jeudi 30 mai 2013

La raison du plus fou




            Un récent article de Rémi Zanni, publié initialement dans L’humanité, a fait le tour de la toile ces derniers jours. Son propos, bien que tout à fait louable puisqu’il dresse un réquisitoire plutôt bienvenue de la « phobophobie » qui s’est emparée d’une partie des milieux médiatiques et intellectuels, n’est pourtant pas nouveau. Il ne se distingue même aucunement de ce qu’on pu écrire les contempteurs de la dialectique ultraprogessiste et de l’hygiénisme idéologique depuis Philippe Muray. La propension d’un « camp du bien » autoproclamé à enfermer ses adversaires dans la rhétorique binaire et manichéenne de la moraline (pour reprendre un terme de Muray) est désormais chose connue. Elle s’étale avec complaisance sur le plateau du Petit Journal de canal+, parangon du « penser cool » et a déjà alimenté maint chroniques.
            La différence est cette fois que le coup vient directement de la gauche, et même de ce que l’on considérait du temps de nos grand-parents comme l’extrême-gauche, à savoir le journal L’humanité, organe du presque regretté PCF. Il est bon de rappeler à l’occasion, pour nos lecteurs les plus jeunes, ce que fut le Parti Communiste Français. La Section Française de l’Internationale Communiste est née en 1920, à l’occasion du Congrès de Tours et de la scission entre les partisans de l’alignement sur les thèses marxistes-léninistes et la IIIe Internationale et les défenseurs d’un socialisme réformistes conservant ses distances avec Moscou. A l’occasion de la scission entre la SFIO et la SFIC, L’Humanité est devenue l’organe de presse officielle de la SFIC, futur Parti Communiste. Celui-ci a connu ses heures de gloire dans l’entre-deux guerres avec les grands compagnons de route ou militants que furent Louis Aragon, André Gide, Paul Nizan ou Jacques Doriot avant que chacun ne poursuivent sa propre route qui mena quelquefois fort loin de la maison mère. Le Parti Communiste Français, porté par le mythe du « parti au 10000 fusillés » et par la victoire de Stalingrad, resta jusque dans les années 1970 une formation fidèlement stalinienne dont le premier secrétaire accueillait les dignitaires du grand frère soviétique en pantoufle sur le perron de son pavillon de banlieue. Aujourd’hui, le Parti Communiste est une sorte d’annexe vintage du palais de Tokyo qui sert essentiellement à organiser des défilés de mode et à permettre à Frédéric Beigbedder de jouer à organiser une campagne politique. De temps à autre, un chroniqueur libéral un peu échauffé rend hommage à la vieille formation en vilipendant avec nostalgie le péril rouge dans des éditoriaux anticommunistes qui font remonter à nos narines émues l’odeur du muguet de mai et des galettes saucisses des piquets de grève.
            C’est pourquoi il est si surprenant de voir L’Humanité publier un article politique, qui plus est intéressant, dont l’auteur se permet, en prime au nom de la dialectique marxiste, de critiquer l’obsession « antiphobique » qui constitue la rhétorique de la gauche militante et koolos. Ces derniers temps, il est vrai, la chasse aux sorcières réactionnaires et phobiques a fait quelques victimes dans les rangs de la gauche, parmi les quelques penseurs dont l’attachement trop prononcé au pluralisme idéologique et au discours critique désignaient comme de probable ennemis de la coolitude (ne craigons pas de les nommer des koolo-traîtres) voire des crypto-salauds vouées corps et âmes à servir le Moloch fasciste. Au sein même du camp du bien, la sourcilleuse arrogance des plus zélés défenseurs du bien-penser a pu, à force d’anathèmes vengeurs, faire quelques inquiets, de même que l’entrain à détruire finalement toute forme de pensée politique au sein d’un courant politique qui n’a pourtant pas, au fil des siècles, été avare en penseurs de talents. 





            D’où, peut-être, cette démonstration tout à fait censée, tant du point de vue marxiste que du point de vue du bon sens, ce qui n’est pas forcément antinomique, dans laquelle l’avisé R. Zanni reproche à ses coreligionnaires trop zélés de verser dans une forme dangereuse de mysticisme idéologico-sociétal en essentialisant l’adversaire-type des droits des minorités pour en déduire le génotype doctrinal du mal incarné. « Comment prétendre convaincre nos contradicteurs, écrit R. Zanni, quand nous nous bornons à les traiter de malades à la moindre divergence d’opinion ? » Reste à savoir si cette interrogation, tout à fait légitime, sera bien reçue car elle risque de se heurter à un mur qui n’est pas le mur d’argent mais qui s’appuie cependant sur une véritable philosophie de rentiers, qui entretiennent le présupposé idéologique comme on fait fructifier un portefeuille d’actions. Que R. Zanni se méfie car la « phobomania » est, plus qu’une simple dérive rhétorique, devenue une posture quasi-religieuse. La chasse aux phobiques de tous poils (court ou long) au nom du respect de l’égalité et de la liberté (que de tweets commis en ton nom !) provoque chez ses plus ardents partisans des transes mystiques qui feraient passer les convulsionnaires de Saint-Médard pour de sages communiants. R. Zanni peut bien, et c’est tout à son honneur, tenter de ramener son « camp » à la raison (et à plus de modération dans l’invective !), on doute en revanche que son message soit bien entendu par les improbables torquemadas de salon qui le liront et il semble plus improbable encore qu’il soit vraiment entendu. Si par malchance, sa tentative de conciliation lui valait de subir le sort récemment réservé à un Jean-Claude Michéa, quelque peu ostracisé dans les milieux de gauche, nous ne saurions que trop lui conseiller la réconfortante lecture de l’immense Gilbert Keith Chesterton, et en particulier de ce passage, tiré de l’excellent recueil Orthodoxie :

Si vous vous lancez dans une discussion avec un fou, il est fort probable que vous n’aurez pas le dessus, car son esprit est d’autant plus vif, à bien des égards, qu’il n’est pas retardé par tout ce qui va de pair avec le bon sens. Rien de l’entrave, ni le sens de l’humour, ni la charité, ni les certitudes naïves de l’expérience. Il est d’autant plus logique qu’il n’a presque plus d’affections saines. De fait, l’expression consacrée sur la folie est à cet égard trompeuse. Le fou n’est pas un homme qui a perdu la raison. Le fou est un homme qui a tout perdu sauf la raison. 






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