Paris, 1966. Roberto
Rossellini, comme à l'accoutumée, se met en chasse d'un visage inconnu
susceptible d'incarner le jeune Louis XIV, sorti de la gangue d'enfance, des
girons maternel et cardinalice. Il cherche un homme massif pour incarner ce roi
dont la ferveur révisionniste longtemps imposa une bien trompeuse image, un
acteur petit pour figurer Louis le Grand. Le Roi danseur se devait, sinon de
ressembler à Noureev, du moins de paraître élégant, majestueux, tautologie
l'exige, sous sa lourde perruque et ses rubans. Rossellini ne mange pas de ce
pain-là. Le pain des songes, trop peu pour ce bourgeois dilettante, devenu
cinéaste l'année 1942 par la voie royale du documentaire de guerre, avant
d'établir en 1945, avec Rome ville ouverte, l'acte de naissance du
néo-réalisme. Close sa trilogie de guerre, Rossellini a déjà donné au monde
trois grands films , ouvert la voie au genre que Vittorio De Sica portera à son
acmé avec son délectable autant qu'insupportable – au sens littéral – Voleur de
bicyclette. Insupportable, comme m'avaient paru, enfant, tous les films de
Charlot. Par l'efficace de Chaplin et de Sica, ni l'abandon des juifs d'Europe
par les nations ni l'idée de la déportation de l'adolescente Anne Franck ne
m'avaient étonnée et je n'en fus, horresco referens, pas plus blessée que je ne
l'avais été par la solitude du vagabond sur la grand'route des hommes, après
qu'une jeune aveugle ou un enfant lui ont été arrachés. Il m'avait suffi
d'aller au cinéma pour découvrir le dur cœur des hommes, ivres jusqu'à satiété
du lait d'indifférence.
Rossellini choisit
Jean-Marie Patte, jeune metteur en scène « d'avant-garde », découvert l'année
précédente par Jean Gruault, qui fut longtemps le scénariste attitré de
Truffaut, travailla avec Godard, Rivette, les autres... Toute une époque
achevée avec sa mort en juillet dernier, à l'hôpital Tenon. « Avant-garde » :
nom stupide que la critique se plaît à donner à qui prétend à moins d'artifice,
plus de justesse que ses prédécesseurs, avant d'admettre l'invalidité de la
chose. Ce terme, emprunté au vocabulaire militaire, s'affirme coupure
épistémique à opposer aux prétendus « vieux cons » du jour ou aux jeunes
talents naissants, rivaux potentiels, tous désignés comme hérésiarques du
Progrès. Barthes, en sa sagesse extrême, notait que l'avant-garde avait
vocation de devenir toujours l'arrière-garde d'une nouvelle brigade, tout
artiste véritable ayant pour vocation de devenir quelque jour, anthume ou
posthume, un classique. Il n'existe que deux sortes d'artistes : ceux qui de
pratiquer ont nécessité selon la leçon de Rilke à Franz Kappus prétendant au
noble titre de jeune poète, et les tocards, qui font profession de l'être pour
s'avancer sur la scène du monde sous le déguisement d'anticonformiste, de
bohème et d'homme libre. Jean Gruault a découvert le jeune Patte au Théâtre de
Poche. Il y donnait Les Quatre, pièce d'un inconnu, Mavromatis :
« Dans une cacophonie de
flûte grinçante, la scène plongée dans l'obscurité, on entendait de temps à
autre les comédiens suspendus dans le vide échanger des propos dont le sens
n'était pas très clair. Forcément dans cette nuit noire...
Comme pour ajouter au
désordre systématiquement recherché, les spectateurs qui tâtonnaient vers leurs
sièges se trouvaient soudain au milieu de la scène brusquement assaillis par
des projecteurs agressifs. Le scandale fut gigantesque. Quand cessaient les
hurlements, c'était pour laisser le chant libre aux sifflets... »
Au théâtre de la Vieille
Grille, l'année suivante, le même jeune impatient, un pléonasme, donnait à
entendre le sous-texte de Marivaux. Des jeunes filles nues sous leurs
imperméables transparents affrontaient de jeunes mâles en bleu de jean...
