Ce blog, né d’une soirée d’ivresse il y a 10 ans, devait s’intituler « massacre présidentiel » et se donner pour tâche de commenter furieusement l’élection de 2012 tant elle nous apparaissait à la fois drolatique et consternante. Etant donné l’ampleur de la mission, le nom « idiocratie » s’est finalement imposé – à juste titre. Depuis, pas une seule journée n’a échappé à l’empire idiocratique qui étend, partout, ses territoires imbéciles et occupe désormais le moindre recoin de l’esprit humain. Evidemment, l’élection présidentielle de 2022 ne déroge pas à la règle, loin s’en faut, c’est même un excellent cru.
Au vu du diagnostic implacable, faut-il le rappeler : pollution des airs et des eaux, acidification des océans, fonte des glaces, extinction massive d’espèces, prolifération des maladies infectieuses et des zoonoses, accroissement exponentiel des déchets toxiques, dérèglement climatique, réduction des capacités cérébrales, et, donc, de la catastrophe annoncée, la seule question qui valait, comment sortir du capitalisme du désastre ?, n’a même pas été esquissée – sauf dans les termes désuets de l’anticapitalisme d’opérette. Précisons, le capitalisme n’est plus seulement un système économique qui repose sur l’accumulation du capital mais un appareillage planétaire qui prend en charge – quadrille – toutes les sphères de l’existence : le corps biologisé, l’âme spectacularisée et l’esprit néantisé. De même, la catastrophe n’est pas à venir, elle est en cours et révèle l’achèvement en lequel s’accomplit le pire. Littéralement, elle est une « apocalypse nue », une « apocalypse sans royaume » (Anders) : un événement qui ne débouche sur rien, sinon la fin, le point d’arrêt.
Autant dire que les programmes présentés de part et d’autres relevaient au mieux de l’aveuglement volontaire au pire du cynisme le plus abject. Ainsi, le concours Lépine des mesures les plus insensées a battu son plein avec en ligne de mire la sacrosainte quantité : plus de fric, plus de biens, plus de travail, plus de développement (« vert » il s’entend), plus d’Etat, plus d’investissement, plus de sécurité, plus de numérique, plus de dettes, plus, plus, plus… Les citoyen-consommateurs, découpés en tranches électorales, en ont eu pour leur argent, chacun à sa mesure : un peu plus pour les gros, un peu moins pour les petits.
Dans ce contexte, la révolution écologique, à savoir la modification radicale des interactions des êtres vivants entre eux et avec leur milieu, n’a même pas été abordée – encore moins par les partis dits écologistes qui servent uniquement de caution à la perpétuation d’un système mortifère. Quelques sujets pourtant brûlants ont été soigneusement évités : ainsi, la fragmentation des subjectivités, notamment celles en construction des enfants, par les écrans et la publicité de masse, la destruction des territoires par la métropolisation outrancière, l’artificialisation des terres et l’agriculture intensive, le démantèlement des principes de la santé publique à l’occasion de la gestion de la crise sanitaire, la destruction de la notion même de travail à travers la numérisation et l’ubérisation, la déshumanisation de catégories entières de la population livrées à la pauvreté extrême, la privatisation forcenée de l’Etat mise en coupe réglée par les cabinets de conseil, la dépolitisation grandissante de citoyens cantonnés au rôle de spectateur-consommateur, l’externalisation de la production industrielle et des droits à polluer, l’expérimentation d’un portefeuille du citoyen vertueux à l’échelle européenne, etc. Et, l’essentiel a été tout simplement occulté : quelle finalité ? Quel horizon ? Quelle destinée ? Quelle communauté ?
Rien, le vide, l’abîme. Il n’y a pas de monde d’après, seulement celui du présent perpétuel qu’on feigne de recommencer encore et encore jusqu’à l’effondrement général. Patron, une tournée !
Evidemment, une aussi belle séquence électorale dont le narratif a été écrit dès le lendemain de 2017 et tambouriné sur tous les tons pendant cinq années, ne pouvait se terminer que par un feu d’artifice : la quinzaine antifasciste ! Que n’entend-on pas, une nouvelle fois, le chœur des artistes éplorés se lamentant du retour des heures les plus sombres, que ne lit-on pas les tribunes des sportifs millionnaires en appelant à un sursaut moral, que ne voit-on pas les mines graves des journalistes préconisant le fameux barrage républicain, etc. Partout, comme à chaque fois, une foule de bons citoyens se rachète à bas prix une conscience pour la faute qu’elle s’apprête à commettre, en toute connaissance de cause : jouir encore une fois, jouir encore un peu, profitez de la vie tant qu’il en reste !
Comme le prédisait Pasolini : le fascisme à venir prendra le visage de l’antifascisme et participera, férocement, à la perpétuation d’un système dont il se veut le reflet inversé – en pure perte.
Comment peut-on être aussi complet et aussi juste ? Depuis tant d'années, ça m'épate !
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