vendredi 27 septembre 2019

Une jeunesse les dents serrées



Pour nos contemporains, la décennie 80 semble un âge d’or. Bruno Lafourcade, à rebours de toute nostalgie vintage, rétablit la vérité : les années Mitterrand furent la matrice de notre cauchemar car elles inaugurèrent la domination des « boomers ». Ce constat n’est pas neuf. La force de ce libelle est de le prendre au tragique car le règne des « boomers », fait unique dans l’histoire, s’exerça sans limite ni partage durant un demi-siècle. Cette ère fut entièrement placée sous le signe de l’hybris : les invariants du politique furent ignorées, la décence et jusqu’à la plus élémentaire logique, bafouées. L’autre atout de cet ouvrage est sa brutalité. Ce n’est pas la énième plainte d’une énième prétendue victime mais un cri de guerre, celui d’une génération, non pas sacrifiée mais cocue, dupée, émasculée, jetée à demi-crevée dans les poubelles de l’histoire. Cette vaillance d’armes, menée à la diable, ne s’embarrasse d’aucune prudence : Lafourcade fonce, cogne, pourfend l’adversaire. Entre autres morceaux de bravoure, saluons sa vigoureuse dénonciation de l’alliance objective du féminisme et de l’Islamisme quand trop d’imbéciles voient encore dans le second un potentiel correctif aux excès du premier. Grâce à Lafourcade, l’honneur est sauf : les « boomers » auront  notre haine. Ils la méritent au centuple.

François GERFAULT

mardi 24 septembre 2019

Kosmo Kino Plaza XV aux Voûtes


Viens voir les musiciens, viens voir les magiciens, qui arrivent...Aux Voûtes, ce jeudi 6 septembre. Et mâtin quels magiciens ! Pour la nouvelle et quinzième édition de Kosmo Kino Plaza, l’association Au-delà du Silence invite Burial Hex, Les Chasseurs de la nuit, CE-KE et Visions à venir envoûter le public des Voûtes pour la rentrée musicale de la salle mythique des anciens frigos de Paris. Une soirée placée sous le signe de l’ambiant rituelle et du post-industriel apocalyptique ce jeudi 6 septembre à partir de 19h30.




Prévente en ligne :



Les Voûtes
19, rue des Frigos




jeudi 19 septembre 2019

Les pervers du PAF



Si les perturbations météorologiques de plus en plus visibles font planer au-dessus de nos fronts inquiets le spectre du dérèglement climatique, l'immuable régularité avec laquelle le cycle des saisons littéraires s'accomplit est propre à nous rassurer. A la manière des tempêtes qui reviennent inlassablement ravager les Tropiques, le monde des lettres connaît lui aussi, à la même période, une saison cyclonique. Celle-ci ne fait cependant pas de victimes, ce n’est qu’une tempête dans un verre d’eau. Un verre d’eau servi au prestigieux Café de Flore, avec un café à cinq euros par un serveur désagréable, mais un verre d’eau tout de même. Cette année l’ouragan qui frappe le microcosme des lettres françaises se nomme Moix. Apparemment c’est un cyclone de force 5 capable de faire souffler les vents mauvais de l’antisémitisme et de déchaîner avec une force jamais vue auparavant les courants du narcissisme et du voyeurisme dans les hautes couches de l’atmosphère littéraire.


Yann Moix a donc commis un roman intitulé Orléans, dans lequel il raconte avoir été un enfant battu et dépeint le tableau cauchemardesque de son enfance martyrisé, entre une mère Folcoche et un père Tenardier. Il faut croire que la mise à mort des géniteurs par voie de littérature est devenue un lucratif fond de commerce. Edouard Louis a rencontré le succès en descendant sa famille de prolos dans En finir avec Eddy Bellegueule en 2014, Yann Moix a décidé de réitérer l’exercice en 2019 avec Orléans. Il ne s’agira pas ici de discuter de la véracité des faits relatés par Moix dans Orléans. La polémique autour du livre a commencé quand les principaux intéressés – le père, la mère, le frère de Yann Moix – ont protesté face au traitement qui leur était réservé dans le vrai-faux roman, de la même manière que la famille d’Edouard Louis avait émis quelques réserves vis-à-vis de la manière dont leur fils les avait traité dans son roman. Les deux ouvrages présentent certaines qualités littéraires. Quant aux querelles de familles, elles sont, comme les viscères, inextricables et vouées à rester cachées. Quand on les étale au grand jour, elles puent et répugnent au commun des mortels. On ne sait par quel bout s’en saisir et on n’y peut trouver aucune vérité. Souhaitons bon courage aux juges qui sont parfois chargés de les examiner de près. Quand un écrivain décide d’étaler ses viscères au grand jour et que la machine médiatique s’empare de la tragédie familiale pour en faire le scandale de la rentrée littéraire, elle n’en devient que plus incompréhensible. Le vrai sujet de l’affaire Moix, c’est Moix lui-même. Yann Moix. Yann MOI. 




