mercredi 2 mai 2012

Le syndrome de Claude


Image gracieusement prêtée par l'auteur du site http://zenegg.wordpress.com/

Il faudra donc peut-être bien s’habituer après « la vie sans AAA »[1] à la vie sans Sarkozy. Avec cinq ans d’arriérés, le petit prince des people vient de payer la note salée du Fouquet’s et de passer soudainement par-dessus le bastingage du yacht présidentiel pour boire la tasse comme jamais un président sortant ne l’avait fait avant lui. Ce gadin magistral est la bonne surprise du premier tour. On pouvait penser que la campagne, toute de Com’ vêtue et dégoulinante de pathos de Nicolas Sarkozy pouvait encore convaincre une majorité d’électeurs de la nécessité de reconduire « en pleine tempête » notre skipper en chef. Il n’en a rien été et le capitaine a commencé à sombrer avant le navire ; du moins en est-il réduit maintenant à adresser des signes d’amitié désespérés aux électeurs de Le Pen ou de Bayrou pour implorer une bouée de sauvetage que personne ne semble pour le moment déterminé à lui lancer. 

Pour ce qui est des autres « surprises », seuls quelques éditorialistes pontifiants qui semblent s’être endormis pendant le film s’étonnent encore du dégonflage de la baudruche du Front de Gauche ou du score de Marine Le Pen. « Le succès impressionnant de Marine Le Pen ne met pas en danger la victoire de la gauche. Il est tout simplement un déshonneur pour la France »[2], nous rappelle Jean Daniel dans le Nouvel Observateur.  Sortez les violons, l’air est connu et les musiciens un peu usés mais on refera un dernier tour de piste pour faire plaisir à Mémé. En attendant, les candidats encore en lice ne savent plus comment s’y prendre pour courtiser le « déshonneur pour la France » et les malheureux « électeurs empoisonnés ». N’en déplaise à Sophia Aram[3], ceux-ci ont troqués en un soir le statut de « gros cons »[4] contre celui d’« électeurs en souffrance ». S’ils ne sont pas trop stupides, Marine Le Pen ou François Bayrou doivent espérer en secret qu’en votant massivement François Hollande, tous ces malheureux souffreteux aillent enterrer le 6 mai l’UMP, dont la disparition serait pour les deux chefs du Front National et du Modem synonyme d’immenses bénéfices.

Plus que la percée de Marine Le Pen, l’installation triomphale du candidat du parti socialiste au premier tour est en elle-même la surprise de ce début d’élections. Hier soir[5], il est le premier, dans l’ordre de préséance défini par les résultats, à être reçu par un Pujadas déférent et affiche la tranquille assurance du favori et le calme olympien de celui qui a senti le vent du boulet. En conclusion de l’émission deux heures plus tard, un Franz-Olivier Giesbert intoxiqué au mitterrandisme s’acharne, entre autres platitudes vociférées à grand renfort de mouvements de bras et de tignasse, à trouver à François Hollande un petit quelque chose de Tonton. L’aimable directeur du Point doit faire souffler, à force de s’égosiller pour imposer ses géniales analyses, un vent si rafraichissant sur les plateaux de télévisions surchauffés qu’on doit l’apprécier davantage pour ses qualités de ventilateur que de chroniqueur. 

          Pour ce qui est de François Hollande, s’il semble incarner la force tranquille, c’est que son adversaire personnifie lui la panique à bord. Le visage encore plus marqué que d’habitude par les tics, le président-candidat a entamé après Hollande ses quarante-cinq minutes d’entretien en coupant directement la parole de ses interlocuteurs pour se focaliser sur son obsession du moment : faire accepter un débat supplémentaire. Ce qui lui semble sans doute être une nouvelle et brillante stratégie de communication lui fait oublier à l’antenne toute mesure : il en rajoute, en fait trop, interpelle, agresse et lasse. Une partie des commentateurs le jugeront, à la fin de l’émission, offensif et déterminé. A le voir s’agiter pendant près d’une heure sur l’écran, esquivant par la mauvaise foi ou le fait divers toute véritable question sur son programme, agressif et méprisant à tel point qu’on se demande comment François Lenglet réussit à garder son calme en face d’un pareil cuistre, Nicolas Sarkozy donne l’image malsaine et pathétique d’un histrion à la fois fuyant et hystérique. Face à ce spectacle, il n’est pas difficile de reconnaître à Hollande des qualités mitterrandiennes. Même Gérard Jugnot pourrait incarner la force tranquille à ce compte-là.

