Eté oblige, les polémiques ont
quitté les bancs de l’Assemblée ou l’atmosphère étouffante des grandes
métropoles pour camper, au milieu des pâtés de sable et des vendeurs de
chouchous, sur les plages de France. Tout a commencé, comme il se doit en
matière de plage, sur la Côte d’Azur, à Vallauris Golfe-Juan, près de Cannes, qui
eut l’honneur de recevoir en juillet la visite de Salmane Ben Abdelaziz Al-Saoud,
roi d’Arabie Saoudite. A l’annonce de la venue du monarque, commerçants et
édiles ont déroulé le tapis rouge sur le sable azuréen pour accueillir la suite
royale. Les vendeurs de parfums ont apprêté leurs plus capiteuses fragrances, les
bijoutiers ont déployé leurs plus somptueuses parures, les restaurateurs ont
dressé leurs plus belles tables et les cuisiniers ont tyrannisé les gâte-sauces
et mis leurs marmitons sur le grill. Les élus locaux firent fête au souverain
de l’intransigeante théocratie, affectant d’oublier les 90 exécutions
organisées en Arabie Saoudite depuis le début de l’année 2015, et s’empressèrent
de dérouler le tapis rouge sur le sable azuréen, en privatisant temporairement
la plage publique située devant la villa royale et en autorisant l’installation
temporaire d’un ascenseur permettant à Son Auguste Surcharge Pondérale d’accéder
à SA plage avec plus de commodité. L’affaire prit cependant une tournure plus
embarrassante quand Salmane d’Arabie se déclara indisposé par
la présence d’une femme dans la Compagnie Républicaine de Sécurité affectée
à sa protection. Alors que la France se remettait à peine de la terrible affaire des
maillots de bain de Reims, les protestations s’élevèrent, provoquant
finalement le départ du roi et de sa suite vers une destination plus
accueillante, ne laissant pour seul souvenir aux Vallauriens qu’une dalle de
béton coulée sur la plage, en indélébile hommage à l’obséquiosité empressée de
ses hôtes.
Par un juste retour des
choses, la polémique s’est déplacée en août du bord de mer aux bords de Seine,
de la Côte d’Azur à Paris-Plage. Chaque été depuis 2002, la rive droite de la
Seine est envahie par les parasols, les palmiers en pot et le sable déversé par
bennes entières sur le pavé pour offrir aux Parisiens n’ayant pas la chance de
pouvoir se rendre à Cannes ou au Touquet entre la mi-juillet et la mi-août un
ersatz de villégiature balnéaire. Comme le dit un ami du sud de la
France : « Paris-Plage c’est pareil que Saint-Tropez, en été les deux
sont réservés aux Parisiens. » La canicule de 2003 contribua fortement à
assurer le succès de ce que Philippe Muray qualifiait de « burlesque
opération d’intoxication néo-balnéaire » et l’événement attire chaque année à Paris quelques
millions de visiteurs venus profiter du bassin flottant, de cours de danse, de
soirées DJ, de cours de fitness ou d’initiations au Segway, cette espèce de pupitre
motorisé sur lequel même Dean Martin aurait l’air ridicule. La manifestation
s’est enrichie d’année en année de nouvelles animations thématiques : le Brésil
– pays festif par excellence – fut à l’honneur, en 2006, tandis qu’un
pique-nique géant était organisé de la place de l’Hôtel de Ville au centre
Georges Pompidou en 2008. Même Mickey fut de la fête et vint inaugurer en
personne une réplique en sable géante du château de Disneyland-Paris en 2011. Pour
marquer de son empreinte le sable de Paris-Plage, Anne Hidalgo, nouvellement
élue maire de Paris, décida donc que se tiendrait cette année une journée
« Tel-Aviv-sur-Seine ». Si on y réfléchit bien, l’idée n’est pas si
mauvaise tant la correspondance semble évidente entre la manifestation, devenue
avec la Gay Pride ou la Techno Parade l’un des emblèmes du festivisme parisien,
et le microcosme balnéaire et festif de Tel-Aviv, décrit avec une certaine
justesse en 2006 par Eytan Fox dans le film The Bubble, au titre
évocateur.
