En provenance directe du
site Mauvaise nouvelle, nous reprenons une belle recension du roman de Romaric Sangars, Les verticaux, signée Sarah Vajda; recension qui nous
fait dériver du côté d’Abellio, de Roux, Debord et quelques autres.
Si l’on peut résumer
grossièrement Rester
Vertical – sorti le 24 août 2016, le même jour que Les Verticaux du
primo-romancier Sangars, à l’injonction de « Bander encore », comment
qualifier l’élan du primo-romancier ? Si Rester vertical, conte barbare - Pasolini
au Larzac - parvient à synthétiser sur le mode de la farce l’état de
décomposition avancée de la société française et à révéler par l’absurde les
blessures du mâle européen blanc, hétéro ou homo, Les Verticaux se risque à une variation
autour d’anciens motifs littéraires, particulièrement celui qu’illustra
le comte Arthur de Gobineau en ses merveilleuses Pléiades, repris à l’envi par tout ce
que la France, l’Europe, le monde compta de valeureux : que faire de nos
vieilles et saintes valeurs aujourd’hui démonétisées ? Le moyen, en un
siècle marchand, de conserver l’âme de Beethoven, celle du Napoléon de Hegel,
de Dante accoté à Virgile, de Shakespeare ? Comment, en une telle
circonstance, l’homme pourrait-il encore se proclamer de l’étoffe dont sont
faits les songes ? Le motif inspire le respect et Romaric Sangars mérite,
ne serait-ce que pour avoir osé la question, une oreille. Inutile d’agiter un
mouchoir blanc, je lui décerne d’emblée la seconde oreille. Pour l’allure. Pour
la désinvolture. Olé. Pour l’exigence littéraire et la haute tenue du
volume. Restent la queue et le tour d’honneur…
Une question taraude nos
contemporains de l’âge de raison à la tombe : le moyen, désir passé entier
aux mains du Capital, de désirer encore ? Comment affronter l’origine du
monde (le tableau de Courbet) à l’âge de la GPA et la finitude en temps
d’euthanasie ? Comment garder ferme en main le couteau de la valeur
dans un monde acharné à détruire la valeur ? Rien de nouveau sous le
soleil. Des deux bords de l’échiquier politique, le motif de la
conspiration s’impose.
Sous le signe du cardinal
de Retz et de sa Conjuration
du comte Jean-Louis de Fiesque (1639) iront et Raymond Abellio et
Guy Debord, pour ne se découvrir, à la fin de la grande aventure, qu’une
maîtresse, la Littérature. Elle avait paru le chemin qui en était
l’objet. De Debord, en effet, s’il n’était demeuré que le jeune nihiliste
tenaillé par la furieuse envie de faire sauter toutes les églises de France,
personne ne parlerait plus aujourd’hui. Personne enfin chez Gallimard ou dans
le Landerneau. Le Grand d’Espagne et ses contrats, le maître du chiasme et de
la litote eût rejoint Ravachol, Verloc et Kirillov au rayon démonologie. De
Raymond Abellio dont la grâce littéraire fut moins éclatante survécurent la
théorie de la dérive des continents et le motif d’Eurasie : une gnose
géopolitique, opposant la civilisation thalassocratique anglo-saxonne,
protestante, d’esprit capitaliste à la civilisation continentale,
russe-eurasienne, orthodoxe et musulmane, d’esprit socialiste. Tout un
programme auquel préside comme dans toute gnose qui se respecte le seul démon
de l’analogie. L’Occident, le lieu où le soleil se couche, représenterait le
déclin, la dissolution et l’Eurasie, la renaissance, le pays des dieux, puisque
c’est là que le soleil se lève. En arrière-plan toujours une société secrète.
De bar en bar, occupés à défaire le monde des « fils de roi »
s’agitent. Déjà Dominique de Roux et Jean Parvulesco, talonné par un gugusse
borgne … Sous le signe de Bismarck, consommaient-ils du « Black
Velvet », ce coquetel Champagne/Guinness dont s’abreuvent les héros ou les
antihéros sangarsiens ? Je crois me souvenir que Roux au contraire
d’Hallier était plutôt du genre abstème.
Sangars évite d’aller trop
avant dans les pas de Dominique de Roux. Il s’agit avant tout d’échapper
au réel, à l’ennui des jours et au désastre. Multipliant les beaux gestes, les
gestes-manifestes, retrouver l’élan, l’énergie barrésienne sans la soumettre à
aucun général. Boulanger ou un autre. Au-delà du politique, là où « les
ruines de leur futur » témoignent pour les révoltés et abolissent le monde
comme il va. Mal, Madame la Marquise, mal. Sous le signe de l’échec et de la
lucidité, trois jeunes gens réécrivent L’Education
sentimentale. Ça ne se terminera pas mieux pour eux que pour
Frédéric et Deslauriers. Aussi devenu vieux, le soir à la chandelle,
Revel/Stark, Romaric Sangars, conviendra que la jeunesse aura été ce qu’il aura
eu de meilleur.
A-t-il choisi de faire
mourir Stark pour substituer à l’idée de la « belle mort » celle de
la « bonne mort » ? A-t-il renoncé à la posture héroïco-terroriste
dans un monde déjà bien encombré de héros et de martyrs ? Parviendra-t-il
à l’instar de Barrès à convertir le je
en nous ou
choisira-t-il de poursuivre, enfant aux semelles de vent, sa quête de liberté
contre les murailles de la nécessité ? Attendons son prochain roman.
Suerte à
l’impétueux ! Les amants de Nimier, à coup sûr, offriront, salida a hombros, le
tour d’honneur et la queue au cadet de Bastille, et se réjouiront de voir
François Sanders, son alter ego Saint-Anne et la belle Florence, rejoints au
Panthéon des lettres françaises par le trio sangarsien. Les amants de Claude
Simon, de Saul Bellow, d’Amos Oz, de David Grossman ou de Salman Rushdie, pour
qui le romancier n’est qu’une plaque sensible où le monde imprime ses dits et contredits,
sa forme, ses ombres, ses rêves et ses images, feront sans doute la fine
bouche. Il n’importe !
Suerte au
Hussard bleu !
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