C’est d’ailleurs bien tout le mystère de François Hollande que d’être, et de n’être, que le candidat des circonstances. Raillé, moqué, jamais pris au sérieux, le fade premier secrétaire du PS qui n’est guère plus depuis 2007 dans les esprits que l’ex-compagnon de Ségolène Royal, s’est vu soudain propulsé sur le devant de la scène par la sortie de route de la locomotive Strauss-Kahn. Empesé et empêtré dans sa défroque de Flanby ou de Guimauve le conquérant, il entame un régime très médiatisé qui prête surtout à sourire pour se lancer, raide et guindé, dans la course aux primaires qu’il remporte, déjà un peu par surprise et sans vraiment susciter l’engouement, devant Aubry le pitbull et Montebourg le démondialisateur. Du moins réussit-il à obtenir un peu plus de légitimité populaire. Lentement, au cours d’une campagne présidentielle ennuyeuse et terne, son image se construit, se raffermit en quelque sorte. Il est d’autant plus étrange que son équipe de campagne ait jugé bon de dénoncer  la seule photographie qui semble rendre vraiment justice au candidat qu’il est devenu aujourd’hui, sur laquelle on voit un Hollande assis dans un TGV et plongé dans ses dossiers, concentré, travailleur, le double menton appliqué et la mine soucieuse, une image qui contraste symboliquement avec l’hypermodernité remuante de son adversaire, multipliant à tout propos les annonces et les déclarations fracassantes, hyperactif et complétement déconnecté de la réalité.




Il est vrai qu’en matière de déclarations fracassantes, Hollande a su rester prudent. Débarqué à la City, face aux traders inquiets, il rassure et traduit avec platitude sa raison d’être : « I’m not dangerous », dit-il, on s’en serait douté. Puis, « mis sur orbite » comme disent les médias, par son meeting du Bourget qui enfin lui permet de passer pour autre chose qu’un animateur de salle de Loto pour activité du dimanche au club du troisième âge, il se permet lui aussi de formuler des projets incroyables : je supprimerai, annonce-t-il sans peur, le terme race de la constitution française. Voilà un candidat qui sait pointer du doigt les problèmes essentiels, Hollande nous démontre au moins ainsi qu’il a bien compris qu’on peut toujours agir sur l’énonciation quand on n’a pas les moyens d’infléchir la réalité.  

Aujourd’hui cependant, François Hollande peut remercier les électeurs du Front National de lui avoir passablement déblayé le terrain. Cette configuration à la fois avantageuse et inconfortable pour lui, ainsi que la médiocrité survoltée de celui qui l’avait traité de « nul » au début de la campagne, installe soudain ce leader presque par hasard de la vaste confédération antisarkozyste dans une situation historique dont l’ampleur dépasse le personnage. La crise continue à empoisonner le climat social, l’euro et avec lui tout l’édifice européen vacille, tout autour de nous, nos voisins grecs, espagnols ou portugais voient leur économie s’effondrer et le palais de l’Elysée est le lieu d’une effervescence qui sent la fin de règne. Tout ceci donne à l’inoffensif, au not dangerous François Hollande une stature inédite qui rappelle un épisode antique raconté par Suétone : l’accession au pouvoir de l’empereur Claude, juste après que l’assassinat de Caligula par Chaerea et une dizaine de conjurés ait plongé l’empire romain déjà éprouvé par les frasques du tyran dans l’anarchie et la panique :

