A
peine arrivé en poste, Benoit Hamon se doit de marquer les esprits
et de laisser au plus vite son empreinte au ministère de l'Education
Nationale. Qui sait quelle prochaine tourmente électorale ou
politique l'emportera bien vite dans les oubliettes du
parlementarisme?
On
pourrait donc penser que le bouillant finistérien a décidé de
refonder le système du collège unique et faussement démocratique
qui piétine depuis 1975 ou qu'il prend enfin à bras le corps la
nécessaire revalorisation des filières professionnelles pour
remédier enfin au problème des classes ghetto et de la prééminence
étouffante des filières générales. On suppose que peut-être
Benoit Hamon a enfin décidé de s'attaquer sérieusement à un corps
d'inspection et de formation de plus en plus parasitaire et de moins
en moins capable d'évaluer enseignants, enseignements et situations
d'enseignements? Que nenni, Benoit Hamon a décidé de réformer le
système de notation pour en finir avec la "note sanction"
qui "paralyse les élèves"... On lui répondrait
facilement que ce qui paralyse surtout les élèves ce sont les
situations familiales et sociales catastrophiques, le naufrage
complet du système éducatif dans des zones sinistrées de plus en
plus nombreuses, la dévalorisation complète de toute notion de
culture, même la plus sommaire, dont le corollaire est la mise à
l'index de l'intello devenue un sport à la mode dans les cours de
récré de France.
On
nous répondra sans doute que quand l'instrument de mesure renvoie
des mauvais résultats, il faut changer d'instrument. Après tout,
c'est la politique suivie en matière d'éducation depuis Jospin et
ses fameux 80%. Si l'on constate que l'école n'est plus capable de
former correctement les futurs citoyens et les jeunes actifs, c'est
sans doute que le système est trop sélectif. Si l'on constate que
le taux d'échec universitaire s'est considérablement accru, c'est
sans doute qu'il faut mettre en place plus de dispositifs de lutte
contre l'échec universitaire et revoir les critères d'évaluation à
la baisse. Si l'on constate que les écoliers savent moins bien
compter et écrire, c'est sans doute qu'il faut les noter moins
durement. La solution est toujours simple en termes ministériels: si
vous constatez un problème, faites varier la note ou la statistique
et le problème disparaîtra. De toute façon, les écoliers français
sont en difficulté, c'est le classement PISA qui l'a dit. Le
classement PISA, c'est un peu les dix commandements des responsables
de l'éducation aujourd'hui. Peu importe qu'il compare à la hussarde
des pays dont la population varie du simple au centuple ou qu'il
laisse les premières places à la Chine qui ne comptabilise dans le
classement que les résultats de Shanghai ou Pékin, PISA a dit cela
et "ils virent que cela était bon".
Notre
ministre a dû entendre le message de détresse des 40 000 lycéens
qui condamnaient le "carnage" de l'épreuve de maths au bac
scientifique sans considérer toutefois qu'on frôle désormais les
95% de réussite. Qu'à cela ne tienne! L'épreuve de maths sera donc
notée sur 24 et l'on mettra en oeuvre un grand chantier de
consultation pour proposer "d'autres formes d'évaluations".
En la matière, ce ne sont pas les solutions qui manquent.
Adoptera-t-on la notation par lettre du modèle anglo-saxon, histoire
de se mettre à la page de la mondialisation puisqu'il s'agit du
système désormais le plus répandu sur le globe? Ce procédé
s'adapte cependant peu, comme le notent chaque année nombre
d'étudiants étrangers venus plancher sur les bancs de l'université
française, au "cartesian way of thinking" qui fait
l'originalité – et toute la difficulté de notre système de
notation.
La
solution envisagée par le ministre serait quelque peu différente et
tiendrait en un mot: la bienveillance. Fini les notes stigmatisantes,
les 4 en maths, les 3 en allemand assortis d'un "das ist null !"
traumatisant, il suffirait de fixer une note plancher pour ne pas
enfoncer les élèves les plus mauvais. Le problème étant qu'à ce
compte-là il y aurait toujours des élèves excellents à 18 et des
cancres à 11/20 au lieu d'être à 4. La cosmétique de l'évaluation
ne cacherait pas longtemps le ravage des lacunes et les écarts de
niveau.
L'idée
de réformer le système de notation ne vient pas à proprement
parler de Benoit Hamon. Elle était déjà dans les cartons de
Vincent Peillon, que la déroute embarrassante du PS aux municipales
a poussé précocément vers la sortie. Nul doute sinon que Peillon,
défenseur de l'égalitarisme et pourfendeur des prépas, se serait
empressé d'imposer une mesure visant à faire disparaître sur le
papier les disparités si gênantes entre élèves et établissements.
