vendredi 7 octobre 2016

Les lèvres rouges : une si délicieuse étrangeté



          
Pour la rentrée, Arte a eu la délicatesse d’organiser un cycle  au nom bien mal choisi « ciné trash » et à la thématique si bien ordonnée : le désir et l’érotisme. Vampyros Lesbos de Jess Franco, Photo interdite d’une bourgeoise de Luciano Ercoli et Les lèvres rouges de Harry Kümel constituent les trois films de ce cycle encanaillé où se mêlent la séduction vampirique, le fantastique occulte et une légère teinte de sadisme.  

         Nous nous intéresserons plus précisément au troisième, Les lèvres rouges, qui porte en lui quelque chose de si étrange, de si délicieusement étrange, que l’on est comme étourdi par ce parfum des années 1970, à la fois langoureux et mélancolique. L’histoire, avouons-le, n’est pas des plus originales : la célèbre comtesse Bathory vampirise une jeune mariée dans un hôtel suranné d’Ostende, au bord d’une plage déserte balayée par les vents d’hiver. Et pourtant, tous les ingrédients du genre fantastique, à la douce épouvante, sont réunis pour que la fine pellicule érotique recouvre toutes les scènes, même les plus anodines. Ce n’est sans doute pas un hasard si son réalisateur, Harry Kümel, s’est vu décerné le titre de « Régent de Démonologie et Occultisme » par le Collège de pataphysique belge. Il se glisse partout une si délicieuse étrangeté, comme un petit écart entre la perception et le réel qui permet à la magie d’opérer.




         Les personnages, d’abord, sont d’une beauté spectrale, tout droit sortis d’un vieux film impressionniste recoloré aux teintes vives pour l’occasion. Il faut voir la comtesse Bathory, incarnée par la sublime Delphine Seyrig, sortir de sa voiture dans un fondu d’ombres qui laisse apparaître ses longues bottines noires, puis son visage caché par une fine dentelle dont seules les lèvres rouge sang parviennent à s’échapper. Le charme presque désuet d’une bouche ciselée pour la nuit. Son assistante, la jeune Ilona (incarnée par l’énigmatique Andrea Rau), cintré dans son uniforme, la coupe au carré, le même rouge à lèvre sang. Et Pierre, le réceptionniste de l’hôtel, qui, reconnaissant la comtesse vu quarante années auparavant, se signale par une voix tremblotante, un haussement de sourcil, sans jamais se départir de son impeccable civilité, de sa discipline au cordeau. Le jeune couple (les futures victimes de la comtesse) est, quant à lui, à l’image des années 1970 : elle, si prévisible dans son innocent amour, lui, davantage tiraillé par le mystère de l’union. 



         Bien entendu, le film est d’une lenteur à décourager tous les adeptes contemporains du cinéma tremblotant de la caméra à l'épaule, qui épouse les soubresauts de leurs âmes maladives. Tout ici, au contraire, se fige dans de longs plans-séquences dont les images habitent l’espace et les paroles dictent le temps. Les lèvres rouges est un film éminemment symbolique – « emblématique » précisera le réalisateur – dans lequel la réalité se dédouble dans ses images, autrement dit, se déroule dans l’imaginaire de celui qui la regarde. C’est en quelque sorte une succession de petites cérémonies aux parfums parfois désuets, so kitsch. Les tenues à la fois élégantes et excentriques, très seventies, semblent revêtues par des prêtresses fantômatiques qui se déplacent dans un décorum aux couleurs chatoyantes. L’on bascule doucement dans le fantastique grâce à la merveilleuse musique de François de Roubaix qui distille ici et là des mélopées tristes et entêtantes. Les sons électroniques finissent par envahir toutes les scènes du film déchirant le voile de l'étrange, mêlés aux cris, au ressac de la mer qui s’entendent au loin. Imaginons, donc, un instant la comtesse Bathory, dans sa robe rouge d’araignée, s’emparer de l’âme de Stefan (le jeune marié) à mesure qu’elle décrit, avec suavité, les supplices réservées aux jeunes vierges - et l'on y décernera même une pointe d'ironie.

         Enfin, pour ajouter au plaisir, les dialogues se tissent toujours autour du mythe vampirique afin d’évoquer l’amour dans sa pure jeunesse, dans sa beauté première, pendant même qu’il est déjà guetté par la flétrissure du temps, les abîmes de l’oubli.




Liens pour voir le film : http://www.arte.tv/guide/fr/043424-000-A/les-levres-rouges?country=FR








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