Rossellini tient son
acteur, son personnage. D'abord la ressemblance physique – indice de vérité,
part due au documentaire – ne saurait être plus parfaite. Rossellini y tient
tellement que pour interpréter Pascal et Socrate, respectivement en 1979 et en
1969, il choisira des non professionnels, faute d'avoir pu mettre la main sur
des visages conformes aux portraits qu'il contemple, inlassable, avant de crier
moteur. Rossellini ne filme pas de biopic, le geste biographique l'excède. Il
sait qu'il n'est de biographie que de la vie improductive et prétend donner à
saisir en une heure trente l'âme d'un personnage, le projet d'une vie : ici le
lien Louis XIV-Hitler, la résistible ascension de Louis XIV, comme Brecht mit
en tableaux La résistible ascension d'Arturo Ui. À un de mes amis résolument
antibrechtien pour de vulgaires raisons partisanes, je voudrais rappeler qu'en
dépit des méchantes mises en scène qui parfois en découlent, la question de la
distanciation à elle seule légitime une vie d'artiste. À quoi bon demeurer
enfermé au lieu que l'on ne vive si toute grâce du don consiste à autre chose qu'à
découvrir, entretenir et suivre le raccourci offert par l’œuvre entre le savoir
et sa cible ? Le professeur peine, ennuie, qui place l'échec au centre de sa
pédagogie. « Une vie entière ne suffira pas à embrasser l'objet d'étude »,
prend-il soin d'affirmer au limen de son cours quand l'oeuvre, à l'instar de
l'amour, permet, en un très bref espace de temps, une connaissance partielle et
totale. En restreignant son sujet, l'instant de la prise de pouvoir, l'instant
où Louis devient tyran, met la France sous scellées et hypothèque son avenir,
Rossellini parvient, sinon à anéantir la doxa du Grand Siècle, les sottises de
Voltaire et tous les mensonges des hagiographes du Grand Roi, du moins à
l'ébranler durablement. Surtout, il réussit à mettre en joie la lectrice du
Port-Royal de Sainte-Beuve et de Montherlant ; celle de la Marquise de Sévigné,
de Saint-Simon, de La Fontaine, de l'admirable Fouquet de Morand, de la Bible,
traduite par Monsieur de Sacy, de Racine ajustant le légendaire biblique aux
vœux de Madame de Maintenon et donnant à représenter la jeune Esther et la
vieille Athalie aux demoiselles de Saint Cyr. Bref, la claviste, dévote
janséniste d'esprit et ennemie de longue date déclarée de ce méchant monarque,
représenté pour la première fois peut-être par Rossellini en totale conformité
avec la vérité des textes et des documents du temps, jubile ! Ce prodige,
Rossellini l'atteint par la seule efficace de la distanciation. Il convient de
demeurer froid pour prouver sa raison, d'accumuler minutieusement les preuves
de ce que l'on avance.
Avec Patte, Rossellini
tient son interprète. Il n'existait pas sur la place de Paris et de Navarre de
meilleur courtier que ce metteur en scène tyrannique, tout en un
auteur-chorégraphe et dramaturge de la race commune en sa jeunesse de ceux qui
prétendent faire entendre le texte, comme il a été composé, non pour plaire
mais pour instruire, non pour charmer mais pour élever, non pour établir un
état des lieux mais pour contribuer sinon au changement du monde du moins à sa
critique. Dénuder les corps en parlant le marivaux permettrait, selon lui,
d'arracher leur masque aux mots et d'en dire le sens obtus. Le discours
amoureux est discours de conquête et jeu de l'amour toujours, jeu de guerre,
contre lequel les soldats n'ont que les mots comme unique armure, comme seule
tactique la rhétorique, et usent du mensonge, de l'omission, des points de
suspension, des rires, des soupirs, des pleurs et du langage des corps comme
les guerriers appliqués, de stratégie.
