lundi 7 septembre 2015

Le Code, c'est la Loi

Grand chantier de la refondation de l’école, le numérique est la pierre angulaire de la réforme initiée par Najat Vallaud-Belkacem, dans le but de promouvoir une véritable éducation aux médias : « Dès la rentrée 2015, le plan numérique issu de la concertation nationale sur le numérique, sera mis en oeuvre pour que la jeunesse soit de plain-pied dans le monde numérique », puisqu’il est bien évident que « l’acquisition des connaissances passe aujourd’hui par internet et la communication sociétale en grande partie par les réseaux sociaux. »

« Collèges connectés », « pratiques renouvelées », « enseignants innovants », la communication ministérielle égrène les formules magiques qui permettront à n’en pas douter « aux élèves de s’insérer dans la société en tant que citoyens » et de « renforcer le plaisir d’apprendre et d’aller à l’École ». « La révolution numérique est une chance pour l'école », martèle-t-on. Les professeurs de français et Victor Hugo remercient en effet certainement la révolution numérique après le torrent d’insultes qui s’est abattu sur l’auteur des Misérables au cours de la session 2014.
C’est une vieille recette du Parti Socialiste : monter en épingle les réformes sociétales après avoir définitivement constaté son échec dans le domaine social. Incapable d’appliquer dans les faits le discours égalitariste dont la gauche se grise en permanence, il lui faut donc transposer le combat pour l’égalité dans des domaines plus à la pointe de la modernité. La lutte contre les discriminations tous azimuts et le mariage pour tous n’ayant cependant pas réussi à ressusciter Jaurès mais à faire taxer de plus en plus nettement le PS de clientélisme communautariste, reste le numérique, dernière croisade, semble-t-il, d’un parti en pleine déconfiture idéologique.
Les matières ringardes et discriminantes telles que les langues anciennes ayant été gentiment remisées au placard des vieilleries rétrogrades, reste à bâtir la « nouvelle société » grâce à la tablette pour tous et au smartphone pédagogique. Et si vous vous effrayez du fait que Twitter charrie aujourd’hui les incitations à la haine et les appels aux meurtres rédigés dans un français à peine déchiffrable par une cohorte de 12-18 ans devenus incapables de survivre plus de dix minutes sans avoir les yeux rivés sur un écran, rassurez-vous : ils pourront désormais, grâce à l’école numérique, ne plus avoir à subir le désagrément de devoir éteindre leur portable à l’école et pourront rester connectés 24/24. La fabrique de zombies devrait ne s’en porter que mieux : au moins un produit d’exportation français qui marche.


Et ça commence, dès le plus jeune âge, comme s’en félicitait l’ultra-branché Xavier de la porte cette semaine sur France Culture, dans sa nouvelle chronique du mercredi matin. Xavier de la Porte semble faire partie de ces individus qui vivent dans une sorte d’extase technologique permanente, trouvant invariablement démente toute innovation et estimant, quel que soit le sujet abordé, que si c’est connecté c’est génial. Voilà un type dont les transports d’enthousiasme doivent être à la limite du contrôlable à la seule vue d’un chauffe-tasse USB.
Et bien évidemment, la révolution numérique à l’école pour Xavier de la Porte, c’est particulièrement génial. « L’école française est en train d’entamer un tournant », explique le chroniqueur qui en profite pour tacler au passage les vilains grincheux ringards du Figaro ayant encore le culot de regretter la disparition des langues anciennes et le naufrage final du collège unique. « Il n'y a pas de raison que l'humain de droite soit moins contradictoire et incohérent que le reste de l'humanité. Ca se saurait. » Tout à fait Xavier, heureusement que l’humain de gauche, lui, semble ignorer jusqu’au sens du mot « contradiction ».
D’esprit de contradiction, chez Xavier de la Porte, il ne faut pas en effet chercher l’ombre. Toute critique de l’action gouvernementale est par avance balayée. Les expérimentations numériques ont beau aller « un peu tous azimuts » confie l’animateur, « ce n’est pas critiquable en soi ». Les mauvais esprits sont prévenus : on ne relaie ici que la bonne parole. Par exemple, dans le nouveau programme de maternelle, on encouragera la création d’ateliers de familiarisation aux outils numériques, en particulier autour de la communication à distance. « Personnellement, je suis à fond pour », proclame l’enthousiaste Xavier de la Porte qui souhaite ainsi qu’on apprenne « aux enfants à se servir d’un smartphone à écran tactile afin qu’ils ne mettent pas fin toutes les trois secondes à la communication en effleurant l’écran avec leurs joues rondes peu adaptées à la technologie contemporaine. » C’est vrai que ce n’est pas très pratique ces nenfants patauds avec leurs bonnes grosses joues, et on attend donc avec impatience une prochaine mise à jour pour que les enfants en bas âge deviennent enfin un peu plus techno-compatibles. Quand on pense qu’on envoie des robots sur Mars et qu’on n’est même pas capables de remédier à cela, c’est à peine croyable. A quand, enfin, les enfants à tête plate ?


En attendant, cette évolution déterminante de la physionomie infantile, l’enseignement des petites classes va se préoccuper de réadapter un peu les cerveaux à la nouvelle société à venir. En 2001, explique Xavier de la Porte, le grand juriste Lawrence Lessig (une figure très appréciée notamment dans le monde des gens branchés qui vénèrent Steve Jobs) expliquait qu'une part toujours croissante de nos vies, de nos interactions sociales, « étant appelée à se dérouler via des plateformes informatiques, et ces plateformes consistant en des lignes de codes informatiques qui seules édictaient ce qu'il est possible ou non de faire de ces plateformes, eh bien, le code, c'est la loi. » Rassurante perspective. Voilà qui, comme le pronostiquait le philosophe Gunther Anders, définit pour les temps modernes une sorte de nouvel impératif catégorique : « Agis de telle façon que la maxime de ton action puisse être celle de l’appareil dont tu es ou vas être une pièce »[1] Anders, il est vrai, était moins branché que Jobs ou Lessig. Pire, il ne connaissait même pas internet quand il écrivait cela, en 1992, son ouvrage ayant été publié à titre posthume. Qu’aurait-il donc pensé de toute cette euphorie numérique, lui qui affirmait aussi que « la tâche morale la plus importante aujourd’hui consiste à faire comprendre aux hommes qu’ils doivent s’inquiéter et qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime »[2]
L’inquiétude n’est pas de mise pour Xavier de la Porte qui se réjouit au contraire que les élèves s’aperçoivent « de manière très effective que le code, c’est la loi, parce que pour gruger, ils devront hacker. Un bon moyen de mettre toute la jeunesse de France sur la voie de la programmation informatique. » En la matière, les possibilités paraissent sans limites. En août dernier, lors de la dernière DefCon Hacking Conference aux Etats-Unis (consacrée aux multiples dimensions du piratage), des chercheurs en sécurité informatique ont révélé qu’il était possible de pirater un compte gmail à partir d’un frigo connecté Samsung. De là à imaginer que nos petits génies pourront bientôt pirater le cahier de texte « dématérialisé » ou la boîte mail de papa ou maman en allant piquer un morceau de poulet froid dans le frigo, il n’y a qu’un pas, et Philippe K. Dick trouverait certainement cela très amusant s’il était encore de ce monde. Et Xavier de la Porte, qu’en dit-il ? A fond pour ?



Egalement publié sur Causeur


[1] Gunther Anders. Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle. Editions de l’Encyclopédie des nuisances. 2002. p. 287
[2] Ibid. Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ? Paris. Allia. 2001. p. 93

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