Le capitaine d'un bâtiment
de la Royale Navy s'adresse à Surcouf : « Vous, Français, vous vous battez pour
l'argent. Tandis que nous, Anglais, nous nous battons pour l'honneur ! » Et
Surcouf de répliquer : « Chacun se bat pour ce qui lui manque. »
L’anecdote est un
classique, qu’elle soit authentique ou totalement inventée, comme c’est sans
doute le cas. Elle a tout pour plaire, la justesse de l’aphorisme et la beauté
du mot d’esprit qui fait imaginer sans peine le visage de l’officier anglais
plus efficacement cinglé par la répartie que par une cravache. Les coups de
canons en deviendraient presque inutiles.
« Le roi est
nu », lançait dans le conte un petit garçon à l’empereur. L’officier
anglais drapé dans sa fausse dignité se retrouve aussi soudainement fichu à
poil que le souverain prétentieux par la simple morale contenue dans la fatale
réplique : on méprise au fond ce que l’on prétend bruyamment chérir le
plus. Le corsaire français, l’argent, et l’officier anglais, l’honneur.
L’anecdote de Surcouf
revient en tête à la lecture de deux faits d’actualité récents : la réforme
du collège et la réforme
du nom de l’UMP. Quel rapport, me
direz-vous, entre un corsaire, une réforme scolaire et le changement de nom de
l’UMP ? Avec le premier aucun, en
dehors de l’anecdote qui ouvre cet article. Les deux suivants, en revanche,
partagent une commune indifférence à l'égard des valeurs qu’ils prétendent
défendre : la démocratisation du savoir pour les réformateurs de l’école
et la République pour les nouveaux « Républicains » de l’UMP.
L’avenir de l’école devrait
susciter néanmoins un peu plus l’intérêt que le nouveau rite de résurrection
sémantique du parti de droite. La journaliste Louise Tourret rappelait en avril
2014 que trente ministres de l’Education Nationale s’étaient
succédé à la tête du ministère depuis les débuts de la Ve République. Depuis le
passage de Vincent Peillon aux commandes, deux nouveaux candidats ont repris le
flambeau jusqu’à Najat Vallaud-Belkacem aujourd’hui. Ce qui porte le compte à trente-deux, soit
une moyenne d’un ministre tous les 18 mois à peu près, chacun tentant de
laisser sa marque dans l’histoire mouvementée de l’école, avec plus ou moins de
bonheur, de Jean Berthoin (que Louise Touret avait peut-être oublié, ce qui
porterait notre compte actuel à 34), chargé par De Gaulle de redessiner le
système scolaire du nouveau régime, à la semaine de quatre jours de Xavier
Darcos en 2008…Puis la fin de la semaine de quatre jours en 2013 avec Vincent
Peillon.
Dans les interstices de ces
grandes réorientations se glissent d’innombrables réformes des programmes dont
la dernière en date, censée intervenir à la rentrée 2016, a pour ambition
de « rétablir la performance du
système éducatif, en assurant la réussite du plus grand nombre et en luttant
contre le déterminisme social, et de rendre à l’école sa mission de transmettre
et de faire partager les valeurs de la République », rappelle
le Ministre Najat Vallaud-Belkacem. La
formulation adoptée avoue en elle-même l’objectif cosmétique fixé à la réforme.
Pour lutter contre l’Infâme déterminisme, la formule magique est depuis
longtemps statistique. « Rétablir la performance », cela veut dire
taper sur les doigts des principaux et proviseurs pour obtenir des taux de
redoublement présentables, protéger le Saint-Graal idéologique et afficher
fièrement un taux de réussite de 87,9% d'admis et un pourcentage de bacheliers
dans une génération s'élevant en juin 2014 à 77,3%. « Ce taux n'avait
jamais été atteint », annonce fièrement le site
officiel du ministère de l’Education nationale.
Le problème est que cette
mirifique réussite statistique ne semble rien résoudre des désespérants
déterminismes sociaux. Le chômage des jeunes s’établissait en octobre 2014 à 23,8
% tandis que l’Observatoire de la Vie Etudiante observait (puisque c’est son travail) que seul un quart des étudiants
du supérieur sont des fils d’ouvriers…tout en sachant que le fait d’être un
étudiant ne garantit plus vraiment un emploi. L’Observatoire des
Inégalités (avec le nombre d’Observatoires que
l’on compte en France on se demande bien comment l’on n’arrive pas à être plus
clairvoyant…) souligne peut-être que l’on compte trois fois plus de chômeurs
chez les non-diplômés mais une
étude de l’APEC fait remarquer que 37 %
des Bac+5 se retrouvent au chômage un an après l’obtention de leur diplôme…
Et si le combat contre le
déterminisme social est mal engagé, celui en faveur des « valeurs de la
République » ne paraît pas gagné non plus : « le nombre global
de Français et résidents impliqués dans le djihad est passé de 555 à 1281 entre
le 1er janvier 2014 et le 16 janvier dernier, soit un bond de 130% en un
an », rapportait le Figaro en janvier, selon un dernier état des lieux des services de
renseignement, tandis que France
Info évoquait fin décembre 2014 une hausse de 116 %.
