Il en fallait du courage pour aller
jusqu’au bout du premier débat des élections présidentielles de 2017. 3h20 au
compteur, un lundi soir en plus ! C’est presque aussi long que Lawrence d’Arabie ou Ben Hur, et même si ce n’est pas bien de s’attaquer au physique, les
oreilles décollées de Benoit Hamon, le gueuloir de Marine Le Pen, les poses de
jeune premier de Manu Macron ou les mimiques de papa ours de Mélenchon , ça ne
vaut ni Charlton Heston, ni le regard limpide de Peter O’Toole en Technicolor.
Même Fillon ne fait pas le poids avec ses costards à 15 000 €. C’est bien
d’ailleurs la première fois qu’on fait ce coup-là au citoyen et téléspectateur
lambda : lui sortir un débat-fleuve de premier tour entre cinq candidats,
c’est du (presque) jamais vu en Ve République. Après les primaires qui sortent
les ténors de LR et du PS, les juges qui se mettent en campagne et obligent
François Fillon à changer de costume et de slogan, il va falloir arrêter un peu
les innovations sinon on se demande ce qui restera à Benoit Hamon et Jean-Luc
Mélenchon pour nous surprendre avec leur changement de république. Depuis
quelques mois on a l’impression d’avoir changé trois fois de président et mangé
quatre républiques au petit déjeuner. On est blasé vous comprenez ?
Pourquoi ne pas embaucher les gardes du corps comme assistants parlementaires
et Jean-Marc Ayrault comme ministre des Affaires Etrangères tant qu’on y
est ? Ca devient n’importe quoi là : un débat de cinq candidats
pendant plus de trois heures en semaine en plus, il y a des gens qui bossent et
la France qui se lève tôt le lendemain comme disait l’autre ! Et quand je
pense que les six autres voulaient aussi en être, on aurait pu aussi bien organiser
une nocturne et bruncher à sept heures du matin aussi. Ils prennent les
électeurs pour quoi ces gens ? Pour des rentiers qui n’ont que ça à
faire ?
Bon, visiblement, soit l’électorat compte
beaucoup d’oisifs, soit les gens aiment se faire du mal ou sont vraiment – au
choix – terrifiés ou chauffés à blanc par cette élection. 9,8 millions de
téléspectateurs auraient suivi le débat selon France Info avec un pic à 11,3 millions et 47% de part d’audience,
écrasant au passage le débat de la primaire de droite (deux fois moins), le
débat de la primaire de gauche (trois fois moins), Cyril Hanouna, Une flic entre deux feux (la série TV de
la Deux), Super Nanny, Wolfgang
Amadeus Mozart sur France 5 et Alain
Delon sur Arte. Tout ça pour entendre
Emmanuel Macron et Marine Le Pen déterrer le burkini de guerre, Jean-Luc
Mélenchon demander à cette dernière si elle comptait abroger le Concordat,
Benoit Hamon parler de vote utile et François Fillon compter les milliards
distribués par ses camarades, tout à leurs promesses. Cela valait-il vraiment
le coup de snober Amadeus ou Mort d’un pourri pour assister à
ça ? Oui, et pour de nombreuses raisons.
D’abord, pour Jean-Luc Mélenchon, assurément le roi de la répartie ce
soir-là. La présence du leader de la France
Insoumise chez Tf1, tout comme celle de la chef de file du Front National
sur un même plateau TV constituait en soi un puissant argument. La dernière
fois que ces deux-là avaient vraiment croisé le fer, l’entretien s’était révélé
saignant. En 2012, dans l’émission Des paroles et des actes de David Pujadas,
Marine
Le Pen avait quand même fini par bouder et par refuser de débattre avec le
candidat du Front de gauche, faisant mine de lire ses
notes et le journal, affectant d’ignorer un Jean-Luc Mélenchon déchainé. Mais à
l’époque, le FdG pouvait encore prétendre jouer dans la même cour que le FN,
encore sous le coup de sa formidable gamelle du premier tour des élections de
2007. En 2017, les sondages entonnent une autre chanson et Mélenchon a d’autres
cibles. Car il y a les ennemis idéologiques et les adversaires d’appareil. Et
Mélenchon ne pouvait que se réjouir de voir Emmanuel Macron et Benoit Hamon
s’empoigner en direct sur le plateau de Tf1. Mélenchon et Hamon ont des
parcours étrangement liés. Pour tous deux, le Congrès de Reims en 2008 a
signifié la rupture, vécue et assumée de manière différente puisque Mélenchon a
quitté le PS à cette occasion, après l’arrivée en tête de la motion Royal, pour créer un nouveau mouvement "sans
concession face à la droite", tandis que Benoit Hamon, homme
d’appareil et apparatchik de second rang, commençait à ce moment à se tailler le
costume de « rassembleur des frondeurs » qu’il endossera sous le
gouvernement Hollande avant de devenir le champion surprise de la gauche.
