Après
la flânerie sanglante de Mickaël Harpon – le bien-nommé – dans
les locaux de la Préfecture de Police de Paris, le Premier Ministre
Edouard Philippe a annoncé des mesures drastiques pour procéder à
une réévaluation des agents des services de renseignement et
détecter les signes inquiétants de radicalisation. Le chantier est
aussi vaste que la mesure est tardive. Et la question demeure :
comment Mickaël Harpon, agent de la Direction du Renseignement de la
préfecture de police de Paris, a-t-il pu passer entre les gouttes et
échapper pendant tant d'années à une réévaluation psychologique
qui aurait peut-être permis de le détecter. Un biais fatal, très
bien analysé dans un ouvrage publié en janvier 2017 chez Cornell
University Press, Insider threats,
que l'on pourrait traduire par « Les menaces intérieures ».
L'ouvrage
collectif, se base aussi sur de multiples exemples de failles de
sécurité qui aurait pu mener à une catastrophe ou déboucher sur
de vraies tragédies. L'armée américaine a ainsi ignoré la
menace potentielle représentée par le Major Nidal Malik Hasan, qui
a abattu treize personnes au cours de la fusillade sur la base
militaire de Fort Hood le 5 novembre 2009 au Texas. De même, les
services de renseignement ont échoué à évaluer la dangerosité de
Bruce Ivins avant que ce scientifique employé par l'armée
américaine n'expédie des lettres contenant de l'anthrax à des
journalistes et hommes politiques une semaine après les attaques du
11 septembre, causant la mort de cinq personnes. Face à ce type de
situations, les auteurs pointent du doigt l'inefficience ou la
négligence des services de renseignements mais surtout les biais
psychologiques et institutionnels qui permettent à des éléments
dangereux de profiter de la liberté de circulation octroyée par
leur accréditation pour accéder ou introduire des armes dans des
zones sensibles. La pire faille de sécurité reste l'esprit de corps
rapportent les auteurs de l'ouvrage collectif, qui conduit à
abaisser drastiquement le degré de méfiance au sein même d'une
institution, entre employés de la maison, et à faciliter les
tentative d'attentat, surtout si elle provient d'un agent accrédité.
Le chef de la sécurité de l'une des plus importantes usines de
traitement du plutonium en Russie considère ainsi les gardes et
soldats comme « la plus dangereuses des menaces internes ».
Trois
semaines avant la tuerie de la préfecture, les Mémoires vives
d'Edward Snowden ont été publiées en France par les éditions
du Seuil. Le récit est assez passionnant mais c'est surtout en tant
que document que ces mémoires, rédigées par un ex-employé
contractuel d'un service informatique de la NSA, trouvent tout leur
intérêt. Snowden y répond clairement à la question qui a pu
agiter les spécialistes et membres des institutions de
renseignement : comment un employé de rang et d'accréditation
inférieurs a pu avoir la possibilité de collecter des données
aussi sensibles, de les faire sortir du pays et de les remettre à
deux journalistes pour précipiter le renseignement américain dans
l'un des plus gros scandales de son histoire ? L'intéressé
explique fort simplement les choses : « Dans la communauté
du renseignement ces rangs inférieurs sont en gros occupés par des
informaticiens comme moi, dont l'accès autorisé à des
infrastructures vitales est complètement disproportionné par
rapport à leur autorité officielle. » Un dispositif de
surveillance aussi complexe et puissamment doté soit-il éprouvera
plus de difficultés à surveiller les menaces internes qui trouve
asile en son sein qu'à déployer une surveillance extérieure. En
conséquence, dans les structures dont l'informatisation prive les
responsables d'une intelligence globale du système qu'ils sont
censés administrés, le technicien lambda acquiert un avantage
déterminant, qui peut être utilisé à diverses fins.
La
dernière erreur, peut-être la pire, qui puisse être commise,
notamment par des services de sécurité, est de penser que les
vérifications menées avant d'accorder des autorisations d'accès ou
avant l'embauche d'un employé suffisent à assurer la neutralisation
d'une menace. Ilyass Boughalab, employé autorisé à accéder au
réacteur nucléaire Doel-4 en Belgique, était aussi membre en 2012
du groupe radical « Sharia4Belgium ». Il a tenté de
saboter la centrale où il travaillait, avant de démissionner pour
aller combattre en Syrie. Les dégâts provoqués par Ilyass
Boughalab furent mineurs et les systèmes automatisés de sécurité
de la centrale ont heureusement fonctionné mais l’incident est
révélateur. Les éléments recueillis par les services de sécurité
belge, présentés par Thomas Hegghammer
et Andreas Hoelstad Daehli
dans l'ouvrage, établissent que l'Etat Islamique a bien tenté de
s'attaquer à plusieurs reprises à des installations nucléaires en
Belgique entre 2014 et 2016. On peut se féliciter d'un côté de
l'efficacité des services de renseignement qui ont réussi à
prévenir ces attentats. On peut se désoler d'un autre côté de la
complaisance encouragée par une partie des médias qui a conduit
durant trop longtemps à fermer les yeux sur la menace de l'Islam
radical, le sujet étant encore presque tabou à tous les niveaux
avant que les attentats de Paris en novembre 2015 ne forcent les
autorités à assumer un discours un peu plus ferme et transparent
sur la question.
C'est
encore bien insuffisant malgré tout. Sans même aller jusqu'aux
centrales nucléaires, le noyautage d'un autre service public par
l'Islam radical peut inquiéter de manière tout à fait légitime.
Samy Amimour, l'un des kamikaze qui ont tué 89 personnes au Bataclan
vendredi 13, avait travaillé 15 mois à la Régie des transports.
Responsables syndicaux et employés pointent du doigt les déviances
qui se multipliaient déjà depuis le début des années 2010 :
refus de la part de certains employés de serrer la main de leurs
collègues féminines ou de conduire un bus précédemment conduit
par une femme, prière dans les locaux de la RATP, agents ouvertement
radicalisés...
La
cécité volontaire des pouvoirs publics reste la pire des menaces. Les mises en garde semblent
encore aujourd'hui à peine entendues. Les députés Eric Diard (LR)
et Eric Poulliat (LREM) ont publié le 26 juin 2019 un rapport sur le
degré de radicalisation au sein des services publics jugeant le
degré de menace... relativement faible. Les quatre morts de la
Préfecture de Police, assassinés par Mickaël Harpon viennent
d'apporter un démenti tragique aux conclusions des deux députés.
Et si le ministre de l'Intérieur se retrouve au cœur de la
tourmente médiatique, il ne semble cependant pas que, après
l'affaire Benalla, les Gilets Jaunes et aujourd'hui la tuerie de la
préfecture, le pouvoir présidentiel souhaite se débarrasser de son
« premier flic de France ».
Il
faut voir le bon côté des choses, voilà au moins un flic en France
qui est encore assuré d'être en sécurité.
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