L'idée de "classes sans notes" est même en cours
d'application dans certains établissements-pilotes où les signes
les plus visibles de l'échec sont pudiquement remplacés par des
évaluations de compétences. Leur principe est emprunté aux
méthodes managériales les plus en pointe, dont les pédagogues les
plus avisés s'inspirent depuis bientôt trente ans pour réformer le
système et bousculer les conventions. En lieu et place des
habituelles et désolantes notes, on trouve une collection de
compétences de niveau qui sont validées à la fois par l'élève et
par le maître ou le professeur afin de parvenir à cerner de façon
plus précise le niveau de "l'apprenant" (on ne dit plus
élève depuis longtemps ma bonne dame, c'est totalement ringard).
Plutôt que de coller un 5 ou un 6 en déplorant que le chérubin
n'ait pas repassé son cours comme il le fallait, on coche des
petites cases afin de déterminer si l'élève "sait
repèrer/analyser/restituer une information" ou s'il "possède
les acquis" et parvient "à structurer son argumentaire".
C'est moins violent que la bulle et l'appréciation lapidaire certes
mais, comme en témoignent certains enseignants en charge de ce type
de classes expérimentales, la sanction intervient souvent beaucoup
plus durement en fin d'année, quand les parents qu'on a maintenus
avec tact et délicatesse dans une douce ouate pédagogiste, à l'abri
des déplaisants constats du système d'évaluation traditionnel,
sont brutalement mis devant le fait accompli: note ou pas note, le
petit dernier n'a décidément pas le niveau et n'est toujours pas
fichu d'écrire deux phrases correctement ou d'effectuer une
soustraction. L'évidence tombe alors comme un couperet: vous aurez
beau aménager tant que possible le système d'évaluation pour le
rendre moins brutal, la sélection interviendra toujours à un moment
ou à un autre et sera d'autant plus violente qu'elle aura été
retardée. Avec ou sans notes, ce qui reste le plus stigmatisant,
c'est notre système d'enseignement général atteint de diplomite
aïgue qui a fait du baccalauréat pour tous un dogme et de la
réorientation professionnelle une infamie. En bonne méritocratie
tronquée, il convient que tous obtiennent des diplômes qui ne
valent plus tripette plutôt que de "condamner certains élèves",
pour reprendre les termes employés par l'un de ces hussards de
l'égalitarisme "à intégrer les filières techniques qui
orientent vers des métiers manuels."
L'obsession de la note
telle que nous la cultivons en France, sacralisée ou abhorrée, ne
traduit que le souverain mépris encore cultivé dans ce pays à
l'encontre de tout ce qui ne constitue pas les filières nobles et
intellectuelles. Au plus haut niveau cela nous donne une armée
mexicaine de grands administrateurs et aux niveaux inférieurs
l'engorgement des filières tertiaires qui ne sont plus capables
depuis longtemps d'assimiler la masse grandissante des désorientés
orientés là par défaut. Aux réprouvés sont laissées les
filières techniques transformées de façon parfaitement suicidaire
en filières ghetto alors qu'elles devraient logiquement contribuer
en premier lieu au dynamisme économique du pays.
Ce
constat ne désarme pas, pourtant, les experts qui planchent sur la
manière d'annhiler le plus efficacement possible notre infernal et
stigmatisant système de notation. Parmi les différentes solutions
suggérées, on trouve l'adoption d'un code de couleurs pour traduire
le niveau de l'élève de façon plus fun et plus festive sans doute,
sans risquer de le traumatiser à vie. Pourquoi dans ce cas ne pas
revenir à des méthodes salutaires employées à l'école primaire
voire à la maternelle, comme par exemple la distribution de
vignettes Panini ou d'images d'animaux aux élèves pour symboliser
et récompenser leurs performances quelles qu'elles soient? Les
collégiens seraient sans doute ravis de se voir récompenser de
leurs efforts en mathématiques par une effigie de Zlatan Ibrahimovic
à coller dans le cahier ou en haut à gauche de la copie et, au
lycée, on pourrait noter les compositions en distribuant des images
de bestioles. Un castor signalerait des efforts méritoires, un
orignal permettrait à l'élève d'entonner le brame de la victoire
et un petit dauphin autoriserait à frétiller dans les eaux
argentées du succès. A Benoit Hamon, qui sort délibérément des
sentiers battus pour s'attaquer aux vrais problèmes de l'école du
XXIe siècle, on attribuerait également un petit animal qui
récompenserait ses efforts et l'inciterait à poursuivre dans la
bonne voie: le blaireau semblerait tout à fait indiqué.
Publié sur Causeur
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