Au
terme d’un cycle politique riche en retournements et en paradoxes, un Mélenchon
plus insoumis que jamais qui a mis ses alliés communistes dos au mur et un
Hamon lâché par ses ex-camarades du PS se retrouvent en position de se disputer
le leadership d’une extrême-gauche recomposée. De son exil idéologique, Hamon,
dénoncé comme trop clivant par ses ex-camarades, désormais pour partie
aspirants-macroniens, regarde avec aigreur le nouvel astre briller au-dessus
des cendres du défunt PS. Alors, Hamon, qui s’était déjà fait voler en 2008 son
combat contre Royal par Aubry, tente encore durant le débat, de se hisser au niveau de son nouvel adversaire. Las ! Durant tout le débat, Hamon aura
beau tenter d’écorner la belle image lisse d’Emmanuel Macron, de proposer un
« futur désirable » et de défendre son revenu universel, dont il ne
reste déjà plus grand-chose dans son programme, on le sent tout du long ravalé
au rang de second couteau. Tout juste bon à traiter Marine Le Pen de
« droguée des faits divers » - ce qui est assez drôle -, à dénoncer
un « débat politique nauséabond » et à dérouler l’insipide rhétorique
d’un réformisme bien-pensant, il ne parvient pas à exister face à un Mélenchon
qui en fait des tonnes dans l’utopisme tonnant. Ce dernier ricane franchement
quand Macron et Hamon se font reprendre par Gilles Bouleau à l’issue d’une
longue passe d’arme. « C’est un débat à cinq », leur rappelle le
journaliste. « Mais il faut bien qu’il y ait un débat au PS »,
ajoute, perfide, Mélenchon en arrière-plan. En face du pauvre Hamon et du
tonitruant Mélenchon, Marine Le Pen se démène elle aussi, comme une diablesse,
pour taper à la fois sur Fillon et sur Macron, et faire contrepoids à
Mélenchon. Mais si les arguments de ce dernier apparaissent souvent aussi
généreux que surréalistes, il réussit cependant à conserver pour lui l’avantage
d’une rhétorique flamboyante, à défaut d’être vraiment convaincant.
Marine Le
Pen, elle, donne l’impression de manier, toujours avec la même dextérité de
camionneur chevronné, le même rouleau compresseur sur les mêmes sentiers
battus. C’est la fêlure dans la carapace du démagogue qui apparaît : celui
qui s’appuie sur des vérités pour s’élancer vers l’abstraction séduisante voit
sa course s’achever dans le domaine du ressassé et du slogan. Marine Le Pen
tance, répète, réaffirme, mais ce que son discours recèle de vérité se mue en
obsessions qui oblitèrent progressivement tout ce que, de son projet futur,
l’on pourrait demander que la candidate expose.
Pendant, ce temps,
François Fillon compte les milliards que dépensent sans compter ses adversaires
pour la défense, l’école, contre le chômage, pour la relance, la croissance, la
consommation des ménages. Celui que les journaux et la justice questionnent
depuis deux mois sur le salaire de son épouse et de ses enfants, et le prix de
ses costumes, n’en peut plus d’entendre les autres candidats promettre,
promettre et promettre encore. Emmanuel Macron, lui, est d’accord, la plupart
du temps, avec tout le monde. Quand on l’attaque, il fait le dos rond, sourit
finement, répète « c’est pour moi ça ! », en mettant les rieurs
de son côté. Le reste du temps, il acquiesce, abonde, « un coup à gauche,
un coup à droite», comme lui reproche Mélenchon. Le rusé Macron a, paraît-il,
étudié Machiavel, en maîtrise ou en DEA. Il doit alors sûrement avoir en tête
le début du chapitre XVIII du Prince :
« Chacun comprend combien il est louable pour un prince d’être fidèle à sa
parole et d’agir toujours franchement et sans artifice. De notre temps,
néanmoins, nous avons vu de grandes choses exécutées par des princes qui
faisaient peu de cas de cette fidélité et qui savaient en imposer aux hommes
par la ruse. Nous avons vu ces princes l’emporter enfin sur ceux qui prenaient
la loyauté pour base de toute leur conduite. »
Emmanuel Macron pourrait se
souvenir que si Machiavel conseille d’être quelquefois renard, il recommande
aussi de savoir aussi être lion et qu’il faut également savoir « déguiser
cette nature de renard », ce que Macron, apparemment n’a pas su faire,
paraissant si constamment souple, aimable et calculateur qu’il en devenait
presque grossier dans ses manières si rondes. Mais, après tout, le reproche
pouvait, lundi soir, s’adresser à tous les candidats qui semblaient avoir
adopté cette autre maxime machiavélienne : « les hommes, en général,
jugent plus par leurs yeux que par leurs mains, tous étant à portée de voir, et
peu de toucher. Tout le monde voit ce que vous paraissez ; peu connaissent
à fond ce que vous êtes, et ce petit nombre n’osera point s’élever contre
l’opinion de la majorité, soutenue encore par la majesté du pouvoir
souverain. » L’opinion, comme chacun sait, ça se travaille. Chacun des
candidats s’y applique avec ferveur et comme dit, encore une fois,
Machiavel : « un trompeur saura trouver toujours quelqu’un qui se
laisse tromper. » Mais la politique, comme chacun sait, n’est pas que la
conquête du pouvoir, elle en est ensuite l’exercice. Et le débat de lundi ne
laissait deviner aucun homme ou aucune femme qui semble vraiment en mesure de
s’acquitter de cette tâche. Le plus difficile dans l’art de gouverner est
peut-être de savoir décevoir après avoir voulu autant séduire.
Egalement en ligne sur Causeur
Pour en
savoir plus sur les très riches heures du congrès de Reims, on recommandera
chaudement la lecture de Hold-ups, arnaques et trahisons,signé des journalistes d’Europe 1 Antonin André et Karim Rissouli
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