« Nous
sommes en démocratie et Monsieur-Tout-Le-Monde est à présent monarque (…) plus
misérable que jamais, que l’on fesse, en lui jurant qu’il est le maître (…) »
Albert Caraco
En 1991, Jean Baudrillard constatait
dans un livre volontiers provocateur que la guerre du Golfe n’avait pas eu
lieu. Le déferlement d’images s’était finalement emparé de la réalité pour en
constituer une simulation parfaite. Par la suite, le jeu des montages multiples
et des commentaires incessants avaient fini par déformer la simulation
elle-même pour atteindre le stade du simulacre, soit la représentation
fantasmatique d’une réalité seulement entrevue par le filtre des médias. On
peut se demander aujourd’hui si l’élection présidentielle ne subit pas le même
processus de déréalisation avancée : va-t-elle seulement avoir lieu ?
Comme la guerre du Golfe auparavant, elle se déroule sous les yeux médusés de
citoyens-spectateurs à qui l’on demande quotidiennement, par sondages
interposés, d’en commenter les soubresauts. Ce n’est plus une élection démocratique
mais un feuilleton tragico-comique : les programmes politiques se sont
rapidement effacés derrière les querelles de personnes, les vagues d’émotions
ont envahi l’espace public au détriment des discours rationnels, les
journalistes se sont repus des affaires judiciaires avec un plaisir à peine
dissimulé et les réseaux sociaux ont déversé leur bile mi-sarcastique
mi-haineuse sur ce qui restait de la dignité du personnel politique. Bref,
l’élection s’apparente à un jeu de massacre. Il ne restera plus à la fin que le
candidat qui a réussi à traverser toutes les épreuves sans trop de dommages. Il
sera lessivé, littéralement vidé, mais adoubé par les foules médiatiques.
A
son époque, Jean Baudrillard considérait Disneyland comme un lieu hyperréel
qui, en simulant le mode de vie américain, donnait au sujet l’impression de se
mouvoir dans un monde imaginaire dans lequel tout le monde jouait. A la fin de
la journée, il y avait pourtant une caisse qui enregistrait les profits et des
employés qui indiquaient la sortie pour retourner au monde réel. Par analogie,
on peut également considérer l’élection présidentielle comme un événement qui
ne cesse de se déployer dans l’espace virtuel jusqu’à saturer toute tentative
de décryptage. Les électeurs s’y promènent avec plus ou moins d’intérêts comme
dans un parc d’attraction démocratique, essayant ici et là de gagner quelques
points de citoyenneté. Espérons seulement qu’à la fin de la journée,
c’est-à-dire au lendemain de l’élection présidentielle, le retour à la réalité
ne soit pas trop amer ni la facture élective trop élevée.
A
cette simulation qui tourne au simulacre, il semble que les plus hautes
instances de l’Etat se soient déjà préparées en coulisse pour en dénoncer par
avance l’illusion. Ainsi, le président le moins légitime de l’histoire de la
Cinquième a déjà fait savoir qu’il ferait don de son corps pour en empêcher le
dénouement si jamais les résultats contrevenaient aux sacrosaints principes
républicains, par ailleurs piétinés allègrement. « J’ai encore à faire
pour éviter que le populisme, le nationalisme, l’extrémisme ne puissent l’emporter,
y compris dans mon propre pays » a-t-il prononcé énigmatiquement lors de
la conférence de Singapour. Certains journalistes ont avancé que le Premier
ministre lui-même n’aurait « aucunement l’intention de déserter le front
de Matignon au cas où Marine Le Pen emporterait la présidentielle » –
interprétation démentie par Matignon. Dans une parodie de démocratie, quelles
que soient les intentions des uns des autres, il ne serait pas surprenant que
la volonté du peuple soit une nouvelle fois bafouée. On connaît la sentence de Bertolt
Brecht : « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut
dissoudre le peuple » ; ne reste plus qu’à la mettre en pratique.
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