lundi 1 avril 2024

Le roman social dans tous ses états

 


 

         La littérature est aujourd’hui saucissonnée en plusieurs tranches, à destination des goûts du public – comme on dit. En tout cas, c’est un auteur lui-même qui me l’a indiqué à propos de son livre, en me posant la question : « Tu aimes le roman social ? » Euh oui, pourquoi pas, sans doute que je le préfère au roman bourgeois, quoique j’aurai peut-être un faible pour la littérature prolétarienne, tant qu’à faire.

         Bref, peu soucieux des catégorisations, je me suis rendus compte qu’il m’arrivait, donc, de lire des romans à tonalité sociale ; bizarrement, Michel Houellebecq n’est pas situé dans cette catégorie tandis que Nicolas Mathieu en est un l’un des hérauts – un peu moins, il est vrai, depuis qu’il convole avec une princesse… 

 

  

       Enfin, après un premier souvenir de lecture marquant (Faux départ, 2017), je me suis procuré le deuxième roman de Marion Messina, La peau sur la table, et ce, malgré une couverture standardisée des plus repoussante, d’un ton vert olivâtre, réservée désormais à tous les auteurs de Fayard ! Dès les premières pages, l’on comprend qu’on a à faire à un roman social avec cette particularité que tous les curseurs sont poussés à l’extrême, du trash social en quelque sorte, un peu dans la veine de certains films de Kervern/Delépine, l’humour en moins. En effet, Messina semble hésiter ou tanguer entre le pamphlet anticapitaliste et le roman social sans que l’on sache très bien si les personnages sont des archétypes de toutes les injustices sociales, au risque d’évacuer toute densité biographique, ou s’ils sont les exemples emblématiques d’un système à la dérive, au risque d’effacer toutes formes de nuances. Au final, l’ensemble est raté, l’on ne s’accroche à rien, ni aux critiques mille fois entendues d’un capitalisme inique ni aux personnages à qui l’on fait subir les pires avanies. Le style est à l’engeant, lourd et pleurnichard.

       « Elle s’était sentie ridicule ; sa robe mal coupée qui vomissait le tissu de mauvaise qualité le long de ses cuisses trahissait un endimanchement mélancolique et désabusé. Il avait commandé un taxi sur son application de larbins géolocalisables puis ils étaient montés dans une voiture noire prétentieuse, conduite par un jeune au ton ampoulé empreint d’accent banlieusard, qui les avait menés sur le boulevard Barbès, au pied d’un immeuble au style simili-Haussmann. »

 

 

         Dans la même catégorie, l’on préférera largement le roman d’Antoine Philias, Plexiglas, publié par une petite maison d’édition (Asphalte) qui prend, elle, le soin de travailler la couverture et la mise en page, agréables au toucher et à la lecture. Présenté sous la forme d’un journal, sans doute en partie autobiographique, il raconte l’histoire d’un trentenaire désœuvré qui, obligé de retourner vivre dans sa ville natale, à Cholet, se démène pour joindre les deux bouts tout en essayant d’avoir une vie sentimentale et (homo)sexuelle à peu près décente. Un boulot alimentaire décroché dans une grande surface commerciale, située en périphérie de la ville, fait découvrir à l’ancien étudiant le monde des petites gens (les caissières, les vigiles, les femmes de ménage, les employés de commerce, etc.) qui, placés sous la houlette de managers ambitieux, tentent de survivre à un quotidien aussi routinier que haletant. Nulle pleurnicherie entre ces pages mais une description réaliste et lucide qui n’oublie jamais de quelle étoffe est faite la vie, quelle que soit la position sociale occupée : l’amitié, la débrouille, les amours, la famille, la fatigue, le courage, etc. Et il n’est guère besoin d’en rajouter pour comprendre les dégâts causés par un système économique qui pénètre jusque dans les recoins les plus intimes de la personnalité. Une plongée dans la France périphérique qui rend compte de l’existence des classes laborieuses à travers un personnage à la fois touchant et agaçant. Il y a ni héros ni victimes dans cette histoire car la réalité ne le permet pas, ne le permet plus.

       « Le vin fait passer la pizza et réchauffe Lulu, qui attend janvier pour monter le chauffage. Après une courte douche, elle se retrouve dès quinze heures en peignoir sur le canapé à enduire son genou de crème. Zappe. Dans son Doc du week-end, TF1 alerte sur les pièges du marché de l’occasion. Sur M6, Stéphane Plaza accompagne Suzette, 75 ans, retraitée de l’Essonne qui veut commencer une nouvelle vie en vendant sa grande propriété pour un logement nécessitant moins d’entretien. Tandis qu’Arte retrace l’histoire du luxe à la française, C Star propose une immersion avec les gendarmes de l’autoroute provençale. Les téléfilms de Noël se succèdent de W9 à TMC en passant par Chérie 25. Les chaînes d’information titrent sur une fête clandestine à Marseille, l’arrivée prochaine du vaccin et Patrick Bruel, venu expliquer sur BFM à quel point ce virus est une saleté. Par défaut et parce qu’elle n’a plus le courage de se relever, Lulu finit par revenir sur M6 où Stéphane vient désormais en aide à Marcel, policier des Yvelines surendetté qui doit vendre de toute urgence son appartement. Sans savoir si ce père de six enfants a été sauvé par le négociateur immobilier, Lulu est réveillée par une publicité particulièrement forte. »

 

 

« Extension du domaine de la lutte », n’est-ce pas ? Enfin, pour terminer cette virée de ce côté de la littérature, il faut citer un ouvrage complètement oublié aujourd’hui, celui d’Alain Monnier, Signé parpot, qui s’apparente à une drôle, grande et noire fantaisie sociale, un peu à la manière de Marcel Aymé. Et qui prouve, si besoin était, que l’imaginaire demeure bien le meilleur passager pour sonder les abîmes sociales du caractère humain. Goûtez-y, vous rirez.  

 

 


 

 

 

 

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