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de quinze jours après la victoire du camp du leave au Royaume-Uni le 23 juin dernier, on peut commencer à se
demander, pour plagier Shakespeare, si l’agitation hystérique des milieux
politiques et de la presse française ne fut pas finalement Much Ado About Nothing… Dans la presse, les réactions ont été outrées, fustigeant les habitants de la perfide Albion pour avoir
craché au visage de la belle Europe. Persuadée du rôle majeur qu’ils avaient
joué dans la tragédie d’outre-manche, la journaliste du Monde Hélène Bekzemian a carrément proposé que l’on retire
immédiatement le droit de vote aux vieux. Daniel Cohn-Bendit a lui déclaré au micro de France Inter : « Il faut arrêter de dire que le peuple a
toujours raison », suggérant qu’il n’était peut-être pas forcément
indispensable de tenir compte du vote britannique. Tous les europhiles comme
Cohn-Bendit ont en effet vu, au lendemain du Brexit, un grand bras s’élever au
dessus du Royaume-Uni, passer par dessus la Manche et venir leur coller en
plein visage une beigne si monumentale que rouges de douleur et de colère, ces
progressistes eurobéats ont fini par virer légèrement du rouge au brun,
réclamant, à
l’instar d’un Attali, qu’on cesse de s’embarrasser de principes
démocratiques quand il s’agit de défendre la belle idée européenne. Dans le
concert de réactions outrées, la palme revient sans nul doute à Laurent Sagalovitsch
fustigeant « un référendum de cons, par des cons et pour des cons » et
s’exclamant : « Quelle légèreté, quelle inconséquence des dirigeants
anglais d’avoir permis au peuple de s’exprimer sur un sujet qui le dépassait de
mille coudées, sollicitait du bon sens et du pragmatisme, nécessitait de mettre
de côté ses intérêts particuliers et de penser au-delà des frontières. »
C’est ça le problème avec le droit de vote, c’est qu’il faut laisser les gens
voter. C’est vrai que par rapport au centralisme démocratique de la défunte
URSS ou à la discipline dictatoriale, on perd en confort psychologique. Et il
fallait en plus que José Manuel Barroso choisisse ce moment pour passer à l’ennemi ! Que de malheurs
s’abattent sur la tête de nos eurocrates !
Ceci
dit, quand les Minc,
Attali ou Sagalovitsch auront séché leurs larmes, desserrés leurs petits poings
rageurs, se seront lassés d’insulter les électeurs britanniques et de composer
des odes au retour du suffrage censitaire, on leur conseillera de porter leur
regard extra-lucide dans une autre direction, par exemple celle de l’Italie,
dont l’économie envoie en ce moment des signaux beaucoup plus inquiétants que
le Brexit. Les Britanniques et Barroso feraient-ils leurs bagages au bon moment
? Les banques de la quatrième économie d’Europe gèrent actuellement 360
milliards de créances douteuses et auraient besoin, comme l’affirme le magazine
The
Economist, d’un sérieux « nettoyage », c’est à dire d’une
nouvelle injection d’argent public que n’autorise pas la réglementation européenne.
Les banques italiennes ont actuellement besoin de 40 milliards d’euros pour
éloigner le spectre d’une faillite en cascade. Or, les institutions de la zone
euro proscrivent toute aide publique directe aux banques en difficulté et
l’Allemagne s’impose en la matière comme le gardien intransigeant des tables de
la loi européenne, refusant tout assouplissement de la règle qui, selon Berlin,
minerait la crédibilité des institutions bancaires européennes. De la même
manière que la Grèce avant elle, l’Italie se voit donc plombée par une gestion
bancaire inconséquente et corsetée par la réglementation européenne. Les
conséquences à prévoir pourraient être bien plus lourdes que celles du Brexit
qui a mis en émoi nos éditorialistes de choc. Pour un consultant d’une grande
succursale bancaire implantée à Paris : « Le PIB italien c’est dix
fois celui de la Grèce. A côté de la perspective d’une faillite bancaire en
chaîne en Italie, la crise grecque c’est peanuts. »
Si l’Italie se trouve confrontée à une crise bancaire, l’onde de choc serait
autrement plus dévastatrice que celle du Brexit. Les actionnaires des banques
italiennes étant en majorité des particuliers plutôt que des institutions, les
dépôts de bilan pourraient entraîner un appauvrissement d’une partie de la
classe moyenne italienne et avoir quelques conséquences électorales fort
néfastes pour Matteo Renzi, confronté lui aussi à la perspective d’un
référendum pour sa réforme constitutionnelle en octobre prochain et à
l’irrésistible ascension du mouvement Cinq Etoiles.