Au crapoteux étalage des tourments familiaux c’est ajoutée la révélation des frasques antisémites du jeune Moix. Le 26 août 2019, un article de L’Express a révélé les publications  produites par Yann Moix il y a trente ans, dans un sympathique fanzine antisémite finement nommé Ushoahia, le magazine de l'extrême. Pris dans la tourmente médiatique, l'auteur d'Orléans a courageusement affirmé que, s'il était bien l'auteur des (très mauvaises) caricatures publiées dans Ushoahia, les textes tout aussi affligeants signés « Auschwitz Man » avaient pour auteur trois anciens camarades de Sup de Co. Il ne fait visiblement pas bon être l'ancien camarade de Yann Moix. La défense de l'écrivain s'est effondrée face aux nouveaux documents à charge publiés dans les jours suivants par L'Express et Moix a dû se résoudre à laisser en paix ses anciens camarades de Sup de Co, assumer son lourd passé et reconnaître ses « erreurs de jeunesse ». Après la tragédie familiale romancée et les révélations du passé antisémite, le troisième acte de ce soap opera littéraire et médiatique commençait. Intitulons-le « Yann Moix à la recherche du Grand Pardon ». 

C'est sur le plateau de On n'est pas couché que l'ancien chroniqueur de Laurent Ruquier est venu jouer la scène la plus importante de la comédie de la rédemption pour laquelle, à défaut d'obtenir un jour le prix Goncourt, on lui accordera peut-être le César du meilleur acteur. Face à un Ruquier partagé entre gêne et complaisance et à des invités dont pas un ne semble vraiment au courant de l'affaire ou n'a jeté même un œil sur les fameuses caricatures, Moix surjoue le repentir, clame face caméra que « l'homme de cinquante ans que je suis crache au visage de celui de vingt ans », admet sa faute, bat sa coulpe, endosse le rôle de victime, puis retrouve rapidement ses réflexes de procureur médiatique. Il a fauté, certes, il y a trente ans, mais il s'est repenti et il porte depuis le poids de cette faute qui l'a amené à devenir un justicier, à traquer partout les salauds qui ont failli enfermer le jeune homme de vingt ans mal dans sa peau dans la nasse de l'antisémitisme, du racisme et de la haine. «J’étais un impuissant, j’étais un raté et j’étais un faible. Toute ma vie, j’ai essayé de m’arracher à ce trou noir, à cette espèce d’attraction maléfique. » Le diable s'est emparé il y a trente ans de la plume de Yann Moix, le forçant à écrire, sous la dictée de la dépression les horreurs que d'ailleurs ni Ruquier, ni aucun des invités de l'émission ne prend soin de rappeler. Ce n'est pas Yann Moix qui écrivait en 1989 dans Ushoahia « un noir qui chie, c'est la figure emblématique de la génération spontanée », c'est le mal-être. Et ce mal-être, instrumentalisé par l'extrême-droite, a failli faire de Yann Moix un sale bonhomme. Alors Yann Moix a changé, il a retrouvé le bon en lui, grâce à Bernard-Henri Lévy, « l'ange de lumière » qui lui pardonna de l'avoir traité de « youppin dont le crâne n'a hélas pas été rasé par les amis d'Adolf » et l'arracha à l'emprise de Satan pour l'élever, lui aussi, vers la lumière. Celle des spotlights, celle que Yann Moix révère entre toute. 



