Aucun autre Roi, que Richard Ier, dit " Cœur de
Lion" n'avait autant frappé les esprits de son siècle. Poète, rebelle,
homme de guerre, grand stratège, croisé, il demeure l'archétype du
roi-chevalier. « Depuis Beaufort, c'est à dire depuis la forteresse d'un rêve
de souveraineté dans le lit tumultueux de l'islam... » Richard Millet
prétend aujourd'hui ajouter un codicille aux « Lamentations de Jérémie » : ce
sera Israël depuis Beaufort, à
paraître aux éditions des Provinciales, en août 2015.
La Maison de Richard Millet.
Au mitan de sa vie, un pèlerin se retourne, pressé de
restituer à main levée les plaisirs et les jours, les saisons, les châteaux de
son paysage intérieur. Extériorité-Intériorité et retour, une des figures du
geste littéraire. Comme un paysan à la fin du jour, l'écrivain, heureux de
savoir le puits de ses ancêtres toujours actif, arpente ses terres, ses vignes
et ses biens, fait station au potager, mesure le chemin parcouru. Le nom de
« juif », élu et maudit à l’instar du poète, sépare les saisons,
rythme le temps. Son nom d'arc-portant
au fronton d'une vie dédiée à l'attente du salut.
Premier mouvement.
Millet hier guerrier parmi les ombres libanaises
naquit en France au village de Viam-qui-êtes-en Corrèze, Siom en
littérature : à une lettre près le nom de Jérusalem. La Corrèze, terre
maternelle, se fait glèbe où l’écrivain, choisit d'enraciner son œuvre,
d’édifier son tombeau. Ici encore que l'homme mûr fait vœu de reposer
demain, dédaignant l'héritage du père, Toulousain et parpaillot :
Ce
que je suis, je l'ai d'abord été, pleinement, jusqu'à l'âge de six
ans : un catholique, un enfant traversé par la lumière et la peur, un
innocent.
Fils de la Femme, le catholique hautement proclamé
choisit la filiation matrilinéaire, juive, nul ne l'ignore. Le père est
fonctionnaire, aussi avant de terminer sa carrière, non pas giralducienne de
« contrôleur de poids et mesures » mais d'entrepreneur de travaux
publics à Paris, mènera-t-il son fils au
pays du Levant, en terre sainte où chevaliers chrétiens et cavaliers du
Prophète ne cessent, depuis l'aube des temps, de se toiser et de guerroyer.
Voici la nouvelle maison de Richard
Millet. Son nom de Richard Coeur de Lion dans l'Orient désert. De six à
quatorze ans, les années décisives – celles où le «moi » se
construit dans l'adhésion et la révolte – il sera Libanais, qui reviendra s'y
croiser à l'aube de l'âge d'homme. Étrange pays que celui qui donnera son nom à
un état de fait aujourd'hui trop commun : libanisation. D'après le
Larousse : « Processus de fragmentation d'un État, résultant de
l'affrontement entre diverses communautés de confessions par allusion aux
affrontements qu'a connus le Liban dans les années 1980. On dit aussi
balkanisation.»
Vivre là-bas – au pays qui lui ressemble – exigea du
garçon qu'il perdît son accent limougeaud et apprît l'arabe, la langue sœur de
celle qu'avait parlée Jésus, la langue renée dont au-delà de la frontière usait
le peuple juif de retour d'exil. Sur les fronts baptismaux de cette vie
nouvelle, veille un couple fraternel : Marie et Moïse Hazan – ça ne
s'invente pas. De la sœur, il retient la
« figure quasi mariale », sa manière d'illustrer son nom et du frère,
son immense bonté. Devenu grand, Millet chantera, Confession négative, les armes, la terre et les morts.
Là-bas, il découvre aussi – chose inconcevable à un Français né à l'aube
des années soixante – un monde où la mention de la religion était
obligatoire sur les papiers d'identité ; aussi le crépuscule d'un monde tendrement
solfié par Maurice Barrès dans Enquête au
pays du Levant : une France aimée et estimée à l'aune de ses fruits
civilisationnels et universalisants et non pas à celle de sa politique sociale.
