La
fête d'Halloween est arrivée avec son cortège de spectres,
d'apparitions fantomatiques et de monstres. Cette année d'ailleurs, les
devantures des commerces se sont parées dès le début octobre de toiles
d'araignées et de citrouilles en plastique et même l'Education Nationale s'est
mise à l'heure américaine et jointe à la fête en sortant de ces placards un nouveau monstre : la Constante
macabre. Les enseignants de collège et de lycée ont ainsi reçu dans le
courant du mois de septembre un mail émanant du MCLCM, soit le « Mouvement
Contre la Constante Macabre », qui les invitaient, avec le soutien
ministériel et académique, à participer à des formations plus approfondies pour
comprendre les enjeux et les avantages de cette nouvelle croisade pédagogique
innovante.
La
Constante Macabre, cela sonne bien, avouons-le. On imagine un
titre de polar dans lequel un prof devenu fou aurait décidé d'assassiner
méthodiquement ses élèves n'ayant pas obtenu la moyenne : Destination
finale pour les cancres et les habitués du radiateur. L'auteur de ce nouveau
thriller pédago est un universitaire, André Antibi[1],
« chercheur en didactique », nous apprend sa page Wikipédia, qui
affirme dans son ouvrage de référence, La Constante macabre, paru en
2003, aux éditions Math'Adore : « Par 'Constante macabre', j'entends
qu'inconsciemment les enseignants s'arrangent toujours, sous la pression de la
société, pour mettre un certain pourcentage de mauvaises notes. Ce pourcentage
est la constante macabre. » Résultant des travaux de thèse du chercheur[2], le concept
de 'constante macabre' établit donc qu'il existerait un pourcentage
irréductible de mauvaises notes attribuées au cours de leurs évaluations par
l'écrasante majorité des professeurs, suivant une courbe de Gauss, déterminant
une grosse moyenne de notes situées dans un écart-type entre « pas
folichon » et « peut mieux faire » et deux autres catégories
constituées par les très mauvais résultats d'un côté et de l'autre les
excellentes prestations des forts en thèmes et des premiers de la classe, ceux
qui nous horripilaient systématiquement en prétendant hypocritement avoir raté
le contrôle, alors que tout le monde savait qu'ils récolteraient comme
d'habitude un 18. D'après ses recherches et les sondages qu'il a effectué
auprès de la population enseignante, André Antibi affirme que 95 % des
professeurs ont conscience que la
constante macabre existe bel et bien. Pire, ils auraient même tendance à
n'être pas si inconscients que cela de leur sadisme en faisant exprès d'imposer
à leurs malheureux élèves des questions pièges et des problèmes qui n'ont pas
été étudiés en cours afin de pouvoir leur coller des mauvaises notes pour
passer pour des durs auprès de leurs collègues et bien faire sentir à leurs
malheureux étudiants que leur cours à eux, c'est pas de la bibine. Cet injuste
système, affirme André Antibi, aboutit, une fois de plus, à la discrimination
systématique des mauvais élèves, qui accumulent éternellement les mauvaises
notes en dépit de tous leurs efforts, comme Sisyphe roule son rocher, situation
menant à l'anxiété chronique, au désespoir, au décrochage scolaire et pour
finir à la fin de la civilisation telle que nous la connaissons.
De
fait, pour lutter contre ce nouvel avatar de l'insupportable processus sélectif
encore et toujours défendu par les agents de la méritocratie réactionnaire, le
MCLCM – en partenariat avec la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire
(DGESCO, pour les intimes…) - propose de substituer à l'antique et funeste
système de la notation macabre, un dispositif complètement innovant et beaucoup
moins morbide appelé EPCC : « Evaluation par Contrat
Confiance ». Fort du soutien institutionnel, le MCLCM et son EPCC partent
donc à la conquête des enseignants et au secours des élèves avec un programme
du tonnerre pour révolutionner l'évaluation des élèves et rendre les contrôles
moins injustes, jugez-en plutôt :
« 1) la présentation
claire et précise des objectifs que les élèves doivent atteindre,
ce qui leur permet de mieux suivre la leçon, pour le professeur d’obtenir une
meilleure attention de la classe, mais également, pour les parents, de
mieux accompagner leurs enfants dans leurs apprentissages, et donc leur
scolarité ;
2) une séance de
"questions-réponses", avant l'évaluation, accompagnée au besoin, d'une
"fiche de révision", afin de cibler les éventuelles difficultés des
élèves et donc d'agir en amont sur l'évaluation ;