Les grincheux trouveront à
redire, estimeront, c'est là leur fonction, que c'est un peu surjouer
l'évidence et le genre que de faire redonder l'admirable discours. Ils
estimeront criminel de n'accorder pas confiance à si parfait langage, iront
même jusqu'à trouver le procédé grossier, parleront d'arrivisme. Il en va hélas
du trop honnête serviteur du théâtre comme du « parfait dissimulateur » selon
Tesauro : « On en entendit jamais parler. » Patte donc, sous ses allures
de bon vivant jovial, est un maître de guerre, un directeur d'acteurs
fascinant. Rossellini offre au jeune ambitieux timide l'occasion de rendre vie
au dernier et jusques à aujourd'hui unique maître absolu que la France ait
subi. Sous ce titre éloquent, La Prise du pouvoir par Louis XIV, scénario de
Philippe Erlanger, diplomate, historien et hagiographe du Grand Siècle,
Rossellini s'apprête à dénuder l'implacable mécanique, les conditions de
possibilité d'un mensonge si déconcertant qu'en dépit des témoignages des plus
vertueuses et plus admirables plumes du Siècle la France n'est pas revenue,
trop heureuse de demeurer pour l'éternité, à sa grandeur ancienne attachée
comme un bernard l'hermite à sa coquille. Du sujet du Grand Siècle comme sujet
aliéné. Messieurs, le Roi ! Le voici, conforme au modèle, sanguin, mal
dégrossi, mais aussi envoûtant, un mage qui d'un mot, « le Roi le veut »,
transforme la nature des choses, dérange l'ordre du monde. Son Louis XIV
tiendra plus du garçon boucher que de l'archange du mal – Caligula interprété
par Gérard Philipe ! Voix atone, bravant de son dur regard la masse courtisane,
il va, seul maître à bord, ordonnant et décidant comme metteur en scène en son
« Jardin ».
Patte, sous ses allures de
garçon de ferme, fut une sorte de gourou, qui de 1961 à aujourd'hui régna sur
la scène d'avant-garde, adulé unanimement par ses confrères, la critique et ses
acteurs. À en croire ses thuriféraires, il aurait été le seul à servir le
théâtre avec un tel désintéressement et une telle honnêteté ! L'habile parle
peu et se livre encore moins. Hermétique, il se plaît à plonger ses acteurs
dans le noir pour laisser advenir l'expérience du verbe. Aux vives lumières du
music-hall, Patte préférera toujours l'éclat des cierges et aux fards des
comédiennes la myrrhe et l'encens du Grand Prêtre. Du plateau comme demeure de
l'être, Patte s'inscrit dans le vaste courant post-heideggerien qui, admirable
revanche, a secoué la France de l'après-guerre, des sommets de l'Université aux
ruelles des revues d'avant-garde. Cérémonies secrètes. Ses spectacles tiendront
de l'expérience. Il convient de dé-théâtraliser le théâtre pour le rendre à son
origine, religieuse, il va sans dire. Participant à ces offices ou messes du
langage, chacun se voit convié à frissonner, comme s'il assistait à une
descente de croix, une mise au tombeau, à moins qu'il ne fût invité à une prise
de voile. Rien ne manque à la communion. Dame Psychanalyse participe aussi du
sacré banquet même si les jeunes filles nues sous leurs voiles de plastique ont
cédé la place à la galerie de ses propres ancêtres pour dire l'histoire
d'Oedipe. Vieille lune que cette union du théâtre et de la religion.
L'avant-garde parie, éternel recommencement, sur l'amnésie pour imposer sa
marque et prétend à chaque génération s'opposer à Qohelet, établir quelque chose
de nouveau sous le soleil. Sa compagnie porta le doux nom de « Jardin », qui
sans doute fait signe au paradis perdu, au jardin d'Épicure, à l'Arcadie
heureuse : aux happy few. Le théâtre, longtemps condamné également par juifs et
chrétiens, appartient de plein droit et de toute éternité au monde de la chute
et pas qu'un peu...
