La
campagne présidentielle 2017 parvient à des sommets de dadaïsme électoral. A
l’issue des primaires présentées comme un modèle d’innovation et de maturité
politique, tous les favoris des partis qui se sont engagés dans cette aventure
hasardeuse se sont fait dégager comme des malpropres par leurs électeurs
ingrats. Après ce rocambolesque épisode, tandis que le PS explosait
tranquillement, la campagne a immédiatement été confisquée par les juges du
PNF, grâce au zèle du Canard Enchainé.
Mis au pain sec et à l’eau dans le cabinet noir de l’Elysée, François Fillon a
été sommé de rendre des comptes sur l’emploi de sa famille et sur sa
garde-robe, au rythme frénétique des affaires révélées chaque jour par le Monde, Mediapart ou le Canard, avec un empressement méprisant
toute notion de rythme scénique. Pour corser encore un peu plus la joute
médiatico-politique, voilà que le tribun Mélenchon s’invitait à coups de
harangue et de rassemblements populaires dans le quartet des favoris, histoire
de brouiller encore un peu plus les cartes et rendre le travail des instituts
de sondage encore plus difficile, envoyant au passage le malheureux Benoit
Hamon nager dans le petit bain des candidats à moins de 10%. Après les débats à
11, le jeu vidéo de Mélenchon et les diatribes incompréhensibles de Jean
Lassalle, on ne voyait guère ce qui pouvait survenir de plus surréaliste dans
cette campagne improbable. C’était grandement sous-estimer la puissance des
« communicants » et la volonté des candidats de sortir vainqueurs de
la course à la modernité politique. Prêts à tout, y compris à faire campagne
sur Snapchat.
Pardon ? Snapquoi ? Snapchat
est le nouveau réseau social à la mode sur lequel, en lieu et place de statuts
ou de message en 140 caractères, on poste une vidéo de 10 secondes qui reste en
ligne pendant 10 secondes au maximum. En gros vous enregistrez en mode selfie
un message avec des petits effets rigolos avec votre portable et vous postez
vos états d’âmes sur cet équivalent vidéo de Twitter, plébiscité par les ados
et post-ados. On peut ajouter à l’extrait quelques filtres amusants, en se
parant d’un nez de clown, d’un museau de chien ou d’une couronne de fleurs aux
couleurs pimpantes. C’est dispensable, éphémère, plutôt idiot mais tellement
jeune que cela ne pouvait que séduire les politiques avides de fidéliser le
public des 13-18…pardon, des 18-25 ans. Les principaux candidats se sont donc
rués sur l’application pour se prêter à l’exercice de l’interview-Snapchat et
répondre de la manière la plus concise et la plus cool possible aux multiples questions que leur
posaient les jeunes adeptes du réseau social. Tous les candidats ? Non.
Car dans un petit village de la France Insoumise, l’un d’entre-eux résiste
encore et toujours à l’invasion de la techno-coolitude : Jean-Luc
Mélenchon qui a refusé tout net de se prêter au jeu. Il faut dire qu’en matière
de jeunisme, Jean-Luc, en devenant le héros de son propre jeu vidéo, a déjà
ringardisé tous les autres qui n’avaient plus d’autre choix que d’aller tapiner
sur Snapchat pour ramasser quelques voix supplémentaires. Can’t stenchon the
Mélenchon !
Imagine-t-on le Général de Gaulle sur
Snapchat défiant le quarteron de généraux en retraite avec un museau et des
oreilles de chien ? François Fillon, lui, n’a pas hésité, saisissant cette
occasion de passer au gaullisme 2.0.
« Bienvenue
dans mon QG de campagne, ravi de répondre à vos questions sur
Snapchat ! » Pendant les trois minutes durant lesquelles le candidats
des Républicains se prête au jeu des questions-réponses, on apprend que le
chouchou des juges et des médias aurait voulu devenir ambassadeur ou ingénieur
– « mais comme vous voyez, je n’ai réussi ni l’un ni l’autre », que son
filtre Snapchat préféré est celui des petites lunettes rondes et colorées
accompagné d’un fond musical funky gangsta, qu’il ne peut rien faire pour
baisser le prix des sandwichs grecs et qu’il est en faveur du port de
l’uniforme à l’école. Mais quel bad boy ce Fillon ! Il est vrai cependant
que le principe des quots migratoires passe beaucoup mieux auprès des jeunes
quand on l’explique en vidéo sur internet avec des lunettes roses sur le nez
sur un fond de rap bien smooth. Qui sait, peut-être que c’est aussi le filtre
Snapchat que le Général aurait préféré lui aussi ?
