjà surface chez Acte sud sous le titre La fin des choses : bouleversements du monde de la vie (2022). Assurément, Byung-Chul Han est un bon client pour les maisons d’édition, cédant lui-même au règne de la quantité si propice au monde capitaliste qu’il dénonce par ailleurs.
Vous avez bien raison de pointer la progressive indigence de sa "production". Non seulement dans la forme l'éditeur se fait bien plaisir (un petit poche dans une police très aérée) mais dans le fond il n'apporte pas grand chose. On croirait lire de la mauvaise sociologie. Dommage. Il nous reste un philosophe français : Jean Vioulac, que vous recommandiez, et qui poursuit une généalogie stimulante. Si vous avez du temps, son dernier essai mérite un petit billet, même s'il s'expose peut-être à des critiques.
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