La Prise du pouvoir par
Louis XIV ne serait pas ce film singulier, unique à la vérité, sans sa forte et
inquiétante présence. De l'éclat de ses yeux bleus délavés, de sa ferme douceur,
de l'apathie de son visage et de la molle dureté de sa diction atone,
Jean-Marie Patte brûle la pellicule comme d'autres, les planches. Nul ne
saurait oublier sa formidable prestation et sa contribution essentielle à la
réussite de cet ovni télévisuel, reparu en salle au printemps dernier. Vertige
de l'oxymore. L'acteur et le personnage déconcertent le spectateur, comme Louis
dupa son monde. Enfance d'un chef, aube d'un règne, c'est bien un inconnu qui
surgit, pâle fantôme oublié de nos livres d'histoire. Pas le chlorotique
Louis XIII, jouet successif de ses ministres ou le « bon roi Henri » de
l'imagerie, père poule au pot, offrant son dos à ses bambins dans un Palais
soudain mué en un vaste terrain de jeu, ce fier cavalier, qui par un clair
matin d'avril 1652, osa le mot apocryphe qui sauva un pays du chaos, avant
d'être lâchement assassiné par un fanatique ; pas davantage le vertueux Louis
XI, ses fillettes et sa sagesse politique, mais un modèle inédit, d'Italie
venu, une créature livresque et monstrueuse : le premier tyran moderne, pur
Golem de Mazarin, fils de Machiavel. Tout en lui se doit de duper l'adversaire,
de réduire le vassal. Le moyen de se méfier d'un roitelet, de craindre un corps
trop nourri, hormones encore flottantes au crépuscule de l'adolescence ? C'est
ce corps que le jeune maître de la dissimulation, Louis Dieudonné, couvrira de
rubans et de dentelles, comme pour masquer la mâle volonté, l'angle de la
décision et la géométrie du projet. Un des plus beaux moments du film reste celui
où Louis paraît, accablé de passementeries, qui lui vont comme tablier à une
vache, et se voit sur le champ imité par une cour entière. Terrible monôme de
masques et de bergamasques, réduit à une vulgaire affaire de mode, qu'entraîne
le royal diktat. Filmée par Rossellini, la futile cohorte se fait parade
funèbre d'un pays livré entier à la soumission et bientôt au tombeau. Qui se
défierait d'un visage poupin aux contours mal définis, de cette molle bouche,
exigeant la surveillance, l'arrestation du Surintendant Fouquet, bientôt son
bannissement ? Qui songerait ne plus revoir Fouquet ? Madame de Sévigné,
peut-être, à qui le Roi fit rendre, galant homme, les lettres du Surintendant ?
Fouquet au secret, s'éloignent, cortège d'ombres, les figures de Watteau, cette
foule d'indécis, de jeunes cavaliers ignorant s'ils partent ou arrivent à
Cythère, le pastel et la nuance, le mélange des classes sociales même, Monsieur
de Condé prêtant la main aux pays de l'Ormée, la Fronde des Princes unis aux
Jacques de Guyenne, le baroque et le subtil babil des Précieuses, qui toutes du
combat furent des héroïnes. L'époque contemporaine déjà gît, entière en germe,
dans cette tyrannie : mercantilisme, société du Spectacle, dictature de la
Mode, jusqu'au costume noir-colbert, remplaçant les éphémères fanfreluches de
Louis, uniquement destinées à humilier et à déviriliser les petits marquis.
Le Mazare, ennemi juré du
cardinal de Retz et des frondeurs, meurt, que Louis avait tenu, vivant, comme
son seul ami, l'unique rempart de son trône. Le détesté meurt, léguant sa
formidable fortune au jeune Roi qui la refuse, prétendant ne la tenir que de
Dieu et de la France. Dès les premiers plans, le ton est donné, la mécanique
tragique à l'œuvre, l'hubris aux commandes d'une âme, d'un règne, d'un pays,
qui demain se verra dévasté. Âmes soumises, toutes forces à l'avance
neutralisées, le mot de liberté, banni de longtemps, peut-être pour jamais du
royaume de France. Sous le regard d'un Italien, la France se dénude, servile et
se plaisant à l'être, vite domptée et prompte à brader ses vieux attachements.
Terrible épreuve que ce spectacle à qui connaît la suite, la guerre perpétuelle
en Europe, la famine, les persécutions religieuses, particulièrement le martyre
des Solitaires de Port-Royal, la traque des intellectuels d'exception, que
furent les Messieurs de Port-Royal, grammairiens, pédagogues, dialecticiens,
géomètres et théologiens, « cette république de saints ermites » qui loin de la
cour, au Désert, réfléchissaient à La Connaissance de soi-même comme aux Moyens
de conserver la paix entre les hommes . Souvent on réduit l'ultime épopée
intellectuelle française à une simple lutte contre les Jésuites, mais ce fut
bien d'avantage : la mise au pas d'un pays qui n'en reviendrait pas, l'aube non
du déclin mais de la tragédie française dont le dernier acte se joua à
Vichy-sur-Allier. Avec Louis XIV, s'imposait la foi du charbonnier, celle-là
même que notre siècle reproche, non sans quelques raisons à l'islam, et ses
habituels dommages collatéraux : le fanatisme, l'injustice et bientôt le crime.
