Depuis le tour de passe-passe de Chirac en 2002,
l'hyperprésidence de Sarkozy et la "normalitude" de François
Hollande, il était devenu habituel d'entendre que nous avions à la tête de
l'Etat des gens très compétents pour prendre le pouvoir, mais forts peu
capables de l'exercer. Voilà au moins un trait détestable de la vie politique
française qui s'efface, puisque nous avons désormais des candidats de droite et
de gauche parfaitement infoutus de conquérir le pouvoir et donc, en toute
logique, de l'exercer. On objectera que François Fillon fut déjà Premier
ministre. Mais servir de paillasson à Nicolas Sarkozy durant cinq ans peut-il
être réellement qualifié d'expérience déterminante en termes d'exercice du pouvoir
suprême? On ne le saura peut-être jamais tant son propre camp semble désormais
décidé à le mettre sur la touche. Quant à Benoît Hamon, en tant que ministre de
l'Education intérimaire, il n'eut même pas le temps de connaître une rentrée
des classes. Pour le dire vite, il fallait juste quelqu'un pour servir de
concierge rue de Grenelle, pendant la pause estivale de 2014.
Le fait se confirme en tout cas : il y a bien une
malédiction des primaires, plus terrible que celle de Toutankhamon. A gauche
comme à droite, les ténors supposés ont été écartés par des électeurs mal
embouchés qui n'ont adoubé que les perdants pour le match présidentiel.
François Fillon et Benoît Hamon dans la course à la présidence, c'est un peu
comme si vous lanciez Teddy Riner avec une jambe cassée sur un tricycle pour
faire le Tour de France ou Sébastien Chabal avec des skis aux pieds dans
l'épreuve de natation des Jeux Olympiques. Teddy Riner a beau être très fort,
comme François Fillon semblait l'être à l'issue des primaires, si vous lui
cassez une jambe et que vous le collez sur un tricycle en bas du col du
Ventoux, il n'ira pas bien loin. Quant à Benoît Hamon, qui est un peu aux
présidentielles ce que le T-Shirt Che Guevara est à la conscientisation
politique, si vous êtes un électeur de gauche et que vous avez contribué à son
intrônisation à l'issue de la primaire de gauche, vous risquez d'obtenir le
même résultat qu'en propulsant Sébastien Chabal chaussé de skis dans un bassin
olympique: dans les deux cas ils coulent.
On pourra dire, à la décharge des électeurs de
François Fillon, qu'ils ne savaient pas forcément que leur poulain risquait de
se retrouver avec la magistrature française sur le dos, dans le cadre d'une
opération mani pulite à la française qu'on sent un peu (mais juste un
peu) téléguidée par l'Elysée et Bercy. Les (derniers) partisans de François
Fillon clament encore que les fonds qu'il a employés pour payer son épouse
faisaient partie d'une enveloppe parlementaire dont l'usage est à la discrétion
du député et qu'il est, de fait, très difficile de mesurer le travail d'une
attachée parlementaire. Il n'y aurait donc pas réellement d'éléments permettant
de faire déboucher l'instruction judiciaire sur une condamnation, le
"système Fillon" ne reflètant au pire que la culture du népotisme
partagée par toute la classe politique française, à droite comme à gauche.
Qu'importe, l'occasion était peut-être trop belle de coller une mise en examen
sur le dos d'un candidat trop estampillé "conservateur catholique"
pour pouvoir être toléré plus longtemps dans la cour des grands.
On remarque que la justice est moins diligente dans le
cas d'Emmanuel Macron, accusé par les députés Christian Jacob et Philippe
Vigier d'avoir détourné 120 000 euros d'argent public au bénéfice de sa
campagne électorale; une accusation formulée sur la base des révélations faites
par les journalistes Frédéric Says et Marion L'Hour dans leur ouvrage Dans l'enfer de Bercy (éd. J.C.
Lattès)[1]:
"Emmanuel Macron a utilisé à lui seul 80% de l'enveloppe annuelle des
frais de représentation accordée à son ministère par le Budget. En seulement
huit mois, jusqu'à sa démission en août". Dans cet ouvrage tout à fait
passionnant, les deux journalistes, l'une en poste au service économique de
France Inter et l'autre journaliste politique à France Culture, nous révèlent
les liens très privilégiés entretenus par le ministère des Finances et la
présidence de la République. De là à imaginer que l'actuel locataire de
l'Elysée a adoubé le très europhile Macron et compte bien sur la crémation
judiciaire de Fillon au premier tour et sur le "front républicain" au
second pour faire passer Prince Vaillant aux manettes, on serait presque tentés
de devenir complotistes. Bon, en ce qui concerne Benoît Hamon, pas d'inquiétude
et pas de problème avec la justice, seulement une erreur de casting. Là, en
revanche, on ne peut pas dire que ses électeurs n'étaient pas au courant.
Comment faut-il nommer les partisans de Benoît Hamon au fait ? Les
"hamonites" ? C'est pas un genre de fossile, ça ?
Nous voilà donc, à un mois et demi des
présidentielles, face à un quarté original : en tête une Marine Le Pen et un
Emmanuel Macron dont l'affrontement au second tour, s'il avait bien lieu comme
tous les sondages le pronostiquent, avaliserait la mise au rencard du vieux
clivage gauche-droite au profit d'une franche opposition entre boniment
europhile et démagogie antilibérale, et au bas du podium François Fillon,
ravalé médiatiquement au rang de candidat de la "Manif Pour Tous", et
Benoît Hamon, avec sa Brigade anti-discriminations et son Revenu Universel,
candidat des nostalgiques de Nuit Debout et du prêt-à-penser de la révolution
libertaire. En somme, les deux candidats sociétaux, peu à peu lâchés l'un comme
l'autre par leurs troupes et leur famille politique. Il n'y a pas qu'aux
inaugurations de la LGV présidées par François Hollande qu'on se fait tirer
dans les pattes.
