« Mascarade » : « mise
en scène trompeuse qui désigne un simulacre, une comédie fallacieuse »,
tel est donc le mot exact pour définir le Grand débat national lancé
pompeusement par le président de la République. Un débat à l’échelle de la France,
si les mots ont encore un sens, consisterait à réunir plus de 40 millions de citoyens
(en âge de voter) afin qu’ils discutent de leurs désaccords politiques. L’on
sourit d’une telle ineptie. C’est pourtant ce que les managers de la start-up
nation ont inventé, dans le secret des cabinets ministériels, pour répondre au
mouvement de protestation des Gilets jaunes. On imagine le général de Gaulle,
au cœur de mai 68, annoncer de sa voix tonitruante : « Français,
Françaises, en ces jours de grèves et de péril, j’ai décidé en mon âme et
conscience de vous organiser un débat, pas un petit débat, ça non, mais un
grand débat, un débat souverain, un débat patriotique, un débat NATIONAL ».
Dans un grand élan de pourtoussisme, Macron a donc initié ce débat pour tous,
inclusif, généreux, citoyen, humain tout simplement.
Comme disait l’un des personnages de José
Saramengo dans son livre prémonitoire La
lucidité : « J’ai appris dans mon métier que ceux qui gouvernent
non seulement ne s’arrêtent pas devant ce que nous appelons des absurdités,
mais encore qu’ils s’en servent pour assoupir les consciences et annihiler la
raison ». Alors, un grand débat pour quoi faire ? Dans quel but ?
Là aussi, on pense qu’un débat sert à confronter des opinions afin d’éclaircir
des positions et prendre au final des décisions. Ce qui apparaît pour le moins
étrange lorsque l’on sait que les revendications des Gilets jaunes, certes
nombreuses, hétéroclites et parfois contradictoires, ont tout de même été
consignées dans des espèces de cahiers de doléances. Cette simple donnée, qui ne
paraît pas totalement fantasmatique, aurait éventuellement pu servir de base à
un débat national, aussi impossible soit-il. Il faut croire que non. Dans la
novlangue démocratique, le débat est strictement balisé par des thèmes imposés,
comme à la danse classique, et fermé d’emblée à certaines propositions. Il
existait le village Potemkine, on vient d’inventer le débat Potemkine :
cela à le goût et l’apparence du débat mais, derrière les mots en papier mâché,
sourdent les phrases vides et les argumentations creuses.
Heureusement, un comité de cinq sages,
qui doit faire face à une « tâche titanesque » selon Le Monde, a été constitué pour garantir
la bonne tenue du débat. On le sait désormais, un débat ne se tient qu’entre
gens raisonnables et sur des bases clairement énoncées. Le showman Emmanuel Macron a donné le ton en la matière avec un magnifique débat organisé autour de sa seule personne que 300 maires ont pu admirer pendant six heures. BFM a salué cette prestation remarquable, chapeau bas l'artiste ! De leur côté, les cinq sages n'ont rien trouvé à y redire. Nommés par des copains, ils veillent surtout à ne pas troubler le spectacle démocratique, comme leurs pédigrées le rappellent : Guy Canivet
politicien de 75 ans, Pascal Perrineau politiste de 68 ans, Jean-Paul Bailly dirigeant
d’entreprise (publique) de 72 ans, etc. Pour quelle rémunération ? Aucun
journaliste important n’a jugé bon de poser la question… tandis que Chantal
Jouanno, démissionnée à cause de son salaire, ne croyait plus dans un débat qui
tournait selon elle à l’opération de communication du gouvernement. Mauvaise
perdante.
Ne soyons pas bégueules. En effet, selon
les enquêtes approfondies menées par les médias, les Français se prennent au
jeu du débat et participent à qui mieux mieux aux réunions locales organisées
par ces valeureux élus locaux. En plus, le gouvernement dans sa bonne grâce a
mis à la disposition des citoyens des « kits de débat ». Il existait
des kits de survie, des kits outils de tapissier, des kits d’ameublement, il
existe désormais des kits de débat dans lesquels on rappelle la « méthodologie
pour organiser sa propre réunion ». Pardieu ! Et si l’on veut jouer à
plusieurs, il est possible de rejoindre l’un des nombreux ateliers de débat mis
en place sur l’ensemble du territoire, munis évidemment de son kit. Et si l’on
devient accroc au jeu, la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa a rappelé que l’on
pouvait même organiser des débats au sein de sa famille : partout, la
parole doit se libérer, la démocratie rayonner, les cœurs s’ouvrir.
Débattons encore et encore même s’il
faut bien l’avouer : la Rolls-Royce du débat c’est la télévision. Tf1, France
2, C8, etc. eux ils maîtrisent l’art du débat depuis plus de quarante ans !
Combien de décisions lumineuses ont-elles surgit de ces heures de débat ?
On ne les compte plus. Encore toute émue de son moment de télé passé aux côtés
de Cyril Hanouna, Schiappa a déclaré, les larmes au bord des yeux : « On
a réussi à faire quelque chose de formidable en termes de démocratie ».
Gageons que ce cri du cœur soit bientôt partagé par une majorité de Français,
qu’ils soient riches ou pauvres, car il n’y a pas de plus belles choses que le
spectacle de la démocratie.
C'est à ce bla-bla nihilogène que l'on mesure la tiers-mondisation de notre société; ne manque plus que l'arbre à palabres ou les chichas pour la touche authentique, faire du bruit avec sa bouche pour se dispenser d'agir ou de choisir comme là-bas...
RépondreSupprimerOui, en effet, déblablattons avec Schiappa/Hanouna, avec le président qui soliloque seul devant des parterres de maires et de citoyens, avec Edouard Philippe qui dit tout amusé que "le RIC ça le hérisse", etc. Oui, en effet, soyons constructif et participons au spectacle démocratique, repeignons la façade, cela nous dispensera de réfléchir à de nouvelles fondations. A moins que ce ne soit les tenants du système (les véritables nihilistes) qui décident de scier les branches sur lesquelles ils sont assis depuis des décennies. Et de les remettre entre les mains de ceux qu'ils détestent foncièrement - je n'y avais pas songé, c'est vrai.
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