Une France aimable et estimable, une France-mère des peuples,
idéal-typique, puissante et valeureuse, celle-là même que le Général jadis emporta
à la semelle de ses souliers et fit refleurir dans les cœurs d'outre-mer.
Toutes choses qui ne faciliteront guère le retour du jeune Millet au pays natal
en 1967, quelques mois avant la défaite politique de « l'homme qui
fut la France ». La longue-vue de Millet – au sens du Cannociale aristotolelico de Tesauro –
dûment polie, il ne l'abandonnera plus. En quelques années, un jeune
coeur aura vu sa langue maternelle et sa terre natale, désignées comme
porteuses de lumière et détruites à l'instant sous les assauts conjoints du
capitalisme, notre nouvel universalisme et de son surgeon légitime, le
multiculturalisme étatique. Comme chaque homme ici-bas, Richard Millet est
demeuré blessé à mort du premier coup reçu, qui n'en reviendra pas. À cette
blessure, un remède s'impose. Ce sera le souvenir de la filiation davidique du
Christ. À sa manière, l'adolescent Millet fut et demeure un de ces
croisés, de si loin venu découvrir les racines judéo-chrétiennes de l'Europe.
En langue d'Annie Ernaux, fille de petits commerçants normands, ultime
surgeonne du couple Homais- Bovary, un Quichotte, devant par tous les
moyens à disposition être mis en état de nuire et conduit, prétendu obsolète,
au renoncement voire à la casse. Millet, on le sait, ne se rendra coupable
d'aucun crime d'apostasie.
Au contraire.
La tragédie du retour.
Le moyen de n'être pas, de retour d'un tel pays,
sensible aux mouvements secrets d'un autre territoire, qui, dans les années
1980, sous impulsion socialiste – grâces soient rendues aux radios
libres et à la main jaune des potes ! – sombra dans un
communautarisme, que les imbéciles, et eux seuls, jugèrent de bon aloi ? S'il
était nécessaire de répondre au chef-d'oeuvre de Linhart, L'établi, et au «livre noir sur la
condition immigrée dans la France des années 1960 et 1970 », il n'était
peut-être pas inéluctable de substituer à une injustice un forfait. Crime pour
crime. Sang pour sang. Guerre d'Algérie, dernier acte. Le drame français
s'ancrait aussi là-bas et je me permets ici de suggérer à mon lecteur de lire L'établi le plus beau livre composé en
langue française sur la condition ouvrière et la condition immigrée:
C'est
comme une anesthésie progressive : on pourrait se lover dans la torpeur du
néant et voir passer les mois, les années peut-être, pourquoi pas? Avec
toujours les mêmes échanges de mots, les gestes habituels, l'attente du
casse-croûte du matin, puis l'attente de la cantine, puis l'attente du
casse-croûte de l'après-midi, puis l'attente de cinq heures du soir. De compte
à rebours en compte à rebours, la journée finit toujours par passer. Quand on a
supporté le choc du début, le vrai péril est là. L'engourdissement. Oublier
jusqu'aux raisons de sa propre présence ici. Se satisfaire de ce miracle :
survivre. S'habituer. On s'habitue à tout, paraît-il. Se laisser couler dans la
masse. Amortir les chocs. Eviter les à-coups, prendre garde à tout ce qui
dérange. Négocier avec sa fatigue. Chercher refuge dans une sous-vie.