Ainsi, pendant que le duel attendu entre la France
d'en bas et la France d'en haut se prépare, les seconds couteaux supposés
rejouent un vieux scénario gauche-droite que les médias adorent: celui de la
France réactionnaire et rance contre les partisans du progressisme éclairé ;
Fillon dimanche au Trocadéro pour lancer
un appel solennel et quelque peu désespéré au peuple de droite et la gauche
comme-il-faut à République pour protester contre l'appel de Fillon. Oui, mais
voilà, comme le titrait Laurent Binet en 2012 dans son récit-hagiographie de la
campagne de François Hollande : Rien ne se passe comme prévu[1]
Voilà que François Fillon a transformé son baroud d'honneur en démonstration de
force au Trocadéro. Voilà soudain que le cortège funéraire s'est transformé en
sacre populaire, au grand dam des barons de la droite et des seconds couteaux
qui s'entendaient déjà pour préparer la sortie du candidat Fillon. On ne se
lancera pas, à ce stade, dans les prévisions hasardeuses mais une chose est
sûre: François Fillon n'a pas donné l'impression qu'il était sur le départ. Il
se paye même le luxe de s'offrir, en lieu et place d'un discours d'adieu, une
sorte d'adoubement gaullien marqué par un discours volontaire qui, pour un peu,
s'inscrirait presque dans une tradition de dénonciation, très fidèle à l'esprit
des débuts de la Ve République, de la dictature des partis. C'est la seule
chance qui reste à François Fillon: jouer
la carte gaullienne de l'homme providentiel, seul contre tous mais prêt à
tendre la main à ceux qui dans sa famille politique se sont prononcés peut-être
un peu trop vite sur sa mort politique. Face à une opinion aussi lassée de sa
classe politique, le candidat des Républicains sait qu'il peut avantageusement troquer
sa défroque de mis en examen contre celle de l'inflexible revenu de tout. Quelle
alternative s'offre d'ailleurs sérieusement à une droite qui risquerait, en
activant un illusoire plan B, de précipiter une partie de son électorat dans
les bras de Marine Le Pen et d'annihiler plus sûrement encore ses dernières
chances de remporter l'élection ?
Reste à savoir ce qui sortira de la réunion du Comité politique des Républicains. François Fillon semblait cependant pleinement mesurer ses atouts sur le plateau du 20h dimanche soir, affirmant avec un calme certain sa détermination et sa volonté de ne pas se laisser dicter sa conduite "par des présidents de régions et des candidats malheureux à la primaire de la droite et du centre." A ce petit jeu, Fillon est assez fort. La manière dont il avait rappelé à David Pujadas, lors du troisième débat de la primaire de droite, que les candidats et non les journalistes étaient maîtres du débat lui avait déjà permis de se démarquer de ses adversaires. Cette fois, Fillon semble être en mesure de rappeler à son propre parti qu'il reste maître du jeu en tant que candidat désigné par 4 millions de personnes, capable qui plus est de rassembler en quelques jours une foule de manifestants venue braver la pluie et la tempête judiciaire pour le soutenir. Finalement, il ne se débrouille pas si mal Teddy Riner avec son tricycle et sa jambe cassée.
Article publié sur Causeur.fr
Reste à savoir ce qui sortira de la réunion du Comité politique des Républicains. François Fillon semblait cependant pleinement mesurer ses atouts sur le plateau du 20h dimanche soir, affirmant avec un calme certain sa détermination et sa volonté de ne pas se laisser dicter sa conduite "par des présidents de régions et des candidats malheureux à la primaire de la droite et du centre." A ce petit jeu, Fillon est assez fort. La manière dont il avait rappelé à David Pujadas, lors du troisième débat de la primaire de droite, que les candidats et non les journalistes étaient maîtres du débat lui avait déjà permis de se démarquer de ses adversaires. Cette fois, Fillon semble être en mesure de rappeler à son propre parti qu'il reste maître du jeu en tant que candidat désigné par 4 millions de personnes, capable qui plus est de rassembler en quelques jours une foule de manifestants venue braver la pluie et la tempête judiciaire pour le soutenir. Finalement, il ne se débrouille pas si mal Teddy Riner avec son tricycle et sa jambe cassée.
Article publié sur Causeur.fr
"On objectera que François Fillon fut déjà Premier ministre. Mais servir de paillasson à Nicolas Sarkozy durant cinq ans peut-il être réellement qualifié d'expérience déterminante en termes d'exercice du pouvoir suprême"
RépondreSupprimerOn se rend compte ce que cette phrase signifie ? Elle est aussi vraie que triste... Certains sont prêt à voter pour un type qui aura été rien d'autre qu'un paillasson, personne ne se souvient même qu'il fut premier ministre de la France pendant 5 ans.
La mémoire politique de l'électorat est courte. C'est un phénomène inhérent aux systèmes représentatifs sur lequel tablent toujours les politiques. Ou peut-être Sarko poussa-t-il si loin la logique "hyperprésidentielle" que la fonction ministérielle de Fillon fut dès le départ occultée.
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