samedi 12 octobre 2019

La menace intérieure


Après la flânerie sanglante de Mickaël Harpon – le bien-nommé – dans les locaux de la Préfecture de Police de Paris, le Premier Ministre Edouard Philippe a annoncé des mesures drastiques pour procéder à une réévaluation des agents des services de renseignement et détecter les signes inquiétants de radicalisation. Le chantier est aussi vaste que la mesure est tardive. Et la question demeure : comment Mickaël Harpon, agent de la Direction du Renseignement de la préfecture de police de Paris, a-t-il pu passer entre les gouttes et échapper pendant tant d'années à une réévaluation psychologique qui aurait peut-être permis de le détecter. Un biais fatal, très bien analysé dans un ouvrage publié en janvier 2017 chez Cornell University Press, Insider threats1, que l'on pourrait traduire par « Les menaces intérieures ».


L'ouvrage collectif, se base aussi sur de multiples exemples de failles de sécurité qui aurait pu mener à une catastrophe ou déboucher sur de vraies tragédies. L'armée américaine a ainsi ignoré la menace potentielle représentée par le Major Nidal Malik Hasan, qui a abattu treize personnes au cours de la fusillade sur la base militaire de Fort Hood le 5 novembre 2009 au Texas. De même, les services de renseignement ont échoué à évaluer la dangerosité de Bruce Ivins avant que ce scientifique employé par l'armée américaine n'expédie des lettres contenant de l'anthrax à des journalistes et hommes politiques une semaine après les attaques du 11 septembre, causant la mort de cinq personnes. Face à ce type de situations, les auteurs pointent du doigt l'inefficience ou la négligence des services de renseignements mais surtout les biais psychologiques et institutionnels qui permettent à des éléments dangereux de profiter de la liberté de circulation octroyée par leur accréditation pour accéder ou introduire des armes dans des zones sensibles. La pire faille de sécurité reste l'esprit de corps rapportent les auteurs de l'ouvrage collectif, qui conduit à abaisser drastiquement le degré de méfiance au sein même d'une institution, entre employés de la maison, et à faciliter les tentative d'attentat, surtout si elle provient d'un agent accrédité. Le chef de la sécurité de l'une des plus importantes usines de traitement du plutonium en Russie considère ainsi les gardes et soldats comme « la plus dangereuses des menaces internes »2.
Trois semaines avant la tuerie de la préfecture, les Mémoires vives3 d'Edward Snowden ont été publiées en France par les éditions du Seuil. Le récit est assez passionnant mais c'est surtout en tant que document que ces mémoires, rédigées par un ex-employé contractuel d'un service informatique de la NSA, trouvent tout leur intérêt. Snowden y répond clairement à la question qui a pu agiter les spécialistes et membres des institutions de renseignement : comment un employé de rang et d'accréditation inférieurs a pu avoir la possibilité de collecter des données aussi sensibles, de les faire sortir du pays et de les remettre à deux journalistes pour précipiter le renseignement américain dans l'un des plus gros scandales de son histoire ? L'intéressé explique fort simplement les choses : « Dans la communauté du renseignement ces rangs inférieurs sont en gros occupés par des informaticiens comme moi, dont l'accès autorisé à des infrastructures vitales est complètement disproportionné par rapport à leur autorité officielle» Un dispositif de surveillance aussi complexe et puissamment doté soit-il éprouvera plus de difficultés à surveiller les menaces internes qui trouve asile en son sein qu'à déployer une surveillance extérieure. En conséquence, dans les structures dont l'informatisation prive les responsables d'une intelligence globale du système qu'ils sont censés administrés, le technicien lambda acquiert un avantage déterminant, qui peut être utilisé à diverses fins.



La dernière erreur, peut-être la pire, qui puisse être commise, notamment par des services de sécurité, est de penser que les vérifications menées avant d'accorder des autorisations d'accès ou avant l'embauche d'un employé suffisent à assurer la neutralisation d'une menace. Ilyass Boughalab, employé autorisé à accéder au réacteur nucléaire Doel-4 en Belgique, était aussi membre en 2012 du groupe radical « Sharia4Belgium ». Il a tenté de saboter la centrale où il travaillait, avant de démissionner pour aller combattre en Syrie. Les dégâts provoqués par Ilyass Boughalab furent mineurs et les systèmes automatisés de sécurité de la centrale ont heureusement fonctionné mais l’incident est révélateur. Les éléments recueillis par les services de sécurité belge, présentés par Thomas Hegghammer4 et Andreas Hoelstad Daehli5 dans l'ouvrage, établissent que l'Etat Islamique a bien tenté de s'attaquer à plusieurs reprises à des installations nucléaires en Belgique entre 2014 et 2016. On peut se féliciter d'un côté de l'efficacité des services de renseignement qui ont réussi à prévenir ces attentats. On peut se désoler d'un autre côté de la complaisance encouragée par une partie des médias qui a conduit durant trop longtemps à fermer les yeux sur la menace de l'Islam radical, le sujet étant encore presque tabou à tous les niveaux avant que les attentats de Paris en novembre 2015 ne forcent les autorités à assumer un discours un peu plus ferme et transparent sur la question.
C'est encore bien insuffisant malgré tout. Sans même aller jusqu'aux centrales nucléaires, le noyautage d'un autre service public par l'Islam radical peut inquiéter de manière tout à fait légitime. Samy Amimour, l'un des kamikaze qui ont tué 89 personnes au Bataclan vendredi 13, avait travaillé 15 mois à la Régie des transports. Responsables syndicaux et employés pointent du doigt les déviances qui se multipliaient déjà depuis le début des années 2010 : refus de la part de certains employés de serrer la main de leurs collègues féminines ou de conduire un bus précédemment conduit par une femme, prière dans les locaux de la RATP, agents ouvertement radicalisés...
La cécité volontaire des pouvoirs publics reste la pire des menaces. Les mises en garde semblent encore aujourd'hui à peine entendues. Les députés Eric Diard (LR) et Eric Poulliat (LREM) ont publié le 26 juin 2019 un rapport sur le degré de radicalisation au sein des services publics jugeant le degré de menace... relativement faible. Les quatre morts de la Préfecture de Police, assassinés par Mickaël Harpon viennent d'apporter un démenti tragique aux conclusions des deux députés. Et si le ministre de l'Intérieur se retrouve au cœur de la tourmente médiatique, il ne semble cependant pas que, après l'affaire Benalla, les Gilets Jaunes et aujourd'hui la tuerie de la préfecture, le pouvoir présidentiel souhaite se débarrasser de son « premier flic de France ».
Il faut voir le bon côté des choses, voilà au moins un flic en France qui est encore assuré d'être en sécurité.




1Matthew Bunn, Scott D. Sagan. Insider Threats. Cornell University Press. Janvier 2017
2Igor Goloskolov. « Reformirovanie Voisk MVD po Okhrane Yadernikh Obektov Rossii » [Reforming MVD troops to guard Russian nuclear facilities], Yaderny Kontrol n°4. 2003. http://www.pircenter.org/data/publications/yk4-2003.pdf, p. 39-50
3Edward Snowden. Mémoires vives. Editions du Seuil. 380 pages. 19€
4 Directeur du centre de recherche sur le terrorisme du Norwegian Defence Research Establishment.
5 Chercheur indépendant basé à Oslo.



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