France. Vendredi 14 octobre 2022. Lola, une jeune fille de 12 ans rentre de l’école à 15 heures. Dans le hall de son immeuble, elle est kidnappée, abusée, violée, bâillonnée, torturée, étouffée et transportée, morte, dans une malle pendant plusieurs heures avant d’être finalement découverte à quelques encablures de chez elle. Parents effondrés. Médias en boucles. Supplice ordinaire. Vie brisée. Fait divers, non, c’est un fait social et même, pour reprendre Marcel Mauss, un « fait social total » qui révèle sous toutes les coutures ce qu’est devenue la France : un zoo humain. Anarchie et sauvagerie, avilissement et infamie, brutalité et vulgarité, indécence et divertissement, une métaphysique vile qui irrigue tous les rapports sociaux et que le crime révèle au grand jour. Débâcle.
Face à une telle abjection, on pouvait s’attendre à une réaction quelque peu solennelle de la part d’une classe politique évidemment responsable. Ni une ni deux, le ministre de l’intérieur, premier en cause dans l’affaire, s’élève à la hauteur de l’événement et décide, pour s’expliquer, de se rendre… chez Hanouna, dans une émission dont le titre révèle tout le sérieux de l’entreprise : « Face à baba ! » On se pince, on tombe de sa chaise, groggy on croit rêver, que nenni ! Voici Darmanin, assis dans un gigantesque fauteuil rutilant, orange clignotant, face à l’amuseur public numéro un habillé comme un gigolo de fête foraine. Et c’est parti pour le spectacle ! Braves gens, applaudissez !
Rien ne sera, en effet, épargné aux téléspectateurs. Les duettistes surjouent l’émotion, la larme à l’œil, la voix tremblotante, le geste maîtrisé, et pourtant, au détour d’une séquence, surgit sur leurs mines empâtées, au coin des lèvres, cet inexorable rictus, qui est leur marque de fabrique. Quel bon coup sont-ils en train de jouer, parbleu ! Chacun dans son rôle, maquillé, huilé, transparent : Hanouna clignote, gesticule, parade, chapeau l’artiste ! Il a convié des quidams, des quelconques, des sans-dents qu’il avait eu le bonheur d’entraîner lors d’émission précédentes, et ils sont impeccables : le texte est mal appris, le propos heurté mais les trémolos sont là, dans la voix, entre afflictions et colères. Lui, Hanouna, est comme un porte-voix, le cœur du peuple en souffrance, le rétablisseur des injustices, le juge suprême.
Darmanin
n’est pas en reste, il n’a jamais ressemblé autant à un petit garçon avec son
léger duvet sous le nez, il est gentil, sérieux, pas très beau, un peu anodin,
parfait pour la contrition. Et quel culot en la matière ! Il y a deux
petits êtres dans ce corps : l’homme tout d’abord qui, comme tout le
monde, ressent avec une infinie tristesse le drame du jour et le politique,
ensuite, qui explique et qui justifie l’innommable. Le premier n’hésite pas à
mobiliser son petit destin, et dans un geste d’une indécence inouïe, de
rappeler que lui aussi s’y connaît en la matière puisque le fils de sa sœur est
également mort dans des conditions terribles. On n’en saura pas plus. Mais sortez
les mouchoirs, il y a un cœur dans ce corps frêle, et il lui arrive de saigner,
aussi.
Le second, le responsable politique, hausse le menton, un peu comme Mussolini, contracte ses petits bras et rappelle, que nom de nom, s’il avait les mains libres, s’il n’était pas empêché par toutes ces contraintes juridiques, ces règles diplomatiques, ces civilités politiques, la police agirait avec force et les délinquants trembleraient ! Seulement, voilà, nous sommes dans un Etat de droit, démocrates jusqu’à l’os, et il y a des choses qu’on ne peut pas faire. Dont acte. Au passage, le ministre lâche au public quelques mesurettes puis s’en va en jetant une œillade complice à son compère du jour. Bon sang, quelle émission !
Dommage qu’il ne puisse pas célébrer ça avec toute l’équipe, rapport à sa fonction, mais il a été bon le salaud, faut dire que c’est pas tous les jours qu’on a une gamine suppliciée de 12 ans sous les feux de la rampe. Fallait pas se rater. Mission accomplie. Dans le zoo, en vérité, la plupart des animaux s’en foutaient et regardaient d’un œil distrait leur compte Tik tok, en attendant la prochaine victime, le prochain spectacle.
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