Car de la pathétique « affaire » Yann Moix et de son larmoyant repentir télévisuel, répété à l'envi presque mot pour mot à la radio et dans les journaux, ressort le portrait d'un petit arriviste balzacien, prêt à faire feu de tout bois pour obtenir son quart d'heure de gloire littéraire. Accroché aux basques de Marc-Edouard Nabe quand celui-ci profite encore d'une certaine notoriété, faisant sa cour à Dieudonné ou Alain Soral puis répudiant ses anciennes amours pour embrasser enfin la notoriété dont il rêvait, Yann Moix a par la suite endossé avec bonheur l'uniforme du croisé de l'antiracisme, seyant mieux à sa nouvelle carrière d'écrivain et de chroniqueur à succès. Aujourd'hui mis en cause pour ce péché de jeunesse dont il a attendu durant trente ans avec terreur – dit encore Moix avec des larmes dans les yeux – qu'il soit révélé, l'écrivain s'imagine néanmoins au centre d'une nouvelle machination de l'extrême-droite. C'est elle qui a révélé à L'Express l'existence des textes et caricatures d'Ushoahia, c'est elle qui, à travers le scandale, cherche encore une fois à l'atteindre. Et celui qui aide l'extrême-droite à accomplir ses basses œuvres, c'est son frère, Alexandre Moix. CQFD.

Yann Moix n'est pas seulement un ambitieux qui passe d'un mensonge à un autre pour sauver sa carrière. Moix semble bien au contraire croire que cette succession de fables racontées à lui-même et aux autres, de l'antisémitisme hystérique du jeune homme de vingt ans à la croisade obsessionnelle du chevalier de l'antiracisme qui siège trente ans après en procureur du petit écran, tisse un patchwork qui peut passer pour la vérité. Les vrais menteurs ne mentent pas pour cacher la vérité. Ils utilisent la vérité pour camoufler leurs mensonges. Après avoir imploré le pardon, s'être abaissé sans retenue jusqu'aux limites extrêmes de l'humiliation publique, Yann Moix conclut en posant à nouveau en victime et en pointant du doigt un complot d'extrême-droite dirigé contre sa personne. Le tout nappé de moraline télévisuelle et entrelardé des bienveillantes remontrances du père Ruquier compose un ahurissant numéro de repentance médiatique. Pour un peu on imaginerait Ted Bundy se livrant à une séance d'autocritique dans l'URSS de Brejnev.  


Le visage que Yann Moix offre à la critique dans les médias n'est rien d'autre que celui du système médiatique qu'il a embrassé. La rhétorique de Moix est perverse mais elle reflète la perversité de la société spectaculaire qui lui donne asile. Cette société-là cultive un antiracisme pavlovien et très sélectif qui distingue soigneusement ceux qui doivent être condamnés sans pitié et ceux qui bénéficieront de l'absolution médiatique. Au temps où Yann Moix posait encore en justicier du PAF, il s'était attaqué en 2017, sur le plateau d'On est pas couché, à Renaud Camus, accusant l'auteur de Du sens de racisme et d'antisémitisme. Renaud Camus, depuis bien longtemps ostracisé et étiqueté comme écrivain d'extrême-droite, a gagné son procès en diffamation contre Moix en 2018. Aujourd'hui c'est l'auteur d'Orléans qui est dans la tourmente pour de bien plus substantielles raisons que celles qui ont valu sa déchéance à Renaud Camus. Ce dernier, pourtant l'un des écrivains français contemporains les plus talentueux, ne reviendra sans doute jamais de l'exil médiatique. Moix, faiseur brillant, a peut-être plus de chances de s'en tirer à bon compte, quand la tempête dans un verre d'eau se sera apaisée. On verra alors si la sentence de Jean de La Fontaine se vérifie toujours : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »


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lundi 16 septembre 2019

Amusez-vous bien !




