jeudi 4 février 2016

Portraits imaginaires (3) - L'intégriste




Né sous d’autres latitudes, et hormis ses accoutrements, il serait identique. Face de haine renfrognée sur elle-même ; tourné vers ses abîmes qu’il prend pour un mystère, remâchant ses obsessions jusqu’à leur faire rendre gorge dans le ridicule, qu’importe le culte auquel il a choisi de donner son obole, Juif, Chrétien, Musulman sont les masques différents d’une attitude semblable, et c’est un drôle de constat que de les voir s’insulter les uns les autres, quand nus ils sont, en vérité, les frères d’un ordre qui n’existait probablement pas lors de ces temps passés qu’ils vénèrent et qu’ils observent sans les comprendre à la lumière de leur fantasme.
Fruit contemporain d’une époque qui hait l’altérité, il pousse le subjectivisme à son dernier degré d’intensité, se convainquant ainsi qu’il n’en est plus l’esclave lors qu’il n’a fait que détruire tout ce qui aurait pu le contrecarrer. C’est pourquoi il sort peu hors de ses rangs, et voit dans le monde une menace de ce ciel vengeur qu’il désire seulement sien. L’idée fixe lui tient lieu de pensée et c’est souvent les mêmes obsessions qu’il crache perpétuellement. Le sexe prend bonne part parmi ses lubies, et quoique le condamnant, il en parle sans cesse. De tempérament principalement hystérique, il rappelle ces caricatures de vieilles filles acariâtres qui, pucelles après l’âge, et bien qu’ayant renoncé à la chair subissent toujours ses assauts. Éternel adolescent, il ignore la mesure, la tempérance, et rêve d’éternité lors qu’il s’ébat toujours à l’intérieur d’une puberté douloureuse. Jumeau déshérité d’un temps qui ne se soucie que de jouissance, il a pris pour lui la frustration, laquelle l’effrayait sans doute moins que le désir putréfié dans l’extase qui règne partout aujourd’hui. Cependant, il demeure étranger à tout refus aristocratique, et ce n’est pas un choix personnel qui l’a destiné à prendre place au côté des contempteurs de la décadence mais plutôt cette économie diabolique qui fait écrire à Kafka : « Dans la guerre qui t’oppose au monde seconde le monde ». Allié secret de celui-ci, il œuvre pour sa victoire, car chacun des anathèmes qu’il lance à son encontre rend le monde un peu plus fort.

C’est que son appétit de revanche demeure inextinguible, et que l’envie le dévore. Aussi jamais il ne se l’avouera de peur d’y sombrer tout entier peut-être, mais plus sûrement pour en jouir sans remords et se repaître de ce qu’il condamne sans en subir les tristes conséquences. Jouir autrement, à l’insu de tous et de soi-même, c’est jouir quand même. Et il est certaines frustrations qui surpassent en obscénité la pire des bacchanales ; des jouissances supérieures, que la frustration rend plus lubriques encore, et que sont bien incapables de nous prodiguer les meilleures des caresses. 

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