En s’installant devant le petit écran, nous nous apprêtions à visionner une pépite du cinéma français que les uns et les autres nous avaient conseillé avec diligence. Quelle ne fut pas la surprise ! En guise de fable écologique, comme le prétend être le film, c’est un véritable conte horrifique qui prend à la gorge le spectateur et qui l’enjoint de tolérer d’abord et d’aimer ensuite une galerie de monstres. Le règne animal s’apparente plutôt à la défaite de l’homme avec en point d’orgue l’avilissement de toutes les valeurs au nom d’une tolérance mortifère, comme si la courbe de l’évolution s’inversait complètement jusqu’à rebrousser chemin jusqu’aux origines. Le film aurait pu s’intituler Le cauchemar de Darwin.
Il débute pourtant de façon convenue comme un mauvais remake de La mouche sans que l’on sache jamais, contrairement au film de Cronenberg, pourquoi les hommes se transforment-ils soudainement en animaux. Et quelles transformations, toujours à demi-ratées, avec des hommes-batraciens, des hommes-rapaces, des hommes-chiens et je ne sais quoi encore tellement les métamorphoses sont délirantes et relèvent davantage des aliens de la science-fiction que des créatures du mythe.
Enfin, pourquoi pas, cela peut faire un bon petit film d’horreur si ce n’était la morale sous-jacente et finalement omniprésente que le héros malheureux résume en une formule, répétée à deux reprises : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience » (René Char). Le propos devient alors politique et court tout au long de l’histoire pour rappeler, avec force émotions, qu’il faut accepter l’étrange, l’étranger, l’animal, le bestial, bref le monstre qui somnole en nous. Le devenir-bête de l’humanité ! Au vu des mutations, on reste tout de même pantois devant une telle perspective, sauf à détester profondément l’humain – nihilisme de l’époque. Précisons que ce n’est pas faire, non plus, honneur à la beauté naturelle et organique des animaux que de les présenter sous une forme hybride et le plus souvent repoussante.
Deux scènes nous ont semblé particulièrement grotesques. La première montre un homme-rapace affublé d’ailes qui lui poussent le long des bras, de pieds-serres et d’un nez bec qui, encore tout alourdi de son reste de corps d’homme, tente d’apprendre à voler grâce aux conseils d’un adolescent-loup. Ce dernier, censé incorporé progressivement les instincts de son animal, se révèle être un excellent nageur et pêcheur de poissons, comme tous les loups c’est bien connu ! Les dialogues entre les deux hybrides atteignent des sommets : des borborygmes, des râles de cui-cui, de rauques louvoiements et des pleurnicheries incessantes. L’on comprend sans peine le message : c’est beau l’entraide entre des monstres que la société a rejetée.
La seconde scène est moins grotesque que gênante et c’est proprement ahurissant qu’aucune critique (à notre connaissance) n’ait souligné cette ode voilée à la zoophilie ou pour le moins à la copulation interspéciste – à la mode il est vrai en cette époque toute dévouée au phénomène transsexuel. Ainsi, l’adolescent en train d’opérer sa métamorphose, et non de subir sa maladie comme la méchante société voudrait lui faire croire, tombe amoureux d’une autre adolescente, platement humaine, elle. Heureusement, l’amour déplace les montagnes et la jeune fille devine, en caressant le dos velu de son compagnon et en observant les griffes qui lui poussent à la place des ongles, qu’il est l’un de ces spécimens et redouble de passion en avouant : « Je le savais ». Par un reste de décence, le film nous épargne les images de la copulation entre le chien-loup en rut et la jeune femme pleine de désirs.
Et les hommes dans tout ça ? A l’occasion d’une fête (évidemment) traditionnelle, les feux de la saint Jean, ils révèlent leur nature profondément raciste (ou comment faut-il dire : animalophobe, monstrophobe, hybridophobe ?) en partant à la chasse aux « humanimaux ». Comme à l’habitude chez les bobo urbanisés, ils se représentent le français moyen, le « populo » ou le mâle blanc hétéro, à la manière des redneck américains : ainsi, les racistes vont chercher leurs fusils, rangés naturellement à l’arrière de leurs pickups, pour se payer une bonne partie de chasse, à l’ancienne. Bref, n’en disons pas plus, la suite est d’une banalité confondante : le héros pactise avec les humanimaux gentils pour se sauver du piège des salauds de racistes. Et épargnons aux lecteurs le symbolisme des chips industriel, la figuration d’une forêt paradisiaque de monstres et la scène finale digne du générique de trente millions d’amis.
Le règne animal a fait plus d’un million d’entrées et a rencontré une critique dithyrambique. Le précipité d’une époque où la haine de soi atteint des proportions gigantesques, la tolérance extrême confine au pur masochisme et la mièvrerie morale à la bêtise politique. Une époque littéralement nihiliste. Et par pitié, laissons les animaux, les végétaux, les roches, les molécules, etc. en dehors de tout ce cirque mélangiste. Le mal est humain, animalhumain dirait l’autre.