Linhart demeure le Primo Lévi et le Jean Cayrol de ce
crime, aussi celui qui, plus que tous, sut donner à entendre l'horreur feutrée
du racisme dans l'établissement de la domination patronale. À L'établi, le gouvernement félon du
Machiavel Mitterrand, ancien Ministre du régime de Vichy, chevalier noir de
l'ordre de la Francisque, a répondu par la conscription des Potes, ajoutant à
l'offense initiale la destruction ordonnée par Vichy des chimères hugoliennes
et péguystes de justice et d'intelligence françaises, jusqu'à conduire le cher
vieux pays au terreau nécessaire à la domination mercantile et à la guerre
civile permanente sur lit de haine intercommunautaire. Démocratie obligerait, gouvernement des
lobbies, fabrique d'opinion, guerre de tous contre tous devinrent maux communs
dans un pays où l'acculturation, loin de toucher les seuls fils d'émigrés,
s'étendrait avec la bénédiction de l'État au plus grand nombre jusqu'à faire du
pays entier une zone suburbaine, satellite d'un capitalisme supranational,
enraciné nulle part et conduisant à grande vitesse un non-peuple vers un
nouveau monde dont K. Dick et lui seul sait les arcanes et la géographie. No
futur. Fin du coup. Le roman national a changé de trame, de destinataires et de
protagonistes. Pourtant, chacun feignit de n'avoir pas troqué galaxie,
espace-temps, langue, culture pour un séjour nouveau et prétendit le peuple
inchangé. Au dictionnaire, les vieux mots subsistaient et les atlas, en fait de
nouveautés, ne notèrent que la chute du rideau de fer, quand chacun, traversant
départements et régions, paysages post-industriels et zones résidentielles,
découvrait vivre en Uchronie. Surtout en Dystopie. Le peuple muta
subrepticement. Soucheux ou importés,
les résidents du Nouveau Monde formèrent, clan bientôt majoritaire, un peuple allogène
disséminé au centre et à la périphérie des villes. Responsabilité illimitée, ce
changement de nature eut lieu semble-t-il dans l'indifférence quasi-générale,
voix lucides vite étouffées par l'accusation d'élitisme voire de fascisme.
Nommer signifia mépriser, craindre vouloir génocider. Ce fut comme un aveuglement et une surdité
collective, une anesthésie progressive et générale de tous les sens jusqu'à
celui d'entendement. Les premières métamorphoses
notables furent le nombre croissant d'obèses, d'enfants délaissés et de
cailleras, rencontrés, ça et là, sur
l'ensemble du nouveau territoire. Véritablement la planète de Jabba le
Hutt ! Ce fut ensuite au tour de la
langue de ne ressembler, dé-syntaxique et
désarticulée, à rien de connu. Murmures et chuchotements disparurent aussi, tôt
remplacés par des glapissements frénétiques hoquetant une langue complexe et
simple où se mêlaient, disharmonie extrême, au français pour débutants des
bribes de verlan, d’argot, d’arabe.
Hélas ! La France affolée de modernité s'ébaudit,
croyant assister seulement à la mort de la morale bourgeoise et à l'enterrement
d'une classe longtemps honnie. Désormais, en cet étrange monde, écoles de
commerce valaient Humanités et aucun honorable père de famille ne s'offusquait
plus que son fils prétendit vendre du vent aux Misérables... Mille détails
apparurent, signaux contradictoires, qui bientôt ne choquèrent plus personne ou
presque quand un observateur étranger les eût pris pour symptômes d'une démence
collective. Le couteau de la valeur disparut du paysage dûment remplacé par des
morales communautaires, sectaires : séparatrices. Singulièrement encore,
les politiques, frappés plus que quiconque du mal étrange, continuèrent,
inlassables, de droite à gauche et d'extrême en extrême, à parler la langue ancienne des
parlementaires et des tribuns. Un seul sujet retenait l'attention tandis que le
monde ancien, subreptice, se faisait la
malle pour jamais : la question immigrée, péril ou salut ? Un peu
court, jeunes gens, un peu court. La
première réponse fleurait bon Vichy-sur-Allier et la seconde confinait au
délire. Le moyen pour les immigrés de s'agréger à un vide ou à une
absence ? Les uns prétendaient,
vingt ans après la parution de L'établi,
les Maghrébins «heureux comme
Dieu en France» quand plus personne n'était heureux dans un semblable pays et
les autres croyaient voir en eux la cause première de la disparition du pays de
leur enfance, quand, surgis de l'autre rive de la Méditerranée, débarquèrent,
de noir et de vert vêtus, des cavaliers que l'on attendait plus ! Zizanie
chérie ! Providence des ordures ! « Divine surprise ». L’Apopo-
l’apopo- calypse cosaque, chrétienne, musulmane, juive ou simplement
révolutionnaire devint le refrain du jour. Les uns et les autres y virent
l'occasion inespérée de reconquérir qui, les territoires perdus de la
République ou de Nation et qui, de porter le dernier coup au vieux
monde ! La nuit était tombée. Personne désormais ne savait, boussole égarée, s'orienter. La confusion devint maîtresse de
la place ouvrant les portes de la stasis à une génération trop certaine de devoir perdre sa vie à la
gagner, partagée entre désir d'en être
tout de même et volonté pré-révolutionnaire d'en découdre au risque
assumé de l'apocalypse. Après tout civilisations et planètes étaient mortelles.
