lundi 25 avril 2022

La voilà bien punie !

 


 

PAUL MORAND A JACQUES CHARDONNE

 

Londres, 10 janvier 1963

 

             Cher ami,

       Robert Bresson n’est pas méphistophélique ; mais c’est une âme transparente, un auvergnat têtu, un artiste d’une pureté d’acier, indifférent au manège, à la politesse envers les commanditaires et aux catastrophes financières. Il a décidé que les artistes étaient la mort de l’art ; il lui fallait du direct, le matériau brut. Aussi priait-il (et prie-t-il encore) ses amis, quand il a une idée de film en tête, de lui trouver des acteurs qui n’en soient pas, mais dont le génie naturel corresponde à celui des héros qu’il imagine. Charlotte Fabre-Luce me disait hier quels ravages cette manière de choisir avait provoqués : « Il me demande de lui organiser des thés, ou de l’emmener dans les bals de jeunes filles. Tout à coup, une lui plaît. Il la prend à part, la fait parler, s’emballe ; elle devient la perspective d'être Sophia Loren, sent la tête lui tourner. Elle se fâche avec sa famille (comme la jeune Montesquiou, qu’il avait choisie quand nous devions faire ensemble La Princesse de Clèves). Elle a aussi la tête tournée par la belle figure de Bresson, sa mèche grise, son œil vert, la transparence de son âme à travers le noble masque. Bresson lui fait lire une page ; tout à coup elle dit a-oût au lieu d’août ; il ne veut plus la voir, lui tourne le dos et la flanque dehors. Cela arrive 9 fois sur 10. L’une des élèves exclues (Mademoiselle R.) s’est jetée sous une rame du métro, etc... »

         Je trouve qu’il y a là un ravissant sujet de nouvelle pour vous. Voulez-vous que je vous fasse déjeuner avec Bresson ? Il est exquis, vous serez séduit et le séduirez.

 

A vous,

PM.

 

 

 


 

 

 

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