La victoire de Fillon aux primaires de
la droite a soulevé une grande liesse dans ce qu’il est convenu d’appeler un
peu rapidement le « peuple de droite ». Disons que deux de ses
principales clientèles électorales ont jeté leur dévolu sur la mine
mélancolique de François Fillon. Les premiers, électeurs catholiques issus de
la Manif pour tous, ont voté utile en préférant l’ancien Premier ministre à
Jean-Frédéric Poisson tandis que les seconds, retraités des classes favorisées,
ont bien compris comment faire fructifier leur patrimoine tout en disant aux
générations précédentes qu’ils devaient trimer davantage. Est-ce là le réveil
du conservatisme à la française ? Patrick Buisson – que l’on a connu plus
inspiré – a parlé d’une « révolution conservatrice », Chantal Delsol
a titré dans les colonnes d’un Figaro
en transe son article : « La droite est née dimanche
dernier », le MEDEF a sabré le champagne pour saluer le retour des années
1980, etc. Bref, le tout Paris du conservatisme pépère s’est repris à croire au
grand soir : celui de la lutte des classes à l’envers.
Sans vouloir passer pour des oiseaux de
mauvaise augure, la victoire de ceux qui se présentent volontiers comme des
conservateurs nous a fait penser à cette ancienne comédie de Saint-Amand Antier
et Frédérick Lemaître ; comédie dans laquelle un escroc du nom de Robert
Macaire prenait dans ses filets un bourgeois crédule qui se voyait affubler du
nom de « gogo ». Nous croyons, en effet, que les électeurs des
primaires de la droite sont des gogos qui se sont laissés enfumer par une
posture sévère et deux ou trois réflexions traditionnelles qui cachent bien mal
la teneur ultralibérale d’un programme sans foi ni loi. C’est revivre encore le
déjà très long mirage qui fait croire aux conservateurs qu’ils pourront tenir
en bride la société alors même que celle-ci est livrée sans vergogne aux
logiques pernicieuses du marché. Au moins, Eric Zemmour a le mérite d’en
rappeler les résultats catastrophiques : « La “Dame de fer” avait
pour haute ambition de restaurer l’éthique victorienne de l’effort, du travail,
de l’épargne, de la religion et de la patrie. Elle était sincère et déterminée.
Mais le marché n’avait que faire de ses ambitions morales et l’Angleterre
devint le pays du culte de l’argent, du cosmopolitisme de la ville-monde
Londres, des mafias russes et des paradis fiscaux, de l’alcoolisme de masse des
jeunes et des grossesses précoces des adolescentes (…) »[1].
Beau tableau que l’on nous propose de revisiter dans une France que l’on sait
pourtant au bord de l’effondrement moral et social. Est-ce bien le moment de
lui administrer un remède de cheval qui n’a à peu près fonctionné nulle
part ?
En vérité, le libéralisme n’est pas
soluble dans le conservatisme. En revanche, le conservatisme se dissout
volontiers dans la marmite libérale. Les soixante-huitards libertaires
croyaient avoir trouvé un refuge confortable auprès de leurs amis fortunés bien
installés aux postes de commande. Ils ont même cru avoir gagné la bataille des
idées. Or, le vent tourne et comme les affaires sont les affaires, il n’y a
strictement aucune raison pour que les « grands de ce monde »
ne changent pas leurs fusils d’épaule : après tout, qu’est-ce qu’ils en
ont à fiche des réformes sociétales soi-disant émancipatrices ? Assouplir
le marché du travail, baisser les charges des entreprises, relancer les grands
traités commerciaux sous l’égide de la bureaucratie bruxelloise, désétatiser la
sécurité sociale, tout cela peut bien se faire sous le couvert d’un discours
moraliste de retour aux valeurs. On notera à cet égard que pas une mesure
prodiguée par Fillon dans ce qu’il appelle le blitzkrieg des trois premiers mois ne renvoie aux valeurs conservatrices
si chèrement défendues par ailleurs. Ainsi, les libéraux-libertaires peuvent-ils
bien laisser la place aux libéraux-conservateurs (les « libcons ») sans que le programme
économique ne change d’un iota.
Et pourtant, il faut rappeler que le
véritable conservatisme ne se réduit pas à ce robinet d’eau tiède ouvert par
les tenants d’un libéralisme bon teint. Au contraire, il est toujours radical,
antilibéral et disons-le révolutionnaire ! Radical parce qu’il ne peut pas
se résumer à quelques slogans politiques qui fleurent bon la tradition ;
il se doit d’être mis en œuvre dans des formes de vie qui atteste de sa
survivance. Ainsi, les plus hautes valeurs dont il se réclame – l’honneur, la
dignité, la transmission, l’humilité, la hiérarchie, etc. – n’ont de sens que
si elles sont reprises puis expérimentées par chaque génération. Autrement dit,
la tradition doit toujours être réactualisée voire réinventée en fonction des
conditions sociales de l’époque. Antilibéral, le conservatisme l’est évidemment
puisqu’il n’a pas d’autres choix que de remettre en cause l’idéologie du marché
qui a sapé, une à une, de façon méthodique, toutes les valeurs fondamentales
pour faire de l’homme un être égoïste, calculateur, cupide, auto-référencé,
désirant, nihiliste, etc. Roger Scruton parle à ce sujet d’« un
matérialisme athée, parfumé d’absurdités marxistes » qui a introduit un « manque
fondamental d’humilité dans les âmes de la nouvelle génération »[2]. Enfin,
le conservatisme est devenu littéralement révolutionnaire puisqu’il ne pourra
effectivement renaître qu’au prix d’un renversement complet des modalités actuelles
de l’existence. A défaut, il continuera à donner un surplus d’âme à un système
qui en est totalement dépourvu et à attirer à lui, paradoxalement, les gogos
qui ne voient pas plus loin que le bout de leurs nez.
Article repris sur le blog Eléments
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