« Je suis vaguement nihiliste »,
« Je suis nihiliste malgré moi, contre moi », « La société me
rend fatalement nihiliste », telles pourraient être les devises du nihilisme
ordinaire voire du nihilisme victimaire, celui qui ramène les individus à
eux-mêmes après qu’ils aient tenté d’échapper à l’emprise de la société, sans
succès. Ils retombent dans leur moi, comme brisés, avec le sentiment que tout
est fini.
Bertrand Bonello nous en donne un
formidable exemple dans son dernier film, étrange à bien des égards, Nocturama. Selon plusieurs critiques, ce
film s’inscrit naturellement dans le sillage de ses deux précédents au motif qu’il
s’agit de nouveau d’un récit pessimiste aux teintes décadentes appuyées. Cela
nous paraît être une erreur d’interprétation : en effet, il y a un art de
vivre crépusculaire dans la maison close de la fin du XIXè siècle que
met en scène L’Appolonide (2011) comme
il y a une beauté lugubre dans la chute du grand couturier que relate son (Yves)
Saint Laurent (2014). Avec ces deux
films, Bonello capte quelque chose de la fin d’une époque, avec cette beauté
traînante, cette humeur passagère que seule la décadence peut offrir – on songe
à la maestria de Visconti. La fin de la chute semble toujours belle ; elle
ramasse dans un condensé tout ce dont elle a été le signe. Rien de tout cela
dans Nocturama. La décadence est en
quelque sorte passée et le nouveau monde, s’il doit y en avoir un, n’est pas
encore advenu.
Ainsi,
le film met en scène une bande de jeunes gens (16 à 20 ans), très différents
les uns des autres – tout du moins dans leurs apparences (leurs looks) –, qui commettent une vague
d’attentats simultanés dans Paris. Au début du film, on les voit aller et venir
d’un point à l’autre de Paris dans une précision clinique afin de poser des
pains de plastic. Pour quelles raisons ? On ne le sait pas vraiment, il
est vaguement question d’une sorte d’anarchisme anticapitaliste mais l’on
comprend vite que le ressort de l’action, chez ces jeunes gens, est ailleurs,
dans une sorte de fatigue d’être soi (avant l’heure), un vide que l’on tente de
remplir par le bruit des explosions. Après la réussite des attentats, leurs
promoteurs se retrouvent dans un grand magasin, du style des Galeries Lafayette,
selon les modalités établies dans leurs plans de repli. Ils doivent y passer la
nuit, avec l’aide de l’un des surveillants, avant de regagner, chacun, leurs
demeures familiales.
C’est
alors un autre film qui commence, aux séquences longues parfois même
ennuyeuses, qui se fait s’entrechoquer une multitude de situations et
d’émotions. On dispose alors d’une sorte de kaléidoscope de cette jeunesse
paumée ou, plus exactement, vidée (au sens littéral) ; il n’y a pas
vraiment de colères, de désirs, d’envies, de réflexions, etc., juste cet écho
immense qui provient du vide d’être. Le film met alors en abîme l’écart
extraordinaire qui existe entre les actions violentes, les crimes commis et les
réactions, si ordinaires, si banales, de leurs exécutants. Assurément, ils
n’ont pas, ils ne peuvent pas avoir conscience du terrorisme sauvage qu’ils
portent en eux. C’est pourquoi, nous les voyons, la nuit, dans ce grand
magasin, se livrer à ce qu’ils savent faire de mieux : consommer et jouer.
La seule transcendance qui semble encore à leur portée est la musique, ces
titres entêtants qui leurs soulèvent un peu l’âme, comme un fétiche auquel on
s’accroche. Nocturama interpelle
d’autant plus que son portrait de jeunesse semble rejoindre notre actualité
brûlante, sidérante, marqué par l’arrestation de plusieurs adolescents accusés
de radicalisation islamiste, prêts à passer à l’acte ! Un personnage du
film justifie d’ailleurs ses actes en empruntant, de façon subliminale, au
langage islamiste actuel – celui-ci n’est-il pas l’apanage de tous les
nihilismes ? A cette différence près, que le nihilisme n’est plus une
option politique, un engagement révolutionnaire mais le reflet d’un vide qui,
lorsque plus rien ne résonne en soi, se transforme en rage meurtrière.
Nihilisme victimaire.
Nous
ne dirons rien de la dernière partie du film, qui vous scotche au fond du siège
et qui vous laisse au clap de fin pantois, éberlué, sonné. Les derniers mots du
film étant : « Aidez-moi ! »,
« Aide-moi ! ».
On
retrouve également cette sorte de nihilisme dans l’un des romans de la
rentrée : Les verticaux de
Romaric Sangars. Là encore, au vu du titre, nous nous attendions à une riposte
bien sentie contre le monde tel qu’il va. Or, il s’agit plutôt d’un récit
atmosphérique, écrit entièrement à l’imparfait dans un style limpide, dans
lequel les tentatives d’échappées débouchent inexorablement sur une impasse.
Les principaux personnages, plus âgés que ceux de Nocturama, n’en ressentent pas moins le même vide. Ils en ont
seulement un peu plus conscience et éprouvent le besoin de faire quelque chose,
comme pour sortir de la nasse. Mais les appels à la verticalité, que ce soient
dans les références à l’antique chevalerie, dans la volonté de briser les
idoles modernes ou encore dans les débordements mystiques ne parviennent pas à
hisser leurs âmes au niveau du ciel. Aussi assistons-nous avec le personnage
principal, le journaliste mondain Vincent Revel, à l’épuisement des
possibles : la révolte, l’amour, la dignité, la mystique, etc. Décidément,
plus rien ne marche. Seul l’imparfait peut nous raconter ces tentatives
avortées car, pour le présent, il est déjà trop tard.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire