En
fait je l'étais déjà un peu avant. Mais de manière irrégulière, sans trop y
accorder d'importance, sans rigueur en somme. Un peu comme le bon Paulhan,
l'ex-directeur de la NRF qui avouait, avec une inconstance de maîtresse
italienne, n'être « pas fâché qu’il me faille être démocrate le matin,
l’après-midi aristocrate et le soir royaliste (ou fasciste, si vous aimez mieux
– c’est ici tout un). » Depuis que le confinement a commencé, je m'y suis
mis avec sérieux. Je me lève à 4h du matin. Je fais des pompes, je lis, je
travaille, je télétravaille, je lis, je fais des pompes, je télétravaille, je
travaille et pour me détendre je m'entraîne à la boxe comme un nazi dans la
cour. Evidemment, j'ai toujours Julius Evola à portée de main, c'est mon manuel
de développement personnel à moi. Mais tout ceci ne suffit cependant pas pour
me faire devenir ce que je suis et me faire basculer corps et âme dans le
fascisme. Il fallait quelque chose de plus.
Hier,
il a fallu aller faire des courses. J'avais fait quelques réserves, de quoi
passer la semaine, mais à l'annonce du confinement, je n'ai pas procédé comme
cette raclure dont la vidéo tourne en ce moment sur Internet et qui filme
fièrement les paquets de pâtes, de riz, de semoule, les centaines de boîtes de
conserve, de viande, de légumes, de pois chiche et les rangées de bouteille
d'huile qui encombrent son appartement de la cuisine au salon en passant par la
chambre des gamins. Je lui souhaite avec cordialité de crever d'une occlusion
intestinale dans un bain de merde et au milieu de ses paquets de pâtes, comme
Piccoli dans La grande bouffe en version Contagion.
Je suis donc
sorti de chez moi avec cette réjouissante scénette en tête et dans ma poche
l'attestation sur l'honneur certifiant bien que je partais faire des courses
non loin de chez moi. C'est étonnant ce concept d'attestation sur l'honneur à
une époque où la quasi-totalité de la population est devenue parfaitement
étrangère à la notion d'honneur. L'attestation sur l'honneur ça aurait pu
encore faire foi dans les années 50, 60 à la rigueur mais aujourd'hui comment
voulez-vous faire confiance à quelqu'un qui vous tend une « attestation
sur l'honneur » et dans la plupart des cas n'a pas la moindre idée de ce que
ça peut bien vouloir dire.
Ce
n'est pas grave. Un peu plus de paperasse ou un peu moins, on n'est plus à ça
près en France. Si cela peut au moins amener les gens à faire preuve de
discipline me dis-je encore en ouvrant la porte de l'immeuble... Le battant de
la porte s'ouvre sur une joggeuse qui descend à petite foulée la rue baignée
dans la douce luminosité d'un mois de mars déjà printanier. Même le masque qui
dissimule une partie de son visage ne parvient pas à ternir l'éclat de ses yeux
rieurs et celui de son body zébré de mauve quand elle m'évite d'un souple bond
et continue sa course légère sur le trottoir. Un peu plus loin au bout de la
rue, je vois quelques promeneurs qui s'avancent, paisibles. Ce que je découvre
quand je débouche sur l'artère commerçante – c'est-à dire celle qui comporte
une supérette et un Picard – me sidère. Depuis quatre jours, j'ai cru comme un
idiot que la France était à l'arrêt. J'ai bien entendu parler ici et là de
quelques écarts. J'ai même été plutôt irrité d'entendre Emmanuel Macron faire
la leçon aux Français le lundi alors qu'il a laissé les municipales s'organiser
le dimanche. Je réintègre soudain la réalité. Celle de la France de 2020. Les
joggeurs et les vélos passent en tous sens. La plupart portent des masques, même
ceux qui filent sur leurs deux roues. Devant moi une racaille se baguenaude,
mains dans les poches, satisfait et conquérant, et largue un mollard épais en
plein milieu du trottoir. Trois ados passent bras dessus bras dessous, ipod
vissés dans les oreilles, en rigolant. Pas un flic à l'horizon. J'imagine
qu'ils ont autre chose à faire. Ils ont en effet sûrement autre chose à faire
que contrôler tous ses connards qui prennent le soleil tranquillement en se
félicitant d'être en vacances de si bonne heure.
Rentré à la maison, j'apprends en écoutant la radio ou en discutant avec quelques parents ou amis au téléphone que dans toute la France, c'est la fête au village. Untel, qui a sa résidence secondaire du côté de la Bretagne sud, a déclaré qu'il irait à la plage parce « qu'on ne va quand même pas se priver de plage à cause du confinement ». Ceux-là organisent des barbecues géants avec leurs potes. Ceux-ci ont dévalisé les masques dans les pharmacies. Celle-là va faire les courses tous les jours mais appelle quand même à la radio pour savoir à quelle distance elle doit se tenir pour ouvrir la porte à la femme de ménage. Et ce n'est même pas la peine d'évoquer les « territoires perdus » où le confinement s'est perdu comme la République dans le triangle des Bermudes du vivre-et-penser-ensemble-comme des porcs. Je repense à ce petit bobo devant moi lundi dernier en train de négocier sa place avec son pote dans le convoi le rapatriant en Province où, peut-être, il pourra aller à la plage parce « c'est pas le confinement qui va nous priver de plage. »
(Merci à Romaric pour la photo)
Rentré à la maison, j'apprends en écoutant la radio ou en discutant avec quelques parents ou amis au téléphone que dans toute la France, c'est la fête au village. Untel, qui a sa résidence secondaire du côté de la Bretagne sud, a déclaré qu'il irait à la plage parce « qu'on ne va quand même pas se priver de plage à cause du confinement ». Ceux-là organisent des barbecues géants avec leurs potes. Ceux-ci ont dévalisé les masques dans les pharmacies. Celle-là va faire les courses tous les jours mais appelle quand même à la radio pour savoir à quelle distance elle doit se tenir pour ouvrir la porte à la femme de ménage. Et ce n'est même pas la peine d'évoquer les « territoires perdus » où le confinement s'est perdu comme la République dans le triangle des Bermudes du vivre-et-penser-ensemble-comme des porcs. Je repense à ce petit bobo devant moi lundi dernier en train de négocier sa place avec son pote dans le convoi le rapatriant en Province où, peut-être, il pourra aller à la plage parce « c'est pas le confinement qui va nous priver de plage. »
Le
soir venu, je suis surpris par la clameur qui s'élève soudain à
l'extérieur : applaudissements, sifflets, cris, il y a même une corne de
brume. Tous les gens se massent au balcon à l'appel du #onapplaudit, en hommage
au personnel soignant. Ca se passe comme ça dans toute la France, chaque jour à
20h. Si je faisais partie en ce moment du personnel soignant, je serai je crois
un peu écoeuré de devoir supporter le soir cet étalage de guimauve aux fenêtres
et croiser le matin des joggeurs ou des cycliste le visage barré d'un masque
chirurgical. Et je remarque qu'il n'y a pas de hashtag #onapplaudit pour les
femmes de ménage, les éboueurs, les caissiers, les caissières et tous ceux à
qui ont demande de continuer à assurer le service minimum dans une France qui
n'est pas à l'arrêt pour tout le monde. C'est à ce moment-là je crois, en
entendant les insupportables piaillements de la bonne conscience festiviste, que
je suis devenu pour de bon un bon gros fasciste. Je ne sais pas si je me réveillerai
à nouveau démocrate un matin.
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