Vieilles encore, quelle raison les empêcheraient de subir le sort
commun ?
Richard Millet, de bonne
foi, estime que les cavaliers d'Allah boutés hors du territoire, la France,
évanouie, outragée de toutes parts, reviendra.
Il sait aussi que cette France renée renaîtra sans juifs et aussi sans
poètes, aussi se tourne-t-il vers l'instant inouï du 14 mai 1948 auquel succéda
dès l'aube du 15 mai la guerre d'Indépendance ! Oui, le XX e siècle a vu
un peuple martyre, un peuple couvert de boue et de sang entrer en majesté en
terre sainte, y recouvrir ses droits. Instant unique. Hélas à cet instant ont
succédé, comme à
l'accoutumée, l'injustice, la corruption
et le crime, rendant ce modèle problématique. Que j’aimerais pouvoir partager l’espérance
de Richard Millet !
Las, je ne le puis. Je sais le mal affreux dont la France est
frappée et moi dont aucune goutte de sang français ne coule dans les veines,
j'ai mal à cette France, mienne par la culture, la langue et l'amour
indéfectible qui m'y lie. J'ai vu, comme
chacun, après le lâche attentat contre Charlie hebdo, après cet outrage au génie de l'insolence française, au
pays du Père Duchêne et d'Ubu Roi, au pays de Diderot, de Cyrano de Bergerac,
au pays de Montaigne et du géant Gargantua, la meute hurler à l'islamophobie
avant même que quiconque ne songeât, bouleversé par l'événement, à stigmatiser
qui que ce fût. Déjà, sur les murs de
nos cités à l'envi mille et cent « Vive
Merah ! » avaient paru sans
inquiéter quiconque après qu'un vengeur algérois fut revenu sur ses pas pour
abattre d'une balle dans la tête une youpine de cinq ans. Ici l'on craint
davantage l'islamophobie que le complotisme ! La première, il est vrai,
appartenait à l'ordre du fantasme, le second, hélas, à celui des faits. Deux
bémols désormais demeurent, empêchant les citoyens français d'origine musulmane
de se proclamer pleinement heureux : le legs catholique et la part
considérable prise dans les affaires du pays par les juifs minoritaires.
Réalité niée et fantasme affirmé devinrent lot commun. Le fardeau de
l'homme blanc, ce hideux souvenir colonial, porté par les socialistes français,
se vit mystérieusement rapporté à la seule église convertisseuse et aux
marchands juifs, comme la tâche sanglante du retour de l'esclavage – due à la
seule personne de Napoléon 1er – reportée, le diable seul sait pourquoi,
aux mêmes juifs, miraculeusement redevenus cause universelle des malheurs
humains. Quand bien même il serait prouvé que les marchands musulmans
guerroyèrent longtemps contre l'Empire britannique pour conserver leurs marchés
aux esclaves... Toute l'épopée du Grand Mahdi témoigne comme celle de Boko
Haram... Le nom de juif, stigmatisé du temps de son enfance libanaise, fit
retour, condamnant Millet à ne plus s'attacher qu’au péril de libanisation de
la France. Le mal était commun. Pas un point du globe désormais où « le
libre droit des peuples à disposer d'eux-mêmes » ne se mue, miroir inversé
du totalitarisme capitaliste, en retour du religieux. Un diktat : un
peuple, un dieu, et pour défendre sa haute gloire ; un unique
moyen, la guerre sainte. En tous points du globe terrestre, les
rois du pétrole, nouveaux maîtres du monde, financent des lieux de culte,
traquent juifs et chrétiens et vont en leur désir d'expansion jusqu'à promettre
de nouveaux génocides. Promesse tenue. Lassés des utopies qui toutes ont
fait long feu, les dhimmis de la planète entière hésitent à présent entre soumission et guerre
sainte, abandonnant les derniers lecteurs de Qu'est-ce les Lumières ?et les tenants de « la religion
dans les limites de la raison » à une solitude extrême. De ce camp très
fermé, je suis, qui m'évertue à célébrer Soumission,
le splendide poème filmique de Théo Van Gogh, martyr, et à chanter la haute
gloire de Boualem Sansal, de Fethi Benslama... de tous les hommes de bonne
volonté qui, loin des sentiers de la guerre et de la haine, tentent de rallumer
le brandon naguère abandonné par Thomas d'Aquin, Maïmonide et Averroès.
