Formation
aussi culte qu'underground, Club Moral a commencé sa longue carrière au tout
début des années 80, emmenée par Danny Devos, performeur extrême et par
Anne-Mie Von Kerckoven, artiste plasticienne et musicienne. Connu et révéré par
un public d'initiés, Club Moral a d'abord sévi dans sa Belgique natale avant
d'enchaîner les performances aux côtés de formations aussi emblématiques que
NON ou Whitehouse. Déclaré mort en 2005, au point d'avoir son propre
« monuments aux morts » exposé à la galerie des Beaux-Arts d'Anvers
portant les noms de près de 300 artistes ayant contribué au collectif, qui
aurait cru que le Club Moral renaîtrait un samedi de décembre 2016 au Marquis
de Sade à Rennes et que le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) de
Bretagne déciderait un jour d'exposer les œuvres d'Anne-Mie Von
Kerckoven ? L'art contemporain deviendrait-il enfin provocateur ? A
l'issue du concert du samedi 10 décembre, les Idiots ont obtenu un entretien
avec les deux fondateurs du Club Moral.
Idiocratie :
Quand est né Club Moral ?
Anne-Mie
Von Kerckoven/Danny Devos : Nous avons commencé en
1981. Il y a plus de trente ans, en Belgique, à Anvers.
Idiocratie :
Quel était le projet de Club Moral à vos débuts ? Comment cela a-t-il
commencé ?
AK/DD :
Au
début des années 80, la scène industrielle commençait à se développer en
Belgique. On s'est rencontré à ce moment-là. J'avais (Anne-Mie Von Kerckoven)
loué trois grandes chambres dans un complexe industriel. L'une des chambres
était occupée par Dany qui m'a proposé d'inviter des artistes et des amis
bruxellois pour monter des performances. Il n'y avait pas à cette époque de
lieu à Anvers où ce genre de choses pouvaient se faire et où on pouvait voir et
entendre de la musique comme ça. A Bruxelles, ça existait mais pas encore à
Anvers.
Idiocratie :
C'est à partir de là qu'a débuté le Club Moral ?
AK/DD :
Oui.
On s'est mis d'abord à inviter nos amis comme Etat Brut [Etat Brut
est un groupe bruxellois, pionnier de la musique industrielle et noise, ayant sévi
entre 1979 et 1983. Le duo Philippe x et Philippe X a sorti une dizaine de
cassettes] et puis d'autres encore. Ce n'était pas vraiment planifié, les
choses se sont faites naturellement et ça a donné Club Moral.
Idiocratie :
Et comment est venue le nom « Club Moral » ?
AK/DD :
J'avais
(Anne-Mie Von Kerckoven) trouvé un badge du « Club Balmoral » [une
des plus anciennes discothèques de Belgique, aujourd'hui encore un club branché
de Gand]. J'ai effacé les trois lettres « Bal », et ça m'a donné
« Club moral ». Ca faisait bien six mois qu'on cherchait un nom avant
que j'ai cette idée ! On savait qu'on voulait quelque chose de belge, on
est des Flamands, tu vois ? Et « Clubmoral », c'est une sorte de
belgissisme qui correspondait à ce qu'on avait commencé à mettre en place et ce
qu'on voulait faire : une sorte de club oui mais dédié à l'expérimental,
et à la manière de repousser aussi les limites de la morale.
« Moral », c'était aussi parce que Dany faisait des performances qui
exploraient justement les limites, qui mettaient en scène la violence, le
crime, le meurtre, toutes ces choses qui allaient bien aussi avec la musique
qu'on faisait.
Idiocratie :
Vous avez poussé le concept loin dans vos performances et bien au-delà des
frontières de la Belgique.
AK/DD :
Lors
de nos premières représentations dans les années 80 il y avait des gens qui
partaient ou qui étaient malades ! On a commencé ensuite à se produire
dans de multiples endroits en Europe et on a rencontré d'autres groupes, belges
évidemment mais aussi anglais, allemands, français ou américains. C'était une
scène très vivante, très audacieuse aussi, à ce moment, et on pouvait pousser
très loin les performances et l'expérimentation.
Idiocratie :
Quel regard vous portez aujourd'hui sur la scène industrielle actuelle ?
AK/DD :
Est-ce
qu'elle est encore existante ? Allez, de temps en temps, on est encore
invités à des événements où il y a... beaucoup de vieux ! On ne sait pas
en fait si la scène industrielle est encore vivante ! Et toi tu en penses
quoi ?
Idiocratie :
Eh bien, ça doit faire vingt ans que j'assiste à des concerts de musique
industrielle où je rencontre des gens que je voyais il y a vingt ans et qui
vieillissent en même temps que moi, que je revois quasiment à chaque concert.
AK/DD :
Ah
ça c'est bien, mais c'est en France aussi.
Idiocratie :
En France, au Royaume-Uni, en Allemagne, à l'échelle européenne, les choses
bougent encore un peu tout de même…
AK/DD :
Oui,
c'est vrai, on a joué récemment, en septembre, à Dresde, pour le festival
« Tower Transmission » [organisé depuis l'an dernier, qui réunit
anciennes et nouvelles formations, représentatives de toute la scène
industrielle européenne] et là il y avait beaucoup plus de gens de tous
âges, avec un mélange de génération. Mais en Belgique en revanche, on voit
qu'il ne se passe plus grand-chose. Il y a naturellement des gens qui
continuent à faire de la musique expérimentale, des choses un peu
« free » mais de la musique industrielle pas vraiment. En Flandres
peut-être encore mais en Wallonie on voit les gens quelque fois se rendre à des
concerts de musique
« industrielle » et qui sont surtout là pour se déguiser. Ou
bien il y a des jeunes gens qui font surtout de la copie de copie de copie…
Idiocratie :
Et ce soir ? Vous avez rencontré un public différent ?
AK/DD :
Oui,
ce n'est pas forcément le public habituel. C'est nouveau : beaucoup de
gens qui ne nous connaissaient pas, qui nous découvraient, c'est bien aussi.
Idiocratie :
Cela vous a surpris de pouvoir venir à l'initiative du FRAC Bretagne ?
AK/DD :
On
est toujours content d'être invités, de pouvoir jouer ou exposer, on est donc
contents d'avoir pu être là ce soir. Après le musée d’Art Contemporain d’Anvers
ou celui d’Oostende, j'ai (Anne-Mie Von Kerckoven) pu exposer mes réalisations
ici, c'est une bonne chose aussi.
Pour cette soirée, Club Moral n’a pas réalisé stricto sensu une performance avec une
musique bruitiste et une dose importante d’improvisation, mais a décliné ses
titres les plus « célèbres » dans une version plus électronique et
plus abordable pour un public très largement néophyte en la matière. Cela a pu
surprendre les « anciens », d’autant plus que Danny Devos semblait un
peu sur la retenue, mais les titres conservent une puissance propre, quelque
chose de particulier, bref, de club moral.
Récemment, il y a eu une grande rétrospective de
toutes les activités artistiques qui ont accompagné Club Moral depuis 1981 au
musée d’art contemporain d’Anvers. De son côté, Anne-Mie est
invitée par le Museum Abteiberg à
Mönchengladbach (Allemagne) jusqu'au 26 février 2017.
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