Pour accompagner la France en vacance,
les idiots vous proposent une petite série estivale qui célèbre les choses
simples de la vie que nous aimons tant : l’apéritif, le farniente,
l’amitié, la médisance des soirs d’été, la moiteur des peaux brûlées, la beauté
des noyades salvatrices, l’étalement des corps obèses, etc.
-
Alors les enfants ça va bien ?
Prune,
rivée à son portable, les airpods vissés sur les oreilles, ignora
totalement la question. Benjamin daigna émettre un borborygme
inarticulé sans lever les yeux de sa Nintendo Switch. La voiture
filait sur la route déserte. Le soleil baignait l’habitacle et la
chaleur intense du dehors se faisait sentir malgré la climatisation.
-
Vous n’avez pas trop chaud derrière ?
-
Non, p’pa, ça va.
Toujours
aucune réponse de Prune. Benjamin se chargeait des relations
diplomatiques avec les parents.
-
Vous avez suffisamment à boire ? Il faut penser à bien vous
hydrater.
-
Oui p’pa. Tout va bien.
Armand
jeta un coup d’oeil dans le rétroviseur pour tenter d’établir
un contact visuel avec ses enfants. Il ne parvint à entrapercevoir
que la tête blonde de Benjamin, penché sur sa console.
-
Tu joues à quoi Benji ?
-
A Manhunt
p’pa.
-
Aaaaaah ! Oldies but goodies ! Je vois que tu te maintiens
au niveau mon fils !
-
Oui p’pa.
Un
sourire satisfait rayonnait sur le visage aux traits harmonieux
d’Armand, beau quadragénaire qu’une barbe de trois jours
négligée avec soin rendait, selon les dires d’Apolline, son
épouse, « plus sexy que David Beckham et Kit Arrington
réunis ». Armand réajusta ses lunettes à fine monture et la
position de ses mains sur le volant.
-
Et Prune ? Elle dort ?
-
Non, p’pa, elle est sur Snap et elle écoute de la musique.
Un
filet d’imprécations haineuses et de riffs de guitare rageurs
s’échappa de l’airpod brièvement décroché par Prune de son
oreille.
-
Pas sur Snap, flocon de neige, sur Chatroulette. Snap, c’est pour
les boloss comme toi.
-
Chuis pas un boloss !
-
Prune, je t’ai déjà dit de surveiller ton langage !
-
Oui maman, pardon.
Prune
raccorda derechef son tympan au pandémonium musical vomi par
l’airpod. Apolline se retourna et adressa un sourire radieux à sa
fille aînée. Elle posa une main amoureuse sur la cuisse de son
mari.
-
Tu ne devrais pas t’arrêter un peu Armand ? Les enfants
auraient besoin de se dégourdir les jambes.
-
Oui ma chérie, tu as raison. Il faut être prudents, nous roulons
depuis plus de deux heures. Une petite pause s’impose !
Armand
pointa du doigt un panneau qui annonçait une aire de repos à
quelques centaines de mètres et positionna le véhicule pour
emprunter la voie d’accès.
L’aire
d’autoroute était sommaire et comportait, pour tout
équipement, trois tables en béton et un bloc sanitaire. Elle
semblait déserte mais quand Armand gara le SUV sur l’emplacement
le plus proche des
tables,
l’occupant de la fourgonnette garée à l’opposé du parking, en
partie dissimulée par le bloc sanitaire, ne manqua pas de remarquer
les nouveaux arrivants. Il saisit son sac à dos sur le siège
passager, ouvrit et referma avec précaution la portière et se
glissa sans bruit dans les bois qui entouraient la petite aire
d’autoroute.
-
Allez les enfants ! On sort les affaires pour le pique-nique !
Le
petit Benjamin bondit hors de l’habitacle, Prune émergea en
soupirant et traîna les pieds jusqu’à un banc de béton,
s’affalant de manière tragique sur la table de camping. Armand la
rejoignit bientôt et disposa quelques victuailles à côté de sa
fille. Benjamin le suivait en gambadant, une gourde d’eau à la
main.
-
PRUNE ELLE FAIT RIEN !
-
Prune tu peux nous aider un peu s’il-te-plaît ?
La
jeune fille poussa à nouveau un soupir à fendre l’âme et se
releva avec peine. Apolline, qui arrivait avec deux paquets de
Doritos et un tupperware rempli de guacamole, tapota l’épaule de
sa fille en signe d’encouragement.
-
Allez Prune, un peu de bonne volonté s’il-te-plaît.
Armand
jeta un regard éperdu d’amour et d’admiration à sa femme,
lumineuse dans sa petite robe d’été rouge vif.
Le compliment qu’il voulut lui adresser mourut sur ses lèvres
quand il aperçut la figure hirsute qui venait d’émerger des bois
et se tenait juste derrière
Benjamin et Prune, près de la table de camping.