Charmé par les petits livres revigorants de Byung-Chul Han (Dans la nuée, Psychopolitique, La société de la fatigue, Le désir ou l’enfer de l’identique, etc.), je me suis précipité sur son dernier essai, au titre accrocheur : Amusez-vous bien ! Du bon divertissement. J’imaginais retrouver le philosophe allemand d’origine coréenne dans son entreprise de déconstruction du néolibéralisme et me délecter de son approche si singulière qui fait résonner les grandes œuvres philosophiques dans le champ de l’observation sociale quotidienne sans s’interdire au passage quelques critiques bien senties vis-à-vis de penseurs à la mode. Une fois n’est pas coutume mais disons-le sans ambages : son dernier essai est bâclé, désordonné, scolaire et en définitive inintéressant.
         Et dieu sait que le sujet méritait une approche approfondie : qu’est devenue la société sinon un immense parc d’attraction ? Dans son avant-propos, Han remarque d’ailleurs que « le divertissement s’élève aujourd’hui au rang de nouveau paradigme, mieux, de nouvelle formule de l’Être ». Pourtant, la démonstration phénoménologique, comme il a l’habitude de la manier avec talent, ne viendra pas. Les deux premiers chapitres se perdent dans des considérations très convenues sur l’évolution de la musique classique et sa lente contamination par l’esprit du divertissement. S’ensuivent des réflexions sur l’Extrême-Orient, des commentaires sur les notions de bonheur chez Kant, des fragments relatifs aux pensées inquiètes et douloureuses de Pascal et de Heidegger, une petite dissertation sur Kafka et, enfin, un panégyrique de l’artiste Robert Rauschenberg. Vous en conviendrez, il est difficile de faire le lien entre les chapitres et encore davantage de trouver le sens de la démonstration. Il faut attendre la conclusion (!) pour que Han nous prévienne que le divertissement est un concept difficile à saisir – on s’en était aperçu…
Il rappelle à cet égard que l’histoire de la notion, celle qui renvoie à la séparation entre le travail et le loisir depuis le XVIIIè, nous aide peu dans la mesure où le divertissement a justement envahi toutes les sphères sociales : infotainment, edutainment, titytainment, etc. Il n’est plus synonyme de temps libre. Au contraire, le divertissement a posé son empreinte sur le monde et s’est immiscé dans le temps lui-même jusqu’à recréer une nouvelle manière de vivre. « La réalité elle-même semble être un effet du divertissement » écrit Han ; sauf que cette phrase qui clôt le propos aurait mérité de l’ouvrir. On attendra, donc, avec un peu moins d’impatience que d’habitude, la publication du prochain ouvrage du philosophe allemand. Il s’appellera Topologie de la violence et sera publié par la petite maison d’édition prometteuse R/N. En espérant que l’adage soit respecté : une fois n’est pas coutume. 



mardi 10 septembre 2019

La decadenza, Fellini





« Fellini nous aventure au milieu de sociétés qui n’ont rien à nous apprendre de définitif sur elles-mêmes, des sociétés de doute, des sociétés non pas de pierre mais de sable et d’alluvions. La société selon Fellini est une société incertaine. D’abord parce que cette société est une société en train de s’écrouler. Corrompue, débauchée, ivre, grimaçante, la société que nous fait voir Fellini est en complète décadence. Mais elle ne l’est pas inconsciemment : il s’agit d’un monde en train de s’interroger, de se tâter, qui hésite avant de mourir. Fellini […] est le plus impitoyable témoin du pourrissement du monde occidental. Le paysage humain qu’il nous montre en mouvement, est à la fois la plus terrible et la plus grotesque caricature de la société des hommes. Bestiaire plutôt qu’étude humaine, elle nous montre tous les types de groins et de mufles dans toutes les situations : prostituées, déesses, androgynes, succubes, ecclésiastiques hideux, militaires abominables, parasites, artistes, faux poètes, faux prophètes, hypocrites, assassins, menteurs, jouisseurs, tous réels et tous méconnaissables, enfermés dans leur propre enfer, et perpétrant leurs crimes mécaniques sans espoir d’être libres, sans espoir de survie. En deçà de la parole, en deçà de l’amour et de la conscience, ils semblent les derniers survivants d’une catastrophe incompréhensible, prisonniers de leur zoo sans spectateurs. Cette société maudite est la nôtre, nous n’en doutons pas. »
Jean-Marie Gustave Le Clezio