Renvoyé avec les autres par les agresseurs de Gaius[6] qui éloignaient tout le monde sous prétexte que l’empereur voulait être seul, il s’était retiré dans un cabinet, qui porte le nom d’Hermaeum ; bientôt après, terrifié par la nouvelle du crime, il se glissa en rampant vers une terrasse voisine et se dissimula dans les plis de la tenture placée devant la porte. Un soldat qui courait de tous côtés, ayant par hasard aperçu ses pieds, fut curieux de savoir qui ce pouvait bien être, le reconnut, le tira de sa cachette, et, comme Claude, terrifié, se jetait à ses genoux, le salua empereur. Ensuite, il le conduisit vers ses camarades indécis et se bornant encore à frémir. Ceux-ci le mirent dans une litière puis, comme ses esclaves s’étaient enfuis, le portèrent à tour de rôle sur leurs épaules jusqu’à leur camp, tout consterné et tremblant, tandis que la foule, sur son passage, le plaignait comme un innocent que l’on traînait au supplice.[7]

       L’histoire de Claude est à partir de là presque exemplaire. Désignée par la soldatesque désorientée comme empereur après le meurtre fort mal prémédité de Caligula, Claude, qui a traversé sans encombre le règne de son prédécesseur parce que tout le monde considérait ce pauvre et chétif bègue comme un inoffensif idiot, se révèle un des meilleurs empereurs que Rome ait jamais connu. François Hollande a en quelque sorte plusieurs fois été trouvé derrière un rideau. Après l’orgueilleux départ de Jospin en 2002, c’est lui qui a la charge de relever un parti socialiste exsangue. Après la chute de DSK, c’est lui qui s’impose comme candidat et de concours de circonstance en quiproquo c’est peut-être lui qui achèvera de faire mordre la poussière à Nicolas Sarkozy le 6 mai. Alors, après douze ans de Chirac et cinq ans de Sarkozy dont la seule réalisation, après avoir eu toutes les cartes en main en 2007, aura été de démontrer que l’on pouvait tomber encore plus bas dans la médiocrité et la vulgarité, vient soudain un espoir dont Hollande est porteur, bon gré mal gré. L’espoir de faire durablement bouger les cadres et de susciter un renouvellement politique dont on n’ose encore espérer qu’il soit salvateur si l’UMP implose. Et l’espoir de voir François Hollande, trouvé pour la campagne derrière un rideau, passer du statut de candidat pour rire à celui de chef de l’Etat et se révéler à la fois habile négociateur, digne représentant, élu responsable et conducteur de la nation lucide et éclairé. Ce serait, si un tel miracle se réalisait, ce que l’on pourrait appeler « Le syndrome de Claude ».


Article également publié sur http://hipstagazine.com/


[1] Challenges. n° 284 du 19 au 25 janvier 2012
[2] Jean Daniel. « L’avertissement. » Le Nouvel Observateur n°2477. 26 avril 2012
[3] Amuseuse du XXIe siècle, tendance gros comique et humour en service commandé. A reçu le prix  de l’Idiote Utile 2012.
[4] Voir la Matinale de France Inter. 26 juin 2011.
[5] Il est ici fait référence à l’émission de causerie Des paroles et des actes, animée par David Pujadas, recevant le 26 avril 2012 à partir de 20h30 les deux candidats à l’élection présidentielle arrivés en tête du second tour, François Hollande et Nicolas Sarkozy.
[6] Caligula
[7] Suétone. Vie de l’empereur Claude. Vie des douze Césars. Folio classique. Gallimard. 2000. p. 272

1 commentaire:

  1. FH le leader minimo, le premier dans un concours de circonstances, le cousin fâcheux, le molasson contracté...haaaa, des surnoms, nous en trouverons pas paquets de dix ! Après le félon, le frelon ! Après le teigneux, le crémeux ! Après le fieleux, le mieleux ! Après le vizir sous acide, l'émir sous vide ! Je ne vois vraiment pas en quoi ressembler à Mitterrand constituerait une fierté et devrait donner envie au peuple ! Il n'a trouvé que ça cet imbécile ! Le PS n'est vraiment qu'une caste figée dans le formol, un robinet à cons!!! Sans moi la vitouuaarrr!!!

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