De la dispute savante et non du babélisme surgit l'intelligence.
Deuxième mouvement
Millet, les juifs et le combat pour la
sauvegarde de l'identité nationale.
De retour au pays natal, Richard Millet se sentira
exilé, à l'instar de tout juif dont les parents, nés en terre étrangère,
s'évertuent à conserver et à oublier, à transmettre et à gommer en un même
mouvement contradictoire, un héritage de sang, de terreur et de mort, jusqu'à
ce qu'à nouveau, par un très singulier mouvement de balancier, la terre
d'accueil ne se fasse marâtre et qu'il ne lui faille reprendre son baluchon et
sans amour s'en aller, poussé par la terreur et l'instinct de survie, sur la
mer ! À ce terrible douaire, les juifs, d'aventure, ajoutent un legs secret de
fêtes, de chants, d'hymnes et de douceur dont aucun sociologue, aucun
politicien, aucun ami des juifs, ne saurait discourir. Le secret du shabbat :
une famille rassemblée, tournée vers Jérusalem, regarde entrer la fiancée...Très
loin de toute image de la nation, le secret juif a pour unique nom
l'amour filial, celui qu'Isaac jadis enseigna jadis à son Craignant Dieu de
Père. Pour le commun des mortels, demeurer juif c'est honorer, à l'instar
d’Énée, le vieil Anchise, son père, et non revendiquer une quelconque fierté
nationale. De l'antiquité venu, le plus ancien des monothéismes s'étaye des mos majorum et non pas du modèle
impérial devenu ecclésial. Tous les zélateurs de la nation moderne, posant,
à la va vite et à main ferme, leur grille récente d'interprétation,
manqueront de plus de la moitié la réalité de ce fait cultuel, culturel et
religieux que demeure, au-delà de tous ses avatars historiques, le judaïsme
exilique ou enraciné. Il suffit de dix juifs, d'un seul sepher thora, pour
établir une communauté. Il suffit de dix juifs, attachés à prier pour que
la souille antisémite paraisse, attentive à les chasser de céans. Sans doute
est-ce pour cette raison que le mot “peuple” apparut pour la première fois au
cinquième livre du Pentateuque, dans
la bouche de Pharaon ! De semblable manière, le miracle de la renaissance juive
n'eut point existé sans les pogroms tsaristes, leurs torchons, leurs chanteurs
et leurs idéologues. Quant à l'israélitisme français, il n'aurait pas été ce
qu'il est devenu, sans le libre consentement du lectorat français à l'abjection
drumontique, célinienne puis soralienne. Inlassable, relire Auto-émancipation de Pinsker en guise de
prémices à la compréhension de ce qui fut depuis sionisme. Tous les sionismes,
politique, opportuniste ou religieux. Je ne suis pas de ceux qui voient
la main du Seigneur derrière le massacre des innocents, trop aimé Jacques le fataliste en ma jeunesse pour
cela. Immunisée. Vaccinée. Grandie très
loin des théories providentialistes, filles de la main gauche des
émancipations, je réfuterai jusqu'à mon dernier souffle toute idée de
participation divine aux affaires humaines. Pour grands que sont les dieux, ces
maîtres et ces pères que l'homme eut nécessité d'inventer pour ordonner le
monde, ils peuvent Golem ou diableries,
nous tromper comme toujours nos
créations.
