La collection
‘Dyschroniques’ des Editions
du Passager Clandestin propose depuis quelques années la réédition
d’auteurs de Science-Fiction ou d’anticipation en format court, sous forme de
nouvelles d’une centaine de pages. Parmi ces pépites oubliées, on trouve Les
Retombées de Jean-Pierre Andrevon (1979), Faute de temps de John
Brunner (1963), Le Testament d’un enfant mort de Philippe Curval (1978),
Un logique nommé Joe de Murray Leinster (1946), Le Mercenaire de Marck Reynolds (1962) ou La Tour des
Damnées de Brian Aldiss (1968). Si l’essentiel de la collection – dix-huit
titres – présente des récits marqués par la guerre froide ou la terreur
nucléaire, 37
° Centigrades, de Lino Aldani, fait un peu exception en décrivant un
univers d’anticipation dominé par une sorte de totalitarisme doux, à la fois
hygiéniste et consumériste. Aldani, auteur prolifique et fondateur de la revue
de science-fiction italienne Futuro, au début des années 1960, n’a pas
attendu le grand ébrouement de mai 68 pour dénoncer une le dévoiement de
l’Etat-Providence, mis au service de la grande distribution, de l’injonction
festive et de la médicalisation de la société. Dans l’Italie du futur imaginée
par l’auteur, Nico Berti, citoyen de plus en plus désabusé, fait face aux
tracasseries constantes que lui cause la toute-puissante C.G.M., la Convention
Médicale Généralisée, sorte de Sécu dotée de pouvoirs coercitifs très étendus,
capable de vous coller une amende si vous oubliez de prendre votre température
ou si vous négligez en avril de ne pas vous découvrir d’un fil.
« Nico ressortit une
main, rien qu’un instant, la leva et agita les doigts pour un salut qui se
voulait amical. Puis il essaya de filer, de l’air du Monsieur qui n’a rien à se
reprocher.
Mais Esposito l’empoigna
par le bras :
-
Gilets
de corps ?
-
Je
suis en règle, déclara le jeune homme.
-
Gros
tricot de laine ?
-
Je
l’ai mis ! Je l’ai mis !
-
C’est
bon, dit sans se démonter le petit homme de la C.G.M. Mais on ne prend jamais
assez de précautions, Monsieur Berti. En avril, ne te découvre pas d’un
fil ; aussi n’ôtez pas votre pardessus ; il y a une amende. »
Harcelé par le paternalisme
dictatorial de la C.G.M., les citoyens n’échappent pas non plus aux
sollicitations constantes de la publicité vantant par exemple les Levacars
(l’équivalent, on l’aura compris, des voitures volantes de Blade Runner)
Roëncit ou Demerces, ou tout autre produit, apparaissant sous toutes les formes
– néons, radio, hauts-parleurs, affiches – et à tous les endroits de la ville,
qui s’ajoutent aux recommandations constantes du consortium de santé.
« Toute personne trouvée sans son thermomètre est passible d’une amende de
trois cent quatre-vingt livres », avertit un panneau. « Seuls les
pauvres types vont à pied. L’homme qui connaît son affaire roule à 200 dans un
Roëncit, le Lévacar des temps modernes », proclame un autre.
Un jour, Nico en a assez de
supporter cette dictature des temps modernes et envoie tout balader –
conventionnement médical, Lévacar, pardessus et thermomètre – pour, redevenu un
homme libre et non protégé par l’Etat et l’industrie pharmaceutique, emmener sa
petite amie à la campagne – en conduisant vite et imprudemment comme un
véritable italien du temps de Dino Risi – et faire une orgie de repas
plantureux, d’alcool consommé sans modération et de siestes crapuleuses dans
les prés. L’escapade de Nico et de sa petite amie Doris se transforme en ode à
un hédonisme anarchiste, opposé à la jouissance asservie qu’une société
hypocondriaque tente d’imposer à tous. Mais bien évidemment, tout ne va pas se
passer aussi bien dans le meilleur des mondes libérés pour les deux
protagonistes de l’histoire…
Lino Aldani, figure
importante de la littérature de science-fiction en Italie, est resté en
revanche largement méconnu en France. Avec 37°Centigrades, il anticipe
de façon singulière le principe de précaution qui a envahi l’existence de l’homme
du XXIe siècle, harcelé par des recommandations incessantes, livré aux injonctions
les plus envahissantes des institutions, firmes et associations toujours un peu
plus soucieuses de sonder les reins et les cœurs. Pour la modique de 6 €, on
peut s’offrir une petite visite en 80 pages du futur cruel et burlesque
de Lino Aldani avant de revenir goûter aux paradoxes et aux tracasseries
ubuesques de notre présent.
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