vendredi 30 septembre 2016

De Nocturama aux Verticaux, le venin du nihilisme ordinaire




« Je suis vaguement nihiliste », « Je suis nihiliste malgré moi, contre moi », « La société me rend fatalement nihiliste », telles pourraient être les devises du nihilisme ordinaire voire du nihilisme victimaire, celui qui ramène les individus à eux-mêmes après qu’ils aient tenté d’échapper à l’emprise de la société, sans succès. Ils retombent dans leur moi, comme brisés, avec le sentiment que tout est fini.

         Bertrand Bonello nous en donne un formidable exemple dans son dernier film, étrange à bien des égards, Nocturama. Selon plusieurs critiques, ce film s’inscrit naturellement dans le sillage de ses deux précédents au motif qu’il s’agit de nouveau d’un récit pessimiste aux teintes décadentes appuyées. Cela nous paraît être une erreur d’interprétation : en effet, il y a un art de vivre crépusculaire dans la maison close de la fin du XIXè siècle que met en scène L’Appolonide (2011) comme il y a une beauté lugubre dans la chute du grand couturier que relate son (Yves) Saint Laurent (2014). Avec ces deux films, Bonello capte quelque chose de la fin d’une époque, avec cette beauté traînante, cette humeur passagère que seule la décadence peut offrir – on songe à la maestria de Visconti. La fin de la chute semble toujours belle ; elle ramasse dans un condensé tout ce dont elle a été le signe. Rien de tout cela dans Nocturama. La décadence est en quelque sorte passée et le nouveau monde, s’il doit y en avoir un, n’est pas encore advenu. 

Ainsi, le film met en scène une bande de jeunes gens (16 à 20 ans), très différents les uns des autres – tout du moins dans leurs apparences (leurs looks) –, qui commettent une vague d’attentats simultanés dans Paris. Au début du film, on les voit aller et venir d’un point à l’autre de Paris dans une précision clinique afin de poser des pains de plastic. Pour quelles raisons ? On ne le sait pas vraiment, il est vaguement question d’une sorte d’anarchisme anticapitaliste mais l’on comprend vite que le ressort de l’action, chez ces jeunes gens, est ailleurs, dans une sorte de fatigue d’être soi (avant l’heure), un vide que l’on tente de remplir par le bruit des explosions. Après la réussite des attentats, leurs promoteurs se retrouvent dans un grand magasin, du style des Galeries Lafayette, selon les modalités établies dans leurs plans de repli. Ils doivent y passer la nuit, avec l’aide de l’un des surveillants, avant de regagner, chacun, leurs demeures familiales. 

C’est alors un autre film qui commence, aux séquences longues parfois même ennuyeuses, qui se fait s’entrechoquer une multitude de situations et d’émotions. On dispose alors d’une sorte de kaléidoscope de cette jeunesse paumée ou, plus exactement, vidée (au sens littéral) ; il n’y a pas vraiment de colères, de désirs, d’envies, de réflexions, etc., juste cet écho immense qui provient du vide d’être. Le film met alors en abîme l’écart extraordinaire qui existe entre les actions violentes, les crimes commis et les réactions, si ordinaires, si banales, de leurs exécutants. Assurément, ils n’ont pas, ils ne peuvent pas avoir conscience du terrorisme sauvage qu’ils portent en eux. C’est pourquoi, nous les voyons, la nuit, dans ce grand magasin, se livrer à ce qu’ils savent faire de mieux : consommer et jouer. La seule transcendance qui semble encore à leur portée est la musique, ces titres entêtants qui leurs soulèvent un peu l’âme, comme un fétiche auquel on s’accroche. Nocturama interpelle d’autant plus que son portrait de jeunesse semble rejoindre notre actualité brûlante, sidérante, marqué par l’arrestation de plusieurs adolescents accusés de radicalisation islamiste, prêts à passer à l’acte ! Un personnage du film justifie d’ailleurs ses actes en empruntant, de façon subliminale, au langage islamiste actuel – celui-ci n’est-il pas l’apanage de tous les nihilismes ? A cette différence près, que le nihilisme n’est plus une option politique, un engagement révolutionnaire mais le reflet d’un vide qui, lorsque plus rien ne résonne en soi, se transforme en rage meurtrière. Nihilisme victimaire. 

Nous ne dirons rien de la dernière partie du film, qui vous scotche au fond du siège et qui vous laisse au clap de fin pantois, éberlué, sonné. Les derniers mots du film étant : « Aidez-moi ! », « Aide-moi ! ». 




On retrouve également cette sorte de nihilisme dans l’un des romans de la rentrée : Les verticaux de Romaric Sangars. Là encore, au vu du titre, nous nous attendions à une riposte bien sentie contre le monde tel qu’il va. Or, il s’agit plutôt d’un récit atmosphérique, écrit entièrement à l’imparfait dans un style limpide, dans lequel les tentatives d’échappées débouchent inexorablement sur une impasse. Les principaux personnages, plus âgés que ceux de Nocturama, n’en ressentent pas moins le même vide. Ils en ont seulement un peu plus conscience et éprouvent le besoin de faire quelque chose, comme pour sortir de la nasse. Mais les appels à la verticalité, que ce soient dans les références à l’antique chevalerie, dans la volonté de briser les idoles modernes ou encore dans les débordements mystiques ne parviennent pas à hisser leurs âmes au niveau du ciel. Aussi assistons-nous avec le personnage principal, le journaliste mondain Vincent Revel, à l’épuisement des possibles : la révolte, l’amour, la dignité, la mystique, etc. Décidément, plus rien ne marche. Seul l’imparfait peut nous raconter ces tentatives avortées car, pour le présent, il est déjà trop tard. 






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