Millet aura poussé l'amicale volonté
d'identification jusques à devenir à son tour «le bouc» de l'édition française.
Il ne fallait pas être grand prophète pour deviner l'effet que produirait un
faux éloge paradoxal du geste de Breivik. Madame Ernaux-Homais jetterait
l'anathème sur Swift ; Laclos aujourd'hui serait, nul
n'en doute, par ses soins diligents, interdit pour sadisme et
Erasme, considéré comme fou de Dieu ! En cette France où tout
le monde se pique d'écrire, il semble que personne désormais ne sache plus
lire. Ajoutons à ceci le fait que seuls les minoritaires non juifs
semblent jouir du droit reconnu et illimité du recours à la violence. Les «
Blancs » auraient épuisé leur crédit. Venu pour eux le temps du seul repentir.
La curée fut abjecte. Pas un des écrivains en cour, jusqu'à ceux qui
n'avaient pas lu et ne liraient pas le texte en question, ne refusa à
sœur Annie-des-pauvres son soutien. Millet demeura dans l'arène, quoiqu'un peu
en marge de la matrice gallimardesque, et conquit du même coup la place enviée
d'irrégulier sous la protection de deux éditeurs de combat. La chevalerie
d'Occident possède deux antennes. L'une, paganise ou orthodoxe, selon la
saison, célinienne ou gnostique selon l'occasion, et l'autre à Sion-sur-Isère
où ne sont admis que les tenants d'une « alliance égarée » entre
Israël et la France. Démon de l'analogie ou secret ontologique ? Chacun,
selon sa chapelle théologico- politique ou philosophique, décidera. Les
bien-pensants et futurs collaborateurs du nouvel ordre annoncé s'étant unis
pour mélire un texte plus anticapitaliste que suprémaciste blanc, Millet aligna
les imprudences, dénonçant, à l'instar de Renaud Camus, le « grand
remplacement », disant tout haut l'évidence : à certaines heures du
jour dans les rames des RER et des TER, il arrive à un
« Gaulois » de se sentir bien seul. Et alors ? diront les
imbéciles entamant un éloge de la bigarrure, du poïkilos grec, comme si
l'édification d'un village-monde, d'un territoire à architecture unifiée sans
autres frontières que les limites bancaires, entretenait le moindre rapport
avec une quelconque cité des justes. Les juifs, comme à l'accoutumée tenant
fonction de « canaris dans la mine », purent, les premiers, témoigner
d'une cohabitation devenue impossible. Mitterrand post mortem avait accompli
l'oeuvre de Vichy, quand les professeurs d'histoire, un à un, renoncèrent dans
le plus profond silence à faire étudier « le pogrom majeur de l'ère
industrielle » et que les élèves juifs des quartiers populaires et des
banlieues durent quitter le système scolaire officiel et trouver refuge, à la
grande joie des plus sots d'entre eux et des zélateurs des ghettos, dans des
écoles juives. Ce qui ne devait pas arriver est arrivé. Voici à nouveau les
israélites concordataires en marge de l'Empire défunt et de la République,
menacés encore de se voir instrumentés par les chrétiens sionistes.
Ceux-ci estiment nécessaire que les juifs, soit se convertissent, comme le fit
un des ses anciens auteurs qu'il prise au plus haut point, à la Nouvelle
Alliance, soit quittent leur pays natal pour rejoindre, heureux hommes, leur
patrie charnelle. Au service d’Israël pour le triomphe du Christ et
prétendent que sur le modèle juif, la France renaisse chrétienne et estiment
les juifs « heureux d'avoir un lieu où entrer » !
Ici la lectrice, mézigue, disside...