-
Alors les bourges, on est en vacances ?
L’homme
était crasseux. Il avait un visage torve mangé par une longue barbe
noire qui rehaussait le cruel éclat des prunelles sombres enfoncées
dans les replis sales d’un visage prématurément ridé. Il tenait
à la main ce qui ressemblait à un pistolet automatique noir qu’il
braquait d’un bras tremblant sur les différents membres de la
famille. Son regard glissa avec gourmandise sur la silhouette
gracieuse d’Apolline et le crop top rose fluo au décolleté
aguicheur de Prune. Une flamme s’alluma dans son regard.
-
On va bien s’amuser ensemble vous allez voir...Toi la pute !
Viens par là ! Et toi le gendre idéal tu te mets à genoux les
mains sur la tête !
Armand
s’exécuta sans émettre la moindre protestation tandis qu’Apolline
se dirigeait calmement vers l’homme. Arrivée face à lui elle se
tourna vers Armand avec un sourire plus radieux encore que de
coutume.
-
Quelle chance nous avons mon chéri ! Ce monsieur conviendra à
merveille pour la fête !
A
genoux, Armand affichait lui aussi un sourire extatique.
-
Il est parfait ma chéri ! C’est un véritable don du ciel !
Dieu est avec nous ! Les enfants s’il-vous-plaît ?
Sans
plus de formalité, Prune souleva sa brassière, offrant
sa poitrine au
regard effaré de l’homme. Interloqué, il n’eut pas le temps de
réaliser que le jouet d’enfant que Benjamin venait de sortir de la
poche de son petit blouson n’était pas un jouet. La décharge du
taser le jeta à terre, le
dos arqué et les bras repliés griffant l’air comme un t-rex en
pleine crise d’épilepsie. Armand se releva tranquillement et
rejoignit sa femme et ses enfants qui entouraient l’homme à terre,
râlant, bavant et fouettant le sol de ses talons. Les effluves
nauséabonds qui parvinrent à leurs narines avertirent la famille
que la décharge électrique, en plus de la paralysie, avait entraîné
un autre type de réaction physiologique, moins douloureux mais plus
humiliant. Prune remit son top en place en plissant les narines de
dégoût. « Beeeeehh », fit Benjamin en rangeant son
taser dans sa poche. Armand ébouriffa les cheveux blonds de Benjamin
et passa un bras protecteur autour des épaules de sa fille.
-
Bravo les enfants. Benjamin, tu te sers à merveille de ton cadeau
d’anniversaire. Et toi Prune, tu as su tout de suite tirer profit
de la situation et utiliser les faiblesses de l’adversaire. Votre
mère et moi nous sommes fiers de vous.
Benjamin
avait les yeux brillants et Prune rougit.
-
Je me suis rappelée de Dragon
Ball
papa. Quand Bulma montre ses seins à Tortue Géniale pour le faire
saigner du nez sur le loup-garou invisible.
-
Et moi je regarde toujours la scène dans Manhunt
avec
le taser ! C’est pour ça que j’en voulais un !
Armand
promenait sur les membres de sa famille un regard de pur amour.
-
Grâce à vous les enfants, notre fête de fin de vacances sera une
réussite complète ! Vous êtes les meilleurs enfants que des
parents puissent rêver d’avoir ! Vous avez mérité une
petite récompense pendant que maman va se charger du monsieur.
Encore
paralysé et à demi-étouffé, Thierry Dumollard, dit « Le
tueur de l’autoroute des vacances », qui tenait depuis cinq
ans police et gendarmerie en échec, vit du coin de l’oeil la douce
et blonde Apolline sortir du coffre une hache d’incendie dont le
manche peint en rouge était élégamment assorti à sa robe d’été.
Armand souleva avec peine une lourde glacière qu’il déposa sur le
bitume du parking.
-
Il reste encore un peu de ta correspondante allemande, Prune. Mais,
avant ça : surprise et régal pour tout le monde pour le
pique-nique !
Armand
leva le couvercle de la glacière, remplie de restes humains de
toutes sortes. Il en émergeait une main bleuie et la tête coupée
d’une jeune fille dont le visage encore déformé par la terreur
était en partie couvert de petits cônes glacés à l’emballage
bleu.
-
OUUAAAAIS DES CORNETTOS ! s’exclamèrent en choeur Prune et
Benjamin.
-
A la vanille ! Mes préférés ! rugit Benjamin en piochant
un cornet à demi collé par la glace à la chevelure blonde de
Renate, l’ex-correspondante allemande de Prune.
Armand
et Apolline échangèrent un regard charmé et complice. Puis
Apolline mit définitivement fin à la carrière de Thierry Dumollard
d’un puissant coup de hache qui fracassa sa boîte crânienne.
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