samedi 21 mars 2020

Comment je suis devenu fasciste en moins d'une semaine



En fait je l'étais déjà un peu avant. Mais de manière irrégulière, sans trop y accorder d'importance, sans rigueur en somme. Un peu comme le bon Paulhan, l'ex-directeur de la NRF qui avouait, avec une inconstance de maîtresse italienne, n'être « pas fâché qu’il me faille être démocrate le matin, l’après-midi aristocrate et le soir royaliste (ou fasciste, si vous aimez mieux – c’est ici tout un). » Depuis que le confinement a commencé, je m'y suis mis avec sérieux. Je me lève à 4h du matin. Je fais des pompes, je lis, je travaille, je télétravaille, je lis, je fais des pompes, je télétravaille, je travaille et pour me détendre je m'entraîne à la boxe comme un nazi dans la cour. Evidemment, j'ai toujours Julius Evola à portée de main, c'est mon manuel de développement personnel à moi. Mais tout ceci ne suffit cependant pas pour me faire devenir ce que je suis et me faire basculer corps et âme dans le fascisme. Il fallait quelque chose de plus.


  

Hier, il a fallu aller faire des courses. J'avais fait quelques réserves, de quoi passer la semaine, mais à l'annonce du confinement, je n'ai pas procédé comme cette raclure dont la vidéo tourne en ce moment sur Internet et qui filme fièrement les paquets de pâtes, de riz, de semoule, les centaines de boîtes de conserve, de viande, de légumes, de pois chiche et les rangées de bouteille d'huile qui encombrent son appartement de la cuisine au salon en passant par la chambre des gamins. Je lui souhaite avec cordialité de crever d'une occlusion intestinale dans un bain de merde et au milieu de ses paquets de pâtes, comme Piccoli dans La grande bouffe en version Contagion



Je suis donc sorti de chez moi avec cette réjouissante scénette en tête et dans ma poche l'attestation sur l'honneur certifiant bien que je partais faire des courses non loin de chez moi. C'est étonnant ce concept d'attestation sur l'honneur à une époque où la quasi-totalité de la population est devenue parfaitement étrangère à la notion d'honneur. L'attestation sur l'honneur ça aurait pu encore faire foi dans les années 50, 60 à la rigueur mais aujourd'hui comment voulez-vous faire confiance à quelqu'un qui vous tend une « attestation sur l'honneur » et dans la plupart des cas n'a pas la moindre idée de ce que ça peut bien vouloir dire. 

Ce n'est pas grave. Un peu plus de paperasse ou un peu moins, on n'est plus à ça près en France. Si cela peut au moins amener les gens à faire preuve de discipline me dis-je encore en ouvrant la porte de l'immeuble... Le battant de la porte s'ouvre sur une joggeuse qui descend à petite foulée la rue baignée dans la douce luminosité d'un mois de mars déjà printanier. Même le masque qui dissimule une partie de son visage ne parvient pas à ternir l'éclat de ses yeux rieurs et celui de son body zébré de mauve quand elle m'évite d'un souple bond et continue sa course légère sur le trottoir. Un peu plus loin au bout de la rue, je vois quelques promeneurs qui s'avancent, paisibles. Ce que je découvre quand je débouche sur l'artère commerçante – c'est-à dire celle qui comporte une supérette et un Picard – me sidère. Depuis quatre jours, j'ai cru comme un idiot que la France était à l'arrêt. J'ai bien entendu parler ici et là de quelques écarts. J'ai même été plutôt irrité d'entendre Emmanuel Macron faire la leçon aux Français le lundi alors qu'il a laissé les municipales s'organiser le dimanche. Je réintègre soudain la réalité. Celle de la France de 2020. Les joggeurs et les vélos passent en tous sens. La plupart portent des masques, même ceux qui filent sur leurs deux roues. Devant moi une racaille se baguenaude, mains dans les poches, satisfait et conquérant, et largue un mollard épais en plein milieu du trottoir. Trois ados passent bras dessus bras dessous, ipod vissés dans les oreilles, en rigolant. Pas un flic à l'horizon. J'imagine qu'ils ont autre chose à faire. Ils ont en effet sûrement autre chose à faire que contrôler tous ses connards qui prennent le soleil tranquillement en se félicitant d'être en vacances de si bonne heure. 


(Merci à Romaric pour la photo)

Rentré à la maison, j'apprends en écoutant la radio ou en discutant avec quelques parents ou amis au téléphone que dans toute la France, c'est la fête au village. Untel, qui a sa résidence secondaire du côté de la Bretagne sud, a déclaré qu'il irait à la plage parce « qu'on ne va quand même pas se priver de plage à cause du confinement ». Ceux-là organisent des barbecues géants avec leurs potes. Ceux-ci ont dévalisé les masques dans les pharmacies. Celle-là va faire les courses tous les jours mais appelle quand même à la radio pour savoir à quelle distance elle doit se tenir pour ouvrir la porte à la femme de ménage. Et ce n'est même pas la peine d'évoquer les « territoires perdus » où le confinement s'est perdu comme la République dans le triangle des Bermudes du vivre-et-penser-ensemble-comme des porcs. Je repense à ce petit bobo devant moi lundi dernier en train de négocier sa place avec son pote dans le convoi le rapatriant en Province où, peut-être, il pourra aller à la plage parce « c'est pas le confinement qui va nous priver de plage. » 

Le soir venu, je suis surpris par la clameur qui s'élève soudain à l'extérieur : applaudissements, sifflets, cris, il y a même une corne de brume. Tous les gens se massent au balcon à l'appel du #onapplaudit, en hommage au personnel soignant. Ca se passe comme ça dans toute la France, chaque jour à 20h. Si je faisais partie en ce moment du personnel soignant, je serai je crois un peu écoeuré de devoir supporter le soir cet étalage de guimauve aux fenêtres et croiser le matin des joggeurs ou des cycliste le visage barré d'un masque chirurgical. Et je remarque qu'il n'y a pas de hashtag #onapplaudit pour les femmes de ménage, les éboueurs, les caissiers, les caissières et tous ceux à qui ont demande de continuer à assurer le service minimum dans une France qui n'est pas à l'arrêt pour tout le monde. C'est à ce moment-là je crois, en entendant les insupportables piaillements de la bonne conscience festiviste, que je suis devenu pour de bon un bon gros fasciste. Je ne sais pas si je me réveillerai à nouveau démocrate un matin. 





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