Montherlant a immortalisé l'épopée. Nul ne saurait mieux dire. Curieux objet
que ce film écrit par un historien que réjouit la reprise en main, filmé par
Rossellini et joué par un homme tel que Patte. Par la grâce de son
interprétation, ni la profanation à venir du cimetière de Port-Royal et les
corps des blanches bénédictines livrés aux chiens errants, ni la révocation de
l'édit de Nantes et les dragonnades, suivi du rude Désert cévenol n'étonnent.
Il y a du despotisme noir dans cette prise de pouvoir, un impur mélange
d'enfant gâté soudain touché par le malheur – prisonnier à douze ans au Palais
Royal après que le peuple fut entré dans sa chambre y violer jusques à son
sommeil – qui signe la structure tyrannique. C'est là que le malheureux honnête
homme du Grand Siècle prend, sous la caméra de Rossellini, des allures d'homo
sovieticus sous la plume de Svetlana Alexievitch. Il faut, à l'instar
d'Erlanger, croire les frondeurs inconscients des périls et ennemis du Royaume
pour préférer le happy-end louis quatorzien à l'alternative de la monarchie
parlementaire. À moi dont le cœur a toujours – la faute au génie du cardinal de
Retz, à l'intrépidité de la Grande Mademoiselle, à l'audace et au profil
d'aigle du Grand Condé – battu pour la Fronde, ses images d'Epinal et ses
singulières épochés, celle de l'Ormée bien entendu, le film de Rossellini a
causé grande joie. Je crois que sans se tromper, l'honnête homme devra bien
quelque jour se résoudre à admettre qu'à lui seul ce règne démentiel contint
tous les malheurs futurs de la France et que la nostalgie de la grandeur passée
d'une nation souvent convainc les hommes de se soumettre. Soumis au Roi, en
souvenir de feu le royaume de France ; à Hitler, en réprimande du honteux
traité de Versailles ; à Poutine aujourd'hui, au nom du juste combat contre
l'EI.... de tant de soumissions, les peuples sortent avilis pour longtemps,
sans doute, âmes abîmées, pour jamais.
En sortant du ciné,
distanciation l'y contraint, le spectateur se sent l'envie de marcher sur
l'Élysée et de sortir de céans un autre patenôtre, aussi dodu et mauvais enfant
que Louis. Arrivé place de la Sorbonne, dégrisé, il se souvient comme Louis XIV
avait détruit les archives de la Fronde, et que pourtant de la Fronde, il sait
tout ou presque. Ses pas le pressent vers sa bibliothèque, à l'abri des abus du
pouvoir, il court relire Les Mémoires du cardinal de Retz, l'anacoluthe chère à
Barthes des orangers de Majorque... Foin de la Princesse de Clèves et de la littérature,
elle aussi, rudement mise au pas, il relira les trois mille pages d’Honoré
d'Urfé et retournera au cinéma voir une nouvelle fois le dernier Rohmer les
Amours d'Astrée et de Céladon ; ouvrira Pascal et à n'importe quelle page
réchauffera son cœur blessé. Il reverra le Pascal de Rossellini... En un mot,
il demandera à l'art le supplément de vérité et d'exactitude que le politique
lui arrache chaque jour. Il relira Debord, chantre de la Conjuration de
Fiesque, et se plaira à rendre grâce à la laideur du monde d'avoir donné
naissance à la chose littéraire, sourira songeant au bon usage de la censure
sur l'art d'écrire. Il fermera les yeux, oubliera jusqu'à Jean-Marie Patte,
Rossellini, Henri Heine et Léo Strauss , pour ne revoir que le clair visage de
la Mère Angélique, magnifié par Philippe de Champaigne, et au Désert se
réjouira de résider, loin de la Cour et de la gloire du monde.
S. V.