C’est le printemps ! Pas le printemps français, mais l’autre,
celui qui réchauffe l’air et les cœurs et raccourcit les robes, comme disait
Desproges. On a beau être un 2 février, la quatrième Manif pour tous sent le
muguet et l’école buissonnière. Dans le cortège, dense, qui inonde le boulevard
Raspail, retraités, étudiants, familles, poussettes, pères de familles et
militants marchent d’un pas tranquille mais décidé vers la place
Denfert-Rochereau. L’ambiance n’est assurément pas la même qu’il y a une
semaine et la météo n’est pas la seule responsable. Avec les naïfs sweat-shirts LMPT qui sont
ressortis, les bonnets roses et les
petits drapeaux – bleu, blanc, rouge ou bleu et rose – l’atmosphère est plutôt
celle de Jour de fête que « Jour
de colère ». Pour un peu on fredonnerait l’air de la Belle Equipe, « quand on s’promène au bord de l’eau, comme
tout est beau, quel renouveau… »
Munies de grands
sacs, des jeunes filles et jeunes gens, portant les couleurs de la Manif pour
tous, avancent à contre-courant de la manifestation et recueillent les oboles
des généreux donateurs. « Donnez, donnez quelques euros pour nous aider à
continuer le combat. » Des stands ont été installés le long du cortège,
sur lesquels se vendent sweats, t-shirts, badges ou drapeaux. Sur le bord de la
chaussée, un clochard réclame lui aussi un soutien financier en laissant pendre
au milieu de la foule des manifestants un gobelet en plastique suspendu à
l’extrémité d’une canne à pêche.
- - Alors la pêche est bonne ?
lui demande une participante.
- - Pas terrible, ça mord pas
beaucoup aujourd’hui, répond-t-il en agitant son gobelet toujours vide au bout
du fil.
Les organisateurs de cette quatrième édition de la Manif pour tous
avaient annoncé, face aux mises en garde du ministère de l’intérieur, qu’ils
mettraient tout en œuvre pour limiter au maximum les débordements et ils semblent avoir tenu leurs promesses. Alors que nous poursuivons notre tournée à
l’américaine le long du boulevard, les forces de police sont très discrètement
positionnées à certains croisements stratégiques tandis qu’une armada de bénévoles, souvent très jeunes, s’activent pour contenir le flux très placide et
très discipliné des manifestants. Sur le podium qui accueille le cortège place
Denfert-Rochereau, les animateurs s’éreintent à le répéter : « Ne
tombez-pas dans le piège de la violence tendu par le gouvernement, nous ne
sommes pas des hooligans, NOUS SOMMES DES GEN-TILS !!! ». Le souvenir
laissé par le précédent « Jour de la colère » et le souci de ne surtout
pas se laisser enfermer dans le clivage
« réaction-contre-progressisme » pousse à en rajouter quelque peu
dans la mièvrerie. Entre la rancœur agressive et les dérapages du « Jour
de colère » et les slogans Barbapapa de la « manif des
gentils », il n’y a plus de juste milieu possible, semble-t-il, en termes
de débat national. Les interventions qui se succèdent à la tribune adoptent
néanmoins un ton assez radical à l’encontre des groupes de pressions réclamant
l’inclusion de la PMA et de la GPA dans le nouveau projet de loi famille. La
nébuleuse des associations LGBT et les tenants de la théorie du genre sont
particulièrement dans le collimateur. L’universitaire américain Robert Oscar
Lopez, qui se présente lui-même comme un homosexuel opposé à la théorie du
genre, n’a pas de mots assez durs pour ce qu’il présente « non pas comme
une philosophie, mais comme une idéologie qui engendre la peur »,
rapportant avoir été taxé de misogynie et d’homophobie, dans son université
californienne, après avoir osé avancer lors d’un cours de littérature qu’Hélène
de Troie avait pu « tromper » Ménélas, terme sacrilège et sexiste
entre tous. A sa suite, Jean-Pierre Delaume, auteur d’Un homosexuel contre
le mariage pour tous se lance dans une charge virulente à l’encontre de la
« violence pernicieuse » des associations LGBT auxquelles il dénie le
droit de se prétendre représenter toute la communauté homosexuelle :
« Nous voulons être reconnus en droit pour ce que nous sommes, des hommes
et des femmes, et non pour une identité sexuelle qui relève de notre vie
privée. » Une
oratrice dénonce quant à elle l’influence du lobby LGBT auprès des institutions
européennes et les rapports Estrella ou Lunacek instituant à l’échelle
européenne un agenda politique et financier en faveur de ses groupes de
pression. Joseph Thouvenel, représentant de la CFTC confie que, parce qu’il se
considère toujours et plus que jamais de gauche, il refuse d’accepter une
conception de la société qui mettrait la procréation au service de
l’ultra-individualisme et du consumérisme et n’envisage que des relations et
rapports marchands et utilitaristes entre les personnes.