Dans le genre badass, Marine Le Pen
déchire tout elle aussi sur Snapchat. Son filtre préféré à elle, c’est le
museau de chien avec les oreilles qui pendent sur les côtés qui lui donnent un
air choupinou quand elle défend la reconquête de la souveraineté nationale et
qu’elle condamne l’islamisme. Mais elle répond néanmoins à une internaute
qu’elle connaît cependant bien le monde arabe et qu’elle le respecte. La
preuve, elle chante du Dalida en ligne : « J’ai mis de l’or sur mes
cheveux et un peu de noir sur mes yeux… » pour séduire les électeurs
certainement.
Difficile de savoir si Marine Le Pen qui chante du Dalida avec
des oreilles de chien sur Snapchat, cela séduit les jeunes, mais ce qui est
certain c’est qu’elle doit sérieusement revoir ses goûts en matière de
décoration d’intérieur ou du moins faire preuve de plus de discrétion en la
matière quand elle poste des vidéos sur les réseaux sociaux. Parce qu’il faut
bien reconnaître que la fresque offerte par la peintre militante russe Maria
Katasonova représentant la patronne du FN encadrée par Vladimir Poutine et
Donald Trump et portraiturée dans la meilleure tradition du réalisme
socialiste, ça pique franchement les yeux…
Rien, cependant, ne pourra égaler le
détachement et le mojo de Benoit Hamon, auquel on décernera sans hésiter le
prix « Jeune et cool 2017 » de la politique française. Benoit sait
faire plaisir à ceux qui lui posent les bonnes questions : « Pas
besoin de 10 secondes pour vous dire qu’avec moi vous allez percevoir le Revenu
Universel d’Existence ! », soit 600 € mininum pour les étudiants qui
seront désormais au RUE et plus à la rue. « Et si mon cousin du bled Hamid
vient en Erasmus, demande un autre internaute inquiet de connaître le degré
d’ouverture du candidat socialiste, il pourra toucher le Revenu Universel
aussi ? » Aucun problème répond Benoit Hamon, il faut juste attendre,
pour que le cousin Hamid puisse s’inscrire en Erasmus, que l’Union Européenne se
soit étendue au-delà de la Méditerranée. En plus d’être un esprit tellement
ouvert, Benoit Hamon promet la légalisation du cannabis dès son arrivée au
pouvoir, que demander de plus ? Et son filtre Snapchat préféré, c’est la
couronne de fleur sur la tête, « parce que je ne suis pas avec les écolos
pour rien, alors FLOWER POWER ! »
Pas étonnant qu’en étant aussi cool,
Hamon fasse tourner les têtes. « Je sais pas si tu fais battre le cœur de
la France mais tu fais battre le mien », lui confie une jeune amoureuse
transie dans une vidéo en forme de déclaration d’amour. Face à un tel séducteur,
Emmanuel « Prince Vaillant » Macron fait pâle figure dans son
interview Snapchat avec son filtre déformant tout pourri et son slogan
moisi : « Votez pour moi parce que c’est votre
projet ! » Bon, il a une maquette de la fusée Ariane dans son bureau,
c’est bien mignon mais ça ne suffira pas pour égaler le sex-appeal de Benoit
Hamon qui prévient quand même : « Pour prendre un bain avec moi, il
faut être sérieusement qualifié ! Ma femme et mes filles. Point
barre. » Mélenchon a du juger de son côté qu’Hamon n’était lui-même pas
assez qualifié pour partager le même bain avec lui. Dépité le candidat
socialiste devra se contenter jusqu’au bout de Yannick Jadot…et peut-être de la
star d’internet JérémStar qui propose au socialiste, non pas de prendre un bain
avec lui, mais de partager une douche froide. Ce qu’ils peuvent être mauvais
ces jeunes quand même…
Pendant ce temps, dans la vraie vie de
la vraie réalité, un policier a été abattu et deux autres blessés par un enragé
islamiste sur les Champs-Elysée dans la soirée de jeudi. La fin de la récré
vient à nouveau de sonner tragiquement et la campagne s’achève brutalement en
passant sans coup férir de la clownerie au drame tandis que le retour du réel
pulvérise à nouveau le miroir aux alouettes de la com’.
Non, décidément, on n’imaginerait pas
le général de Gaulle sur Snapchat. On ne l’imaginerait d’ailleurs pas plus
faire campagne en 2017.
Egalement en ligne sur le FigaroVox
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