Grand chantier de la refondation de l’école, le numérique est
la pierre angulaire de la réforme initiée par Najat
Vallaud-Belkacem, dans le but de promouvoir une véritable éducation aux
médias : « Dès la rentrée 2015, le plan numérique
issu de la concertation nationale sur le numérique, sera mis en oeuvre pour que
la jeunesse soit de plain-pied dans le monde numérique », puisqu’il est bien
évident que « l’acquisition des connaissances passe aujourd’hui par
internet et la communication sociétale en grande partie par les réseaux
sociaux. »
« Collèges connectés », « pratiques
renouvelées », « enseignants innovants », la communication
ministérielle égrène les formules magiques qui permettront à n’en pas douter « aux
élèves de s’insérer dans la société en tant que citoyens » et de
« renforcer le plaisir d’apprendre et d’aller à l’École ». « La
révolution numérique est une chance pour l'école », martèle-t-on. Les
professeurs de français et Victor Hugo remercient en effet certainement la
révolution numérique après le torrent d’insultes qui s’est abattu sur l’auteur
des Misérables au cours de la session 2014.
C’est une vieille recette du Parti Socialiste : monter
en épingle les réformes sociétales après avoir définitivement constaté son
échec dans le domaine social. Incapable d’appliquer dans les faits le discours
égalitariste dont la gauche se grise en permanence, il lui faut donc transposer
le combat pour l’égalité dans des domaines plus à la pointe de la modernité. La
lutte contre les discriminations tous azimuts et le mariage pour tous n’ayant
cependant pas réussi à ressusciter Jaurès mais à faire taxer de plus en plus
nettement le PS de clientélisme communautariste, reste le numérique, dernière
croisade, semble-t-il, d’un parti en pleine déconfiture idéologique.
Les matières ringardes et discriminantes telles que les
langues anciennes ayant été gentiment remisées au placard des vieilleries
rétrogrades, reste à bâtir la « nouvelle société » grâce à la
tablette pour tous et au smartphone pédagogique. Et si vous vous effrayez du
fait que Twitter charrie aujourd’hui les incitations à la haine et les appels
aux meurtres rédigés dans un français à peine déchiffrable par une cohorte de
12-18 ans devenus incapables de survivre plus de dix minutes sans avoir les
yeux rivés sur un écran, rassurez-vous : ils pourront désormais, grâce à
l’école numérique, ne plus avoir à subir le désagrément de devoir éteindre leur
portable à l’école et pourront rester connectés 24/24. La fabrique de zombies
devrait ne s’en porter que mieux : au moins un produit d’exportation français
qui marche.
Et ça commence, dès le plus jeune âge, comme s’en félicitait
l’ultra-branché Xavier de la porte cette
semaine sur France Culture, dans sa nouvelle chronique du mercredi matin.
Xavier de la Porte semble faire partie de ces individus qui vivent dans une
sorte d’extase technologique permanente, trouvant invariablement démente toute
innovation et estimant, quel que soit le sujet abordé, que si c’est connecté
c’est génial. Voilà un type dont les transports d’enthousiasme doivent être à
la limite du contrôlable à la seule vue d’un chauffe-tasse USB.
Et bien évidemment, la révolution numérique à l’école pour
Xavier de la Porte, c’est particulièrement génial. « L’école française est
en train d’entamer un tournant », explique le chroniqueur qui en profite
pour tacler au passage les vilains grincheux ringards du Figaro ayant
encore le culot de regretter la disparition des langues anciennes et le
naufrage final du collège unique. « Il n'y a pas de raison que l'humain de
droite soit moins contradictoire et incohérent que le reste de l'humanité. Ca
se saurait. » Tout à fait Xavier, heureusement que l’humain de gauche,
lui, semble ignorer jusqu’au sens du mot « contradiction ».
D’esprit de contradiction, chez Xavier de la Porte, il ne
faut pas en effet chercher l’ombre. Toute critique de l’action gouvernementale
est par avance balayée. Les expérimentations numériques ont beau aller
« un peu tous azimuts » confie l’animateur, « ce n’est pas
critiquable en soi ». Les mauvais esprits sont prévenus : on ne
relaie ici que la bonne parole. Par exemple, dans le nouveau programme de
maternelle, on encouragera la création d’ateliers de familiarisation aux outils
numériques, en particulier autour de la communication à distance.
« Personnellement, je suis à fond pour », proclame l’enthousiaste
Xavier de la Porte qui souhaite ainsi qu’on apprenne « aux enfants à se
servir d’un smartphone à écran tactile afin qu’ils ne mettent pas fin
toutes les trois secondes à la communication en effleurant l’écran avec
leurs joues rondes peu adaptées à la technologie contemporaine. »
C’est vrai que ce n’est pas très pratique ces nenfants patauds avec leurs
bonnes grosses joues, et on attend donc avec impatience une prochaine mise à
jour pour que les enfants en bas âge deviennent enfin un peu plus
techno-compatibles. Quand on pense qu’on envoie des robots sur Mars et qu’on n’est
même pas capables de remédier à cela, c’est à peine croyable. A quand, enfin,
les enfants à tête plate ?
En attendant, cette évolution déterminante de la physionomie
infantile, l’enseignement des petites classes va se préoccuper de réadapter un
peu les cerveaux à la nouvelle société à venir. En 2001, explique Xavier de la
Porte, le grand juriste Lawrence Lessig (une figure très appréciée notamment
dans le monde des gens branchés qui vénèrent Steve Jobs) expliquait qu'une part
toujours croissante de nos vies, de nos interactions sociales, « étant
appelée à se dérouler via des plateformes informatiques, et ces plateformes
consistant en des lignes de codes informatiques qui seules édictaient ce qu'il
est possible ou non de faire de ces plateformes, eh bien, le code, c'est la
loi. » Rassurante perspective. Voilà qui, comme le pronostiquait le
philosophe Gunther Anders, définit pour les temps modernes une sorte de nouvel
impératif catégorique : « Agis de telle façon que la maxime de ton action
puisse être celle de l’appareil dont tu es ou vas être une pièce »[1] Anders, il est vrai, était moins branché que Jobs ou Lessig.
Pire, il ne connaissait même pas internet quand il écrivait cela, en 1992, son
ouvrage ayant été publié à titre posthume. Qu’aurait-il donc pensé de toute
cette euphorie numérique, lui qui affirmait aussi que « la tâche morale la plus
importante aujourd’hui consiste à faire comprendre aux hommes qu’ils doivent
s’inquiéter et qu’ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime »[2]
L’inquiétude n’est pas de mise pour Xavier de
la Porte qui se réjouit au contraire que les élèves s’aperçoivent « de
manière très effective que le code, c’est la loi, parce que pour gruger, ils
devront hacker. Un bon moyen de mettre toute la jeunesse de France sur la voie
de la programmation informatique. » En la matière, les possibilités
paraissent sans limites. En août dernier, lors de la dernière DefCon Hacking
Conference aux Etats-Unis (consacrée aux multiples dimensions du piratage), des
chercheurs en sécurité informatique ont révélé qu’il était possible de pirater
un compte gmail à partir d’un frigo connecté Samsung. De là à imaginer que nos
petits génies pourront bientôt pirater le cahier de texte
« dématérialisé » ou la boîte mail de papa ou maman en allant piquer
un morceau de poulet froid dans le frigo, il n’y a qu’un pas, et Philippe K.
Dick trouverait certainement cela très amusant s’il était encore de ce monde.
Et Xavier de la Porte, qu’en dit-il ? A fond pour ?
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