mercredi 13 juillet 2016

Beaucoup de Brexit pour rien ?



Plus de quinze jours après la victoire du camp du leave au Royaume-Uni le 23 juin dernier, on peut commencer à se demander, pour plagier Shakespeare, si l’agitation hystérique des milieux politiques et de la presse française ne fut pas finalement Much Ado About Nothing… Dans la presse, les réactions ont été outrées, fustigeant les habitants de la perfide Albion pour avoir craché au visage de la belle Europe. Persuadée du rôle majeur qu’ils avaient joué dans la tragédie d’outre-manche, la journaliste du Monde Hélène Bekzemian a carrément proposé que l’on retire immédiatement le droit de vote aux vieux. Daniel Cohn-Bendit a lui déclaré au micro de France Inter : « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison », suggérant qu’il n’était peut-être pas forcément indispensable de tenir compte du vote britannique. Tous les europhiles comme Cohn-Bendit ont en effet vu, au lendemain du Brexit, un grand bras s’élever au dessus du Royaume-Uni, passer par dessus la Manche et venir leur coller en plein visage une beigne si monumentale que rouges de douleur et de colère, ces progressistes eurobéats ont fini par virer légèrement du rouge au brun, réclamant, à l’instar d’un Attali, qu’on cesse de s’embarrasser de principes démocratiques quand il s’agit de défendre la belle idée européenne. Dans le concert de réactions outrées, la palme revient sans nul doute à Laurent Sagalovitsch fustigeant « un référendum de cons, par des cons et pour des cons » et s’exclamant : « Quelle légèreté, quelle inconséquence des dirigeants anglais d’avoir permis au peuple de s’exprimer sur un sujet qui le dépassait de mille coudées, sollicitait du bon sens et du pragmatisme, nécessitait de mettre de côté ses intérêts particuliers et de penser au-delà des frontières. » C’est ça le problème avec le droit de vote, c’est qu’il faut laisser les gens voter. C’est vrai que par rapport au centralisme démocratique de la défunte URSS ou à la discipline dictatoriale, on perd en confort psychologique. Et il fallait en plus que José Manuel Barroso choisisse ce moment pour passer à l’ennemi ! Que de malheurs s’abattent sur la tête de nos eurocrates !
Ceci dit, quand les Minc, Attali ou Sagalovitsch auront séché leurs larmes, desserrés leurs petits poings rageurs, se seront lassés d’insulter les électeurs britanniques et de composer des odes au retour du suffrage censitaire, on leur conseillera de porter leur regard extra-lucide dans une autre direction, par exemple celle de l’Italie, dont l’économie envoie en ce moment des signaux beaucoup plus inquiétants que le Brexit. Les Britanniques et Barroso feraient-ils leurs bagages au bon moment ? Les banques de la quatrième économie d’Europe gèrent actuellement 360 milliards de créances douteuses et auraient besoin, comme l’affirme le magazine The Economist, d’un sérieux « nettoyage », c’est à dire d’une nouvelle injection d’argent public que n’autorise pas la réglementation européenne. Les banques italiennes ont actuellement besoin de 40 milliards d’euros pour éloigner le spectre d’une faillite en cascade. Or, les institutions de la zone euro proscrivent toute aide publique directe aux banques en difficulté et l’Allemagne s’impose en la matière comme le gardien intransigeant des tables de la loi européenne, refusant tout assouplissement de la règle qui, selon Berlin, minerait la crédibilité des institutions bancaires européennes. De la même manière que la Grèce avant elle, l’Italie se voit donc plombée par une gestion bancaire inconséquente et corsetée par la réglementation européenne. Les conséquences à prévoir pourraient être bien plus lourdes que celles du Brexit qui a mis en émoi nos éditorialistes de choc. Pour un consultant d’une grande succursale bancaire implantée à Paris : « Le PIB italien c’est dix fois celui de la Grèce. A côté de la perspective d’une faillite bancaire en chaîne en Italie, la crise grecque c’est peanuts. » Si l’Italie se trouve confrontée à une crise bancaire, l’onde de choc serait autrement plus dévastatrice que celle du Brexit. Les actionnaires des banques italiennes étant en majorité des particuliers plutôt que des institutions, les dépôts de bilan pourraient entraîner un appauvrissement d’une partie de la classe moyenne italienne et avoir quelques conséquences électorales fort néfastes pour Matteo Renzi, confronté lui aussi à la perspective d’un référendum pour sa réforme constitutionnelle en octobre prochain et à l’irrésistible ascension du mouvement Cinq Etoiles.