Gangréné par le
capitalisme et le retour de l'antisémitisme mondialisé, Israël 2015 n'a que peu
à voir avec la terre de la grande promesse où débarqua, un matin de janvier
1936, un certain Orde Charle Wingate pour inventer Tsahal, intimider les
Arabes, pourfendre le livre blanc et bouter les mandataires britanniques ! En
eretz aussi il est bien tard et la folie des colons déjà est connue de
l'univers entier, que les Israéliens,
partisans d'un petit Israël, partagé avec les Arabes qui furent depuis
Palestiniens, n'avaient cessé de dénoncer depuis des années dans l'indifférence
générale. Honte à ceux par qui le nom de
juif illustre la vulgate antisémite ! Responsabilité illimitée d'un peuple au
si douloureux destin ! À présent me voici sommée de quitter la France.
Indésirable, les catholiques me crient : « Tu as un pays, va, cours,
vole et le sers ! », les antisémites païens, néo-maurrassiens ou pas me
sussurent à l'oreille « fiche ton camp, francophobe !» et les autres,
gauchistes, néo-marxiens, soraliens, sans s'embarrasser d'aucune politesse, s'impatientent « Talmudo-sionarde, décampe et fissa,
t'as rien à faire ici » ! Pas
franchement agréable. Une consolation, situation partagée par tous les
descendants d'israélites français, qui ne parlent qu'une seule langue, ont pour
amis des «soucheux» et tenaient à mourir au pays où ils avaient connu leurs
éveils linguistiques, familiaux ou sentimentaux. Ce pays où leurs parents
avaient choisi de demeurer, de croître, de se multiplier et d'être enterrés,
ils le considéraient leur et quand ils devront partir, chassés par les Français
soumis, c'est lui et lui seul, qu'ils emporteront à la semelle de leurs
souliers.
W ou le souvenir d'enfance. J'emporterai la Place des
Fêtes de mon enfance et la fraîcheur de l'eau du lac d'Annecy où j'ai appris à
nager et les allées du Luxembourg à la tombée de la nuit avant que les gardiens
ne sifflent et, mes pas dans les pas de Barrès, quand j'arpente Paris et
l'angle du boulevard Morland où d'Artagnan, un instant, détourna le regard pour
laisser le surintendant Fouquet et la marquise de Sévigné se parler pour la
dernière fois... J'emporterai la vision émerveillée que j'avais, enfant de
Paris, du haut de la rue de Belleville, et la triste douceur de l'école
primaire de la rue des Lilas où j'ai senti pour la première fois battre
le cœur d'une France que je retrouverai, intacte, lisant Alain-Fournier et
Péguy. J'emporterai ma peur d'enfant, pénétrant dans la gigantesque prison que
fut pour moi le lycée Hélène-Boucher, et tous les livres dont je me souviendrai
porteront à jamais l'empreinte du café, de la rame de métro, du jardin, du
canapé ou du lit où je les aurais dévorés et à moi, voici que l'on m'explique,
que je devrai me réjouir de devoir m'exiler dans cette nasse, menacée par Daesh
et mille autres ennemis, exilée dans une banlieue- dortoir parce que je n'ai
pas les moyens d'acquérir – la faute aux capitalistes égoïstes et à la
bulle immobilière ! – un studio dans les beaux quartiers des trois
grandes villes du pays. Pas de Bauhaus pour mézigue ! Juste du
béton triste au cœur du désert ou en zones frontalières. Pour émigrer en eretz,
il faut avoir 20 ans, la vie devant soi,
des muscles et de la chair, du cœur et de la force, de quoi tenir un fusil,
garder les frontières du pays menacé et non seulement se souvenir de la
promesse. La promesse, il m'en souvient, juive sans espoir d'un après, juive
sans emouna ni foi, quand dans mes livres surgit un arc-en-ciel ou qu'un
dibbouck menace d'envahir un de mes personnages, mais je n'ai nulle envie
d'affronter, après la folie française, celle des Craignants-Dieu qui m'estiment
mauvaise juive de sacrifier parfois au culte de Cochonou ou de Justin Bridou ou
même de tenir le crachoir et de ne rester pas, tranquille, à la maison à élever
les enfants...
Politique et Salut.
"Contre
cette soumission politico-religieuse, réaffirmons, envers et contre tout, la
nécessité du salut, du catholicisme et de ses racines juives."