Buster Keaton, le véritable inventeur du Segway
Le contexte international
s’est révélé cependant assez défavorable à l’initiative, peu de temps après
l’assassinat d’une famille, dont un nourrisson, au cocktail Molotov par des
ultra-orthodoxes juifs en Cisjordanie, le 31 juillet dernier. Si la venue du
roi d’Arabie Saoudite et ses histoires de plage privatisée et bétonnée ont
modérément fait bruisser internet, l’annonce de l’organisation de « Tel-Aviv-sur-Seine »
a en revanche électrisé la toile et a englouti les palmiers et les parasols de
Paris-plage sous un déchaînement de protestations. Parmi celles-ci on a pu
remarquer tout particulièrement celle de Danielle Simonnet, conseillère de
Paris et secrétaire nationale du Parti de Gauche, qui a saisi immédiatement
l’occasion de capitaliser sur l’émotion et l’indignation suscitées par la
conjonction des événements.
Les rôles s’étant une fois
de plus bien distribués, il paraît difficile de trancher l’affaire. La mairie
de Paris défend la cause du festivisme pour tous, de Paris-plage à Tel-Aviv. «Nous
voulions une initiative festive avec des animations ludiques, gratuites, des
concerts, des food-trucks et autres», a rappelé Bruno Julliard sur Europe 1. L’opinion
publique virtuelle et les réseaux sociaux réagissent quant à eux de manière
quasiment pavlovienne et chargent tête baissée dès que l’on mentionne le mot
« Israël » ou n’importe quel terme associé au champ lexical du
conflit israélo-palestinien. Le Front de Gauche, par la voix de Danielle
Simonnet, fait son boulot d’agitateur de tendances en agitant tout ce qu’il
peut à la tribune de l’indignation médiatique. Pour réconcilier tout le monde,
il existe cependant une solution : il suffit de remettre à plus tard la
journée telavivienne et d’organiser à la place une journée en l’honneur de Salmane
Ben Abdelaziz Al-Saoud, roi d’Arabie Saoudite, nouvel invité d’honneur de
Paris-Plage. Cela représenterait un élégant geste d’excuse vis-à-vis du malheureux
souverain saoudien si injustement traité par la municipalité de Vallauris, au
point de devoir écourter ses vacances. Ce serait l’occasion de tenter une
expérience innovante en créant une microrépublique islamique ludico-festive (MILF) sur
les bords de Seine et cela résoudrait beaucoup de problèmes en France : la
tweetosphère indignée, le NPA et le Front de Gauche seraient ainsi satisfaits
qu’on ne parle plus de Tel-Aviv. On répondrait aussi définitivement à la
question du financement de Paris-plage en privatisant tout le périmètre de la
manifestation, de l’hôtel de ville au centre Pompidou, sans oublier le bassin
de la Villette. On éviterait les nuisances sonores et l’abus de tenues
vestimentaires indécentes en faisant interdire les DJs et toute forme de production
musicale dans le secteur concerné, tandis que le seul vêtement de bain autorisé
autour du bassin flottant serait le burkini. Les risques de débordements
seraient aussi considérablement réduits grâce à l’interdiction absolue de
l’alcool et l’on pourrait par ailleurs faciliter la compréhension de l’islam saoudien
en organisant des randonnées-découvertes de Paris emmenées par des prêcheurs
salafistes montés sur Segway, tandis que des ateliers décapitations et des
soirées « Charia pour tous » mettraient une ambiance du tonnerre
de 16h à 19h. On rouvrirait aussi les rives de la Seine à la circulation
automobile pour organiser un défilé en continu de belles bagnoles face à lafoule en liesse des plagistes et puisque Salmane a l’air de s’y connaître un
peu en ascenseurs, il pourrait en profiter pour installer un nouveau funiculaire
flambant neuf et plaqué or à Montmartre. Pour finir, on pourrait proposer au
pétromonarque de faire couler une belle dalle de béton place de l’Hôtel de
Ville sur laquelle les commerçants parisiens éperdus de gratitude et rendus tous
millionnaires viendraient déposer des gerbes de fleur et des montres plaqué or.
Voilà. Problème réglé, la République Islamique de Paris-plage (RIP) est née.
Sinon à part ça, il se
passe quoi dans le monde ?
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