« Fellini nous
aventure au milieu de sociétés qui n’ont rien à nous apprendre de définitif sur
elles-mêmes, des sociétés de doute, des sociétés non pas de pierre mais de
sable et d’alluvions. La société selon Fellini est une société incertaine.
D’abord parce que cette société est une société en train de s’écrouler.
Corrompue, débauchée, ivre, grimaçante, la société que nous fait voir Fellini
est en complète décadence. Mais elle ne l’est pas inconsciemment : il s’agit
d’un monde en train de s’interroger, de se tâter,
qui hésite avant de mourir. Fellini […] est le plus impitoyable témoin du
pourrissement du monde occidental. Le paysage humain qu’il nous montre en
mouvement, est à la fois la plus terrible et la plus grotesque caricature de la
société des hommes. Bestiaire plutôt qu’étude humaine, elle nous montre tous
les types de groins et de mufles dans toutes les situations : prostituées,
déesses, androgynes, succubes, ecclésiastiques hideux, militaires abominables,
parasites, artistes, faux poètes, faux prophètes, hypocrites, assassins,
menteurs, jouisseurs, tous réels et tous méconnaissables, enfermés dans leur
propre enfer, et perpétrant leurs crimes mécaniques sans espoir d’être libres,
sans espoir de survie. En deçà de la parole, en deçà de l’amour et de la
conscience, ils semblent les derniers survivants d’une catastrophe
incompréhensible, prisonniers de leur zoo sans spectateurs. Cette société
maudite est la nôtre, nous n’en doutons pas. »
Jean-Marie Gustave Le Clezio
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