Israël
depuis Beaufort... Le titre est beau, qui évoque les chevaliers francs,
venus en Palestine délivrer le tombeau de Messire Christ et dans le même geste,
l'inutile combat mené par l'armée israélienne en cette même forteresse, reprise
au hezbollah en 1980, et abandonnée après d'inutiles pertes, dont
témoigne le beau roman de Joseph Cedar, qui en fit un film lui aussi tout à
fait remarquable : une sorte de Désert
des Tartares en terre croisée.
Millet prône une alliance judéo-chrétienne contre un
ennemi commun. Des ennemis communs : «impies, païens, régicides,
hédonistes, nihilistes gouvernés par les princes de ce monde», contre ces
ennemis du genre humain, il se revendique catholique, «suscitant les
juifs de l'ancien testament en même temps que les pères de l'église et aussi
ces liturgistes de l'universel que sont les grands musiciens.... tant
d'autres qui signent à leur façon l'alliance entre ces deux testaments. »
Millet en appelle à Paul Claudel qui, en 1941, rappela son
respect dans une lettre au Grand Rabbin de Paris du droit d'aînesse
d'Israël, ce qui valut à Claudel la vindicte et la souille de Je suis
partout, texte très librement republié aujourd'hui par Isa Audern, une
officine d'extrême-droite, qu'il serait très mal vu d'interdire tant la morale
soixante-huitarde sert également les brutes pseudo ou post marxistes et les nostalgiques
de l'Europe de Drieu, païens et néos maurassiens, quenellistes et autres héros de notre
temps : cette belle France dûment
cimentée, comme au temps du brave
général Boulanger, par l'antisémitisme.
La posture de Millet
n'a rien d'affectée, celle que sa biographie, son éducation, ses
souffrances et sa patiente réflexion ont
forgée, en ceci je la respecte, tout en conservant, brûlante au
cœur, la douloureuse question du droit d'aînesse. En effet, La Bible recèle bien des enseignements.
Parmi eux, le possible triomphe du puîné, Isaac sur Ismaël, Jacob
sur Esaü, Joseph sur ses frères et
m'interroge sur les conditions de survie du judaïsme dans la tourmente
contemporaine. Vers l'Espagne andalouse, à nouveau, je me tourne, et me
souviens du lien unissant la première apparition de la prière silencieuse dans
le livre de la Genèse 12-24, au secret devant être conservé face à Laban,
l'infidèle, frère de Rebecca, notre deuxième matriarche. Déjà le marranisme
face à l'allié qui se révélera demain l'adversaire...
Il existe mille manières d'être juif, catholique ou
seulement humain. Pour moi, l'amour de Dieu, le commandement de devenir une
lettre du texte, prévalent sur tous les commandements. Le dernier revient
c'est toujours le Premier: « Aimer Dieu, marcher dans ses voies, le
servir de tout son cœur et de toute son âme ». Parfois, je rêve de voir
tous les catholiques redevenir simplement juifs, « circoncire leur
cœur » ainsi qu'il est dit au verset 16 chapitre X du Deutéronome :
« Ayez donc soin de circoncire votre cœur et ne vous endurcissez pas
davantage » mais à ce compte, il faudrait aussi que les catholiques
fassent leur le verset 18 du même livre: «Aimez les étrangers, parce que
vous l'avez été vous-mêmes en Égypte... »
Contre l'inimitié musulmane, je choisis, à
l'instar d'Aragon, poète de l'île-de-France, d'aimer les étrangers et prie
Dieu-qui-n'existe-pas de me donner la force de ne jamais succomber aux
puissances de la haine. Je me souviens aussi que les hommes ne sont que de passage
sur une Terre qui n'appartient qu'à Dieu en nue propriété et que nous ne sommes
possesseurs en droit mosaïque que des caveaux de nos pères. À ce titre, je suis
française et non israélienne, n'ayant pas gardé, barrésienne blonde, les rives
du Jourdain ni porté l'uniforme vert-olive. À ce titre, je demeure
du Livre et non pas de la Terre. Longue vie et salut à Richard Millet. Que
l'amitié qui nous unit nous demeure dans nos différences comme dans nos
convergences, en littérature et en espérance françaises.
S. V.
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