Les démocraties libérales en rêvaient,
la Chine l’a fait : un gigantesque programme de notation de ses citoyens
(nommé « système de crédit social ») basé en grande partie sur
l’étude de leurs comportements en ligne. Les algorithmes se chargeront
d’établir le score final, c’est-à-dire l’indice de fiabilité, qui entrera en
action dès le 1er mai pour atteindre son rythme de croisière à
l’horizon 2020. Plus de 1,3 milliards d’individus seront alors consciencieusement
tracés, fichés, notés et le cas échéant neutralisés. Ne sourions pas, en
Europe, les Néerlandais viennent de rejeter par référendum une loi donnant
davantage de pouvoir aux services de renseignements par 49% contre 46% (loi
dite « flicage d’internet »). Depuis, le gouvernement a fait savoir
que la loi entrerait normalement en vigueur le 1er mai – étant donné
la faiblesse du non ! Auparavant, il avait également pris le soin de supprimer à
l’avenir toute possibilité de recourir à des référendums d’initiative populaire.
On le voit, la dystopie imaginée par
Orwell s’immisce lentement dans nos réalités quotidiennes, avec la bénédiction
des technologies, l’hypocrisie des gouvernants et l’apathie des peuples. La
Chine complète ce dispositif par la mise en place d’un « président de
tout » et d’un « président à vie » qui renoue avec le bel
ordonnancement des régimes totalitaires. Nos médias institutionnels, tout
occupé à dénoncer les frasques sexuelles de Trump et les élans guerriers de
Poutine, s’en alarment à peine. Décidément, Mao aura toujours bonne presse en
France !
Pourtant,
les signaux envoyés par les autorités chinoises ne manquent pas d’inquiéter. Le
nouveau maître, Xi Jinping, s’inscrit dans la lignée des « princes
rouges » et se présente comme l’héritier direct de la révolution
culturelle. La figure de Mao, un temps reléguée au second rang, est de nouveau
célébrée comme une icône révolutionnaire tandis que le parti est remis en ordre
de marche et l’armée purgée de ses éléments réformistes. Placé sous l’égide de
l’instituteur, de l’ouvrier et du soldat, la propagande élève la personnalité
de « tonton Xi » au statut de grand patriarche de la nation, celui
qui embrasse l’histoire millénaire de la Chine et qui incarne à lui seul
l’image du communisme triomphant. Dans ce contexte, les réseaux sociaux
constituent une formidable caisse de résonnance, d’autant plus que les grands
philanthropes américains (Zuckerberg et compagnie) ont accepté sans broncher de
souscrire aux règles de censure établies par le régime.
Le
désarmement intellectuel de l’Occident n’a d’égal que la vigueur idéologique
des systèmes illibéraux. Ainsi, la « nouvelle démocratie » chinoise
puise dans un large bassin idéologique pour façonner sa vision du monde. La
première couche se sédimente naturellement dans le marxisme-léninisme revisité
par Mao. Les principaux cadres du parti communiste – qui compte 60 millions de
membres ! – ont subi une remise à niveau doctrinale qui s’est traduite
concrètement par une lutte contre la corruption et les inégalités. La deuxième
couche, sans doute nécessaire à tempérer la schizophrénie de la première,
réside dans l’influence d’un groupe de juristes qui, sous le patronage de Carl
Schmitt, prône un renforcement du parti-Etat afin de mieux contrer les
velléités du constitutionnalisme libéral. Enfin, ce néo-autoritarisme jacobin
en appelle aux illustres ancêtres pour donner un soubassement spirituel et
moral au pouvoir chinois. On le sait, la figure de Confucius se situe désormais
au cœur de l’idéologie avec la mission de raviver, d’une part, la ferveur dans
l’histoire millénaire des grands empires et de discipliner, d’autre part, une
population soumise aux vices de la société de consommation. L’ensemble reste
traversé, à tous les niveaux, par une fibre nationaliste qui doit consolider
l’essence même de la « race ». « Peu importe où il se trouve,
écrit Xi Jinping, un chinois porte en lui une empreinte distincte de sa culture
et il s’agit là d’un gène spirituel commun des Chinois ».
Fort
de cette nouvelle doctrine, Xi Jinping a également nommé explicitement ses
ennemis dans un texte qui devait rester confidentiel : le « document
n° 9 » - la journaliste Gao Yu qui en a révélé la teneur a été condamnée à
7 ans de prison. Aucunes traces de repentance dans ce texte ; au
contraire, toute remise en question du passé est dénoncée comme une forme de
« nihilisme historique » directement importé des Etats-Unis. Sur
cette question, Xi Jinping garde un souvenir traumatique de l’écroulement de
l’Union soviétique qui a résulté, selon lui, d’une volonté réformatrice coupable.
Les autres figures de l’ennemi se rattachent toutes à la culture
occidentale : dénonciation de la démocratie libérale, remise en cause des
valeurs dites universelles, encadrement strict de la liberté d’expression,
restrictions des droits civils, etc.
En
contrepartie, il appartient à la Chine de proposer un véritable modèle
alternatif dont on peine à voir les contours si ce n’est dans l’expression de
l’écrivain Murong Xuccun qui parle d’un « nouveau totalitarisme de
marché ». Assurément, il vient de perdre quelques points sur son permis de
citoyenneté…
Superbe blog!
RépondreSupprimerMerci. Ca vous en bouche un coin ?
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