Déçus
ou enthousiastes tous semblent s'accorder sur un point : le
deuxième Trainspotting
serait divertissant, donc dispensable. Nous pensons au contraire que
ce film était nécessaire.
Nécessaire
car il révèle le profond pessimisme qui habite Danny Boyle et que
sa pratique virtuose du détournement de l'esthétique du clip
occulte trop souvent. Nécessaire également car le premier
Trainspotting
contribuait
à sa manière, syncopée et déglinguée, à l’entretien des
illusions lyriques propres à la jeunesse : pittoresque de la
bohème, drôlerie de l’échec, grandeur de la « rock ‘n’
roll way of life »... 20 ans après, ce folklore ne tient plus
et il faut être un fieffé crétin pour croire encore aux vertus
subversives du rock ‘n’ roll. Le premier Trainspotting
était un film punk, or, nous savons aujourd’hui que le punk est
une impasse, qui mène les plus intègres à la clochardisation. Pour
les punks, la survie implique obligatoirement la récupération -
« There is no alternative » - et c’est le drame des
protagonistes de Trainspotting,
que d’être devenus, au fil du temps, parfaitement irrécupérables.
Toutefois, on l’oublie souvent, Renton et sa clique, fans d'Iggy
Pop, héroïnomanes à l'ère des raves et des drogues de synthèse,
étaient déjà dans le premier Trainspotting
des has
been,
et, à leur façon, de jeunes vieux. D’emblée obsolètes, ils
n’étaient sauvés de la ringardisation que par l’inconscience de
leur jeune âge. Elle leur fait défaut désormais, et, arrivés en
fin de partie, leurs visages marqués semblent anticiper le prochain
coup du sort, la prochaine trahison.
Naturellement,
on reprochera à ce second Trainspotting
d’être moins drôle, moins léger, un peu poussif, et c’est
bien normal: Trainspotting
2
est avant tout un film sur le temps, sur sa façon insidieuse de
distendre les visages, d'alourdir les corps, d'assécher les âmes,
de nous rendre chaque jour plus étrangers à nous-mêmes, à nos
proches, en dépit des exercices réguliers et des réminiscences
toujours plus laborieuses, effectués sous le regard navré des
nouvelles générations, nos remplaçants. Peu étonnant que ce film
déplaise : la vieillesse est pour notre époque le seul sujet
de scandale et en la mettant en scène, Boyle reste fidèle à
l’esprit iconoclaste du punk originel. Comme Renton, nous sommes
devenus des « touristes de notre propre jeunesse »,
tâchant d’oublier, à grands renfort de
revivals
et de vintage,
le
temps qui passe et nous accable. Peut-être, Danny Boyle a t-il
voulu piéger son propre public ? Nous aurions tant aimé que
les personnages de Trainspotting
conservent
leur vivacité, leur fraîcheur,
restent
jeunes dans leur tête.
Hélas, c’était impossible, nous le savons désormais.
Trainspotting
2
traite également de ce temps collectif et majusculaire que l'on
appelait jadis l'Histoire. Et en 20 ans de mondialisation, celle-ci
n'a pas chômé. Ce film permet une mise en perspective historique
des tribulations de nos amis ce qui le rend émouvant, et bien plus
riche d’enseignements que n’importe quel Ken Loach.
C'est
la fin d'un monde, celui de la descendance directe du prolétariat
britannique, laminé par le néo-libéralisme, dépossédé de sa
mémoire. Si certains aspects de la dégradation de sa condition sont
évoqués de manière elliptique - notamment l'immigration de masse,
presque éludée en une réplique sybilline de Spud (« pourquoi
partir ? Je suis le dernier indigène du quartier! »), Boyle
s'attarde sur les métamorphoses du monde urbain : centre-villes
devenus musées, barres d'immeubles désaffectées dans l'attente de
démolition, profusion de buildings en verre, bars lounge... Dans ce
nouveau contexte, le devenir du pub, lieu de sociabilité familiale
dans le premier Trainspotting
paraît le symbole de cette fin d’un monde : désormais seul
bâtiment debout au beau milieu d'une friche immobilière, il attend
sa reconversion en « sauna », comprendre : en
néo-bordel.
Boyle
nous présente également la débâcle des hommes, des white
male de
plus de quarante ans voués aux gémonies par les nouveaux pouvoirs.
Ce monde ne tient plus que par les femmes, toutes aussi usées que
leurs maris, mais qui assument humblement leurs rôles de passeuses
en élevant leur progéniture, et quelle progéniture ! Fils à
maman graciles et invertébrés, minets prostrés devant leurs jeux
vidéos, ou bien investis corps et âmes en d’ineptes études -
« hôtellerie et management » !
L’Histoire
est donc toujours cette marâtre, intraitable pour les sans grades et
petites gens auxquels elle n'offre pour tout avenir, en ses périodes
fastes, que la fosse commune ; en ses moments apaisés, le
chômage de masse, le pain et les jeux - demain, le revenu universel
et la drogue légale…
Trainspotting
reste le film d'une génération, celle qui, ayant eu 20 ans en 1995,
en parfaite cocue de l'Histoire, aura gâché sa jeunesse à regarder
passer les trains, coincée entre le lyrisme envahissant des
soixante-huitards et la muflerie 2.0 de ses cadets. Trop lucide pour
adhérer à son époque mais trop ricanante
et avachie pour lui opposer quoi que ce soit de valable. Une
génération perdue, quelques vies pour rien. Renton, Sick Boy, Spud,
Begbie, chacun pourraient faire sienne cette réplique d’un roman
classique, qui ne sera donc jamais culte
– et encore moins vintage,
réplique qui signe l'échec d’ une existence : « C'est
là ce que nous avons eu de meilleur! »
François Gerfault
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