Et s’il n’y avait que l’Italie… Le 7 juillet dernier, la commission européenne a publié un rapport dénonçant une nouvelle fois la situation budgétaire du Portugal et de l’Espagne et menaçant ces deux pays de sanctions. A l’heure où les bonnes âmes et les dirigeants européens appellent à une « refondation » et à une solidarité « post-Brexit », l’Allemagne n’a pas fait grand cas, semble-t-il, des intentions généreuses et des appels à la fraternité continentale. Ce qui obsède toujours l'Allemagne d’Angela Merkel reste la préservation des épargnants et l’équilibre budgétaire, menacé en Allemagne par la facture du système de retraite alourdie par une démographie sans cesse déclinante. De Berlin, on continue donc à crier haro sur les mauvais gestionnaires et sur ceux qui réclament une politique d’investissements publics qui pourrait bouleverser le dogme de l’austérité. Depuis fort longtemps déjà, l’Allemagne semble considérer seulement que ce qui est bon pour elle doit nécessairement l’être pour l’Europe et semble entraîner tout le continent dans une fuite en avant qui ne cesse de s’accélérer. Du dogmatisme économique à la gestion effarante de la crise migratoire jusqu’à l’accord passé avec la Turquie, ce n’est pas tant le Royaume-Uni qui menace aujourd’hui la stabilité du continent que l’intransigeance aveugle d’Angela Merkel et le mépris affiché par Berlin vis-à-vis de ses partenaires européens. La dernière démonstration en date en fut donnée par Gunther Krichbaum, président du Comité des affaires européennes du parlement allemand et membre de la CDU. Trois jours après le Brexit, il n’hésitait pas à déclarer publiquement : «L’Union européenne comptera toujours 28 membres, après la sortie du Royaume-Uni de celle-ci puisque je m’attends à un nouveau référendum sur l’indépendance en Ecosse, qui sera alors victorieux. » Cette sorte d’emballement rappellerait presque l’épisode de la reconnaissance express de l’indépendance croate par Berlin le 23 décembre 1991, alors que la Fédération yougoslave existait toujours.
A vrai dire, à l’issue du Brexit, les Allemands n’ont pas été les seuls à s’enflammer au sujet de l’indépendance de l’Ecosse, de la même manière que l’on a pu brandir la menace d’un re-vote après le succès d’une pétition en faveur d’une nouvelle consultation rassemblant plus de trois millions de signatures en ligne. L’emballement s’est calmé depuis. Il n’est pas dit que l’Ecosse choisisse décidément de se couper de la City qui restera, n’en déplaise à Paris et à Anne Hidalgo, pour un certain temps encore, la première place financière mondiale avec New-York ; quant à la fameuse pétition, elle a été rangée au placard. Elle aura seulement réussi à montrer à quel point l’essor des réseaux sociaux et la versatilité des médias peuvent discréditer la notion même de consultation populaire dont on envisage l’invalidation sur la foi d’une simple pétition internet…A quand la prise en compte des commentaires Youtube lors des prochaine élections du parlement européen, histoire de continuer à promouvoir en Europe une démocratie ouverte et moderne ?
La sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne a au moins cette conséquence positive qu’elle écarte définitivement la perspective de voir un brouillon d’accord Transatlantique (TAFTA) signé à la va-vite passer en force sous la pression américaine et allemande. Comme le confie une source proche des négociations, tandis que François Hollande a trouvé un allié de circonstance en la personne de Jean-Claude Juncker, peu enclin à conclure un accord bâclé, Angela Merkel s’efforçait, elle, à toute force d’emmener David Cameron et Matteo Renzi dans son sillage pour tenter d’arracher ce que certains au PS ou au Quai d’Orsay jugeaient comme la pire solution : la signature d’un brouillon contraignant. Si le départ surprise du Royaume-Uni rebat suffisamment les cartes pour éloigner cette perspective, il n’est cependant pas certain qu’à long terme il soit une bonne chose que la perfide Albion nous laisse seuls face à une Allemagne qui n’entend pas se laisser dominer aussi aisément sur la scène européenne que sur les terrains de foot. Ceux qui voient dans le Brexit une sorte de prélude rêvé à une sortie de l’euro tant espérée devraient réaliser qu’ils sont peut-être victimes tout autant que les europhiles intégristes du syndrome de la parole magique. La prochaine crise financière pourrait de toute façon avoir la peau de la monnaie unique bien plus sûrement et rapidement que tous les mantras des « euroexiters » et en attendant, l’Europe maastrichtienne, déplaisant legs mitterrandien, est toujours là. Comme dit le page philosophe dans Les joyeuses commères de Windsor, autre grande comédie du grand William : « ce qui ne peut être esquivé, il faut l’embrasser. » Le camp des europhiles se lassera assez vite d’aboyer après les corbeaux de la tour de Londres. L’hétérogène parti des europhobes et des ravis du Brexit devrait lui se mettre en tête que la France n’est pas le Royaume-Uni et qu’aucune formule magique ou politique providentielle n’évitera d’avoir à se coltiner encore la politique européenne et à embrasser ce que l’on ne peut esquiver, en tâchant d’éviter en revanche que l’exigeante Angela ne nous réduise à jouer les petits pages européens, un peu à l’image de Nicolas Sarkozy, qui a couru dès le 20 juin rassurer Mutti sur l’avenir du vieux couple franco-allemand. Si cela devait finir ainsi, nous pourrions toujours nous contenter philosophiquement de notre sort et rêver comme le pauvre Hamlet : « Je tiendrai dans une coquille de noix ; je m'y croirais au large et le roi d'un empire sans limites. » Maudits Anglais qui ont encore tiré les premiers et eu le dernier mot.

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