Face au tableau social
d’une France comptant désormais 3 500 000 chômeurs et à l’engouement
des jeunes français, issus ou non de l’immigration, pour la « guerre
sainte », les décapitations d’otage, les viols en réunion et autres
joyeusetés dignes des chroniques de Froissard, on peine à comprendre la logique
suivie par le Conseil supérieur des programmes. Bernard
Girard a beau tenter de défendre sur Rue89
que « l’angle de vue adopté par le Conseil supérieur des programmes (CSP)
a consisté à retenir un certain nombre de thèmes larges (…) subdivisés en sous-thèmes
facultatifs ou obligatoires » et d’expliquer que le christianisme reste
d’actualité puisque ses débuts sont toujours enseignés en classe de sixième, on
peut légitimement s’étonner de voir que des trois grandes aires de civilisation
en Méditerranée au XIIe siècle, ne subsiste en enseignement obligatoire que
l’Islam…
En vertu de cette
conception des choses, l’enseignement de l’histoire des religions ne se
réduirait-il donc qu’à une sorte de saupoudrage concurrentiel dans les
programmes ? Même chose d’ailleurs en ce qui concerne le passage en
enseignement facultatif des Lumières en classe de quatrième, « A croire qu’il ne faut pas heurter
certaines sensibilités religieuses », se demande le secrétaire général de
l’association des professeurs d’Histoire-géographie, Hubert
Tison. Il est vrai que dans l’article de Rue89
cité plus haut, l’auteur déplore que Najat Vallaud-Belkacem ait pu admettre
dans un récent
rétropédalage officiel que « la
transmission de notre histoire commune et du récit national » reste un enjeu
essentiel. Horreur, malheur, le nationalisme est encore à nos portes.
En laissant de côté les
sujets qui fâchent, on pourra simplement se demander en quoi l’intégration de
l’enseignement du latin et du grec dans le fourre-tout des « enseignements
pratiques interdisciplinaires » (EPI)
ou la suppression programmée des Sections
Européennes (5800 sections et
200 000 élèves chaque année) va contribuer à renforcer l’enseignement des
valeurs de la République et favoriser l’ouverture au monde des élèves du
secondaire. Le refrain idéologique est bien connu dans le discours ministériel
et une partie du monde enseignant : il s’agit de lutter contre les
« enseignements élitistes » et contre
les inégalités reproduites sur le plan
scolaire et culturel. O Bourdieu, que de
crimes commis en ton nom !, car ce programme de nivellement par le
bas démontre depuis quelques décennies qu’il aboutit aux résultats exactement
inverses de ce qu’il recherche : l’abaissement constant du niveau d’exigence,
la fuite des meilleurs élèves dans le privé et la disparition progressive de la
première mission de l’école qui est d’offrir, et parfois d’imposer, aux élèves
la possibilité de découvrir une autre culture que la leur, celle que l’on
encense aujourd’hui par démagogie au nom d’un égalitarisme parfaitement
mensonger.
Pour en revenir au changement de nom
de l’UMP, on peut douter que celui-ci défende mieux l’idée républicaine parce
qu’il s’appelle « Les Républicains » de la même manière que les bons
pédagogues de l’Education nationale ne lutteront pas plus contre le déterminisme
social à coups de tablettes numériques pour tous. Pour la petite histoire, racontée paraît-il dans le dernier ouvrage de Roselyne Bachelot, Nicolas Sarkozy revenu émerveillé d’une
rencontre avec Barak Obama en 2006 avait exigé « qu’on lui trouve un
noir », parce qu’il estimait peut-être que ça faisait plus américain et
moderne. De même, pour faire moderne, ceux qui décident de l’avenir de l’école
brandissent les enseignements transdisciplinaires à la carte et traquent sans
relâche tout ce qui ressemble à l’élitisme honni soi-disant au nom de
l’égalité. Surcouf avait bien raison, on clame toujours haut et fort que l’on
se bat pour ce qu’au fond on estime le moins. On peut être pirate et
parfaitement saisir les principes essentiels de la communication en politique.