3) l'évaluation en elle-même qui doit reprendre pour 3/4, les objectifs de la séquence ( phase de restitution ), et pour 1/4, "aller plus loin" ( phase de transfert ), c'est à dire, soit de réinvestir des connaissances ou des capacités déjà acquises lors de précédentes leçons, soit d'évaluer des connaissances ou des capacités supplémentaires "hors programme" selon le désir de l'enseignant »
3) l'évaluation en elle-même qui doit reprendre pour 3/4, les objectifs de la séquence ( phase de restitution ), et pour 1/4, "aller plus loin" ( phase de transfert ), c'est à dire, soit de réinvestir des connaissances ou des capacités déjà acquises lors de précédentes leçons, soit d'évaluer des connaissances ou des capacités supplémentaires "hors programme" selon le désir de l'enseignant »
Attendez
une minute... Ce « Contrat de Confiance » incroyablement
novateur et révolutionnaire, ne serait-ce pas ce qui existe déjà depuis un
sacré bout de temps ? Si on résume les trois points de
l' « Evaluation par Contrat Confiance », cela revient en effet
à : 1) Indiquer clairement aux élèves sur quelle leçon on est en train de
travailler et indiquer tout aussi clairement avant le devoir quelles
parties de la leçon il faut réviser ; 2) Organiser une petite séance de
révision avant le devoir, revenir sur les difficultés rencontrées par les
élèves et au besoin résumer à nouveau les notions principales ; 3) faire
en sorte que le jour du contrôle, les questions reprennent si possible ce qui a
été vu en cours. En somme, tout ce qui reste de vraiment très novateur
là-dedans c'est l'intitulé de la réforme, « Evaluation par Contrat de
Confiance », slogan accrocheur qu'un concessionnaire automobile ou un vendeur
d'électro-ménager ne renierait pas. A croire que nos pédagogues suivent désormais
des séminaires en commun avec les étudiants des écoles de commerce…
Mais
qu'est-ce qui a pu faire croire aux petits génies du « Mouvement Contre
la Constante Macabre » et à leur gourou André Antibi, que les
enseignants n'avait jamais pensé avant eux qu'il fallait que les contrôles
portent sur les leçons apprises en cours ? Dans quels établissements du
secondaire notre vaillant croisé de la lutte contre la notation funèbre a-t-il
pu faire ses armes pour en conclure que le fait d'indiquer aux élèves quoi
réviser pouvait les aider à avoir de meilleures notes ? La réponse est
simple : sans doute aucun. Ou alors c'était il y a très longtemps.
Comme
le rappelle avec justesse un enseignant dans un article vengeur :
« Je ne suis pas chercheur mais je suis prêt à parier que M. Antibi n'a
pas vu, depuis longtemps, un paquet de copies du second degré. Il saurait que
depuis des lustres nous n'avons plus (sauf peut-être dans quelques paradis que
j'ignore) de classes dotées d'un tiers de bons et un tiers de moyens. Cela,
c'était l'école de grand-papa, celle d'avant l'essor des sciences de
l'éducation. »[3]
Non seulement donc, André Antibi et son MCLCM se targuent de fabriquer du
révolutionnaire avec de l'évidence mais ils paraissent aussi, comme une bonne
partie des théoriciens et décideurs qui veillent à (dé)construire depuis trente
ans une « école plus égalitaire », ignorer complètement un simple
constant : l'inégalité ne se retrouve plus aujourd'hui dans un système
éducatif qui amène 88,5 % des candidats au baccalauréat à obtenir leur
précieux sésame[4]
mais bien à la sortie du système éducatif. 43,8 % des inscrits en première
année de fac ne passent pas en première année et près d'un tiers abandonne
l'université avant d'avoir achevé leur année. Le taux monte à 56 % pour
les détenteurs d'un bac professionnel[5]. Une
constante macabre à laquelle ne semble pas avoir encore réfléchi André Antibi, sans
doute encore trop occupé à transformer la pierre en roche et à redonner au mot
révolution son sens premier et astronomique : revenir à son point de
départ.
Article publié sur Causeur
[1] Actuellement directeur de l'Institut de
Recherche sur l'Enseignement des mathématiques (IREM) à Toulouse.
[2] André Antibi. Etudes sur l'enseignement
de méthodes de démonstration. Enseignement de la notion de limite :
réflexions, propositions. 1988. Thèse poursuivie sous la direction de
Pierre Ettinger.
[3] Bernard Turpin. Le système Antibi ou
l'école des charlatans. www.sauv.net/antibi.php
[4] 82,2 % pour le bac professionnel, un
record selon le ministère, 91,4 % pour le bac général et 90,7 % pour
le bac technologique.
[5] « La réussite et l'échec en premier
cycle ». Etude réalisée par la Direction de la Prospective et de la
Performance, mandatée par le ministère de l'Education nationale et de
l'enseignement supérieur. 2013
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