Deux choses
semblent jouer en faveur de cette manifestation. Il s’agit d’une part, même si
cela peut paraître paradoxal, de l’adoption de la loi Taubira. Même si les
animateurs de LMPT invitent avec force les sympathisants du mouvement à rester
mobilisés pour réclamer l’abrogation de la loi, cette lutte appartient désormais
au passé et laisse le champ libre au combat essentiel, celui qui s’est trouvé
depuis le début au cœur des débats, à savoir l’opposition à la marchandisation
des corps en faveur des exigences de minorités qui font soudain figure, en dépit de l’audience disproportionnée dont elles bénéficient toujours, de groupuscules extrémistes et ultra-radicaux. La question du
mariage civil des homosexuels pouvait susciter le débat, mais si celui-ci avait
pu facilement être refusé il y a quelques mois au nom de la lutte contre l’homophobie,
aujourd’hui, en face des dangers de marchandisation de traitements tels que la
PMA ou de pratiques illégales comme la GPA, l’argument
« d’homophobie » tombe en quelques secondes. Il devient beaucoup plus
difficile de traiter d’ignobles fascistes homophobes les opposants, de gauche
ou de droite, aux délires prométhéens qui apparaissent en arrière-plan de la
PMA, de la GPA ou aux dérives idéologisantes de la théorie du genre. Réclamer
un sérieux contrôle éthique de ces pratiques et, d'un pouvoir politique un peu
plus responsable, une opposition ferme aux exigences de groupes de
pression aussi dogmatiques qu’agressifs devient véritablement une simple
question de bon sens. La violence verbale et l’hystérie semblent soudain avoir
changé de camp.
L’autre évènement
qui joue grandement en faveur de cette nouvelle manif pour tous est le
« Jour de la colère » qui, dimanche dernier, a marqué les esprits par
les outrances auxquelles il a laissé libre cours. Aujourd’hui, cette réunion de
tranquilles partisans du bon sens, avec ses familles, catholiques ou non
d’ailleurs, ses Français musulmans qui brandissent avec ostentation leur
bannière, contraste avec la caricature de France « Black-Blanc-Beur »
qui avait rapidement volé la vedette à des coléreux quelque peu dépassés. La
réunion de ce dimanche 2 février paraît en retirer par contraste une
crédibilité politique qui a fait défaut jusqu’alors aux manifestations géantes
qui avaient jeté précédemment jusqu’à un million de personnes dans la rue. La
stratégie des gentils ne paraît soudain pas si mauvaise, qui renvoie dos à dos
les excités du complot sioniste et ceux du lobbying associationniste. Les cent
à cent cinquante mille personnes présentes ici peuvent aujourd’hui se prévaloir
de représenter l’alliance de la raison et du compromis. Le résultat obtenu a
d’ailleurs peut-être dépassé les espérances des organisateurs de la
manifestation. Le lendemain, le ministre de l’intérieur, confirmant une
tendance à outrepasser ses prérogatives qui devient une sorte d’habitude, puis
le chef du gouvernement lui-même, Jean-Marc Ayrault, sortant pour l’occasion de
son splendide isolement, annonçaient que le gouvernement s’opposerait
systématiquement à toute adoption d’un amendement visant à inclure PMA et GPA
dans le nouveau texte de Loi Famille, avant de reporter tout simplement
l’examen du nouveau texte de loi à plus tard, réclamant plus de temps pour
peaufiner le projet.
Alors
que le rassemblement place Denfert-Rochereau touche à sa fin, des groupes de
manifestants prennent le chemin du retour, sur l’avenue Quinet où sont
stationnés une quinzaine de cars de CRS, cette fois particulièrement désœuvrés.
Une dame d’un certain âge se plaint à ces deux petites filles : « on
a bien marché hein ? Arrivée à la maison, moi j’étends mes pieds sur le canapé
et je-ne-bouge-plus ! » Dans une rue adjacente, un type à une
terrasse de café s’amuse à taquiner ceux qui rentrent de la manifestation, avec
leurs bonnets et leurs petits drapeaux roses vifs : « Aaaah j’adooore
cette couleur. Ca vous va à ra-vir mademoiselle. » On lui répond avec
quelques rires. C’est agréable cette impression soudaine, et très certainement
éphémère, d’habiter à nouveau dans un pays où l’on peut se permettre de ne pas
être d’accord sans se traiter, ou se faire traiter, de sale homophobe, de sale
facho, de sale sioniste, de sale juif, de sale je ne sais quoi encore…C’est
reposant. Ca ne durera sans doute pas mais le dimanche, après tout, c’est
bien fait pour se reposer non ?
Article publié sur Causeur.fr
Les gentils cathos (tradis) et les gentils musulmans (un peu rigoristes tout de même) unis, défilant main dans la main pour crier leur rejet d'unions / adoptions / procréations "contre-nature" ... c'est ... c'est .. comment dire ? ... C'est beau tout simplement (et reposant, comme vous dîtes) ! Ca me rappelle la coupe du monde 98 et les buts de Zidane en finale, avec à la clé une France Black Blanc Beur soudée et en liesse ...
RépondreSupprimerNon en fait je déconnais, la foule était composées uniquement de flagellants et de traditionnalistes qui brûlaient des drapeaux gays en hurlant des imprécations en latin et le cortège était mené par Torquemada ressuscité grâce aux miracles du clonage. Mais c'était sympa quand même.
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