Et
s’il n’y avait que l’Italie… Le 7 juillet dernier, la commission européenne a publié un rapport dénonçant
une nouvelle fois la situation budgétaire du Portugal et de l’Espagne et
menaçant ces deux pays de sanctions. A l’heure où les bonnes âmes et les
dirigeants européens appellent à une « refondation » et à une
solidarité « post-Brexit », l’Allemagne n’a pas fait grand cas,
semble-t-il, des intentions généreuses et des appels à la fraternité
continentale. Ce qui obsède toujours l'Allemagne d’Angela Merkel reste la
préservation des épargnants et l’équilibre budgétaire, menacé en Allemagne par
la facture du système de retraite alourdie par une démographie sans cesse
déclinante. De Berlin, on continue donc à crier haro sur les mauvais
gestionnaires et sur ceux qui réclament une politique d’investissements publics
qui pourrait bouleverser le dogme de l’austérité. Depuis fort longtemps déjà,
l’Allemagne semble considérer seulement que ce qui est bon pour elle doit
nécessairement l’être pour l’Europe et semble entraîner tout le continent dans
une fuite en avant qui ne cesse de s’accélérer. Du dogmatisme économique à la
gestion effarante de la crise migratoire jusqu’à l’accord passé avec la Turquie,
ce n’est pas tant le Royaume-Uni qui menace aujourd’hui la stabilité du
continent que l’intransigeance aveugle d’Angela Merkel et le mépris affiché par
Berlin vis-à-vis de ses partenaires européens. La dernière démonstration en
date en fut donnée par Gunther Krichbaum, président du Comité des affaires européennes du parlement
allemand et membre de la CDU. Trois jours après le Brexit, il n’hésitait pas à
déclarer publiquement : «L’Union européenne comptera toujours 28 membres,
après la sortie du Royaume-Uni de celle-ci puisque je m’attends à un nouveau
référendum sur l’indépendance en Ecosse, qui sera alors victorieux. »
Cette sorte d’emballement rappellerait presque l’épisode de la reconnaissance
express de l’indépendance croate par Berlin le 23 décembre 1991, alors que la
Fédération yougoslave existait toujours.
A
vrai dire, à l’issue du Brexit, les Allemands n’ont pas été les seuls à
s’enflammer au sujet de l’indépendance de l’Ecosse, de la même manière que l’on
a pu brandir la menace d’un re-vote
après le succès d’une pétition en faveur d’une nouvelle consultation
rassemblant plus de trois millions de signatures en ligne. L’emballement s’est
calmé depuis. Il n’est pas dit que l’Ecosse choisisse décidément de se couper
de la City qui restera, n’en déplaise à Paris et à Anne Hidalgo, pour un
certain temps encore, la première place financière mondiale avec
New-York ; quant à la fameuse pétition, elle a été rangée au placard.
Elle aura seulement réussi à montrer à quel point l’essor des réseaux sociaux
et la versatilité des médias peuvent discréditer la notion même de consultation
populaire dont on envisage l’invalidation sur la foi d’une simple pétition
internet…A quand la prise en compte des commentaires Youtube lors des prochaine
élections du parlement européen, histoire de continuer à promouvoir en Europe
une démocratie ouverte et moderne ?
La sortie du Royaume-Uni
de l’Union Européenne a au moins cette conséquence positive qu’elle écarte
définitivement la perspective de voir un brouillon d’accord Transatlantique
(TAFTA) signé à la va-vite passer en force sous la pression américaine et
allemande. Comme le confie une source proche des négociations, tandis que
François Hollande a trouvé un allié de circonstance en la personne de
Jean-Claude Juncker, peu enclin à conclure un accord bâclé, Angela Merkel
s’efforçait, elle, à toute force d’emmener David Cameron et Matteo Renzi dans
son sillage pour tenter d’arracher ce que certains au PS ou au Quai d’Orsay
jugeaient comme la pire solution : la signature d’un brouillon
contraignant. Si le départ surprise du Royaume-Uni rebat suffisamment les
cartes pour éloigner cette perspective, il n’est cependant pas certain qu’à
long terme il soit une bonne chose que la perfide Albion nous laisse seuls face
à une Allemagne qui n’entend pas se laisser dominer aussi aisément sur la scène
européenne que sur les terrains de foot. Ceux qui voient dans le Brexit une
sorte de prélude rêvé à une sortie de l’euro tant espérée devraient réaliser
qu’ils sont peut-être victimes tout autant que les europhiles intégristes du
syndrome de la parole magique. La prochaine crise financière pourrait de toute
façon avoir la peau de la monnaie unique bien plus sûrement et rapidement que
tous les mantras des « euroexiters » et en attendant, l’Europe
maastrichtienne, déplaisant legs mitterrandien, est toujours là. Comme dit le
page philosophe dans Les joyeuses
commères de Windsor, autre grande comédie du grand William : « ce qui ne peut être
esquivé, il faut l’embrasser. » Le camp des europhiles se lassera assez
vite d’aboyer après les corbeaux de la tour de Londres. L’hétérogène parti des
europhobes et des ravis du Brexit devrait lui se mettre en tête que la France
n’est pas le Royaume-Uni et qu’aucune formule magique ou politique
providentielle n’évitera d’avoir à se coltiner encore la politique européenne
et à embrasser ce que l’on ne peut esquiver, en tâchant d’éviter en revanche
que l’exigeante Angela ne nous réduise à jouer les petits pages européens, un
peu à l’image de Nicolas Sarkozy, qui a couru dès le 20 juin rassurer Mutti sur
l’avenir du vieux couple franco-allemand. Si cela devait finir ainsi, nous
pourrions toujours nous contenter philosophiquement de notre sort et rêver
comme le pauvre Hamlet : « Je tiendrai dans une coquille de noix ; je
m'y croirais au large et le roi d'un empire sans limites. » Maudits Anglais
qui ont encore tiré les premiers et eu le dernier mot.
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