mardi 16 février 2021

Suprémacistes, les gourous de la droite identitaire ?

 

         Tout est dans le titre : Suprémacistes, l’enquête mondiale chez les gourous de la droite identitaire ; difficile de faire plus accrocheur et plus trompeur puisque quasiment aucun des enquêtés ne se reconnaît dans une notion forgée par les services de renseignement et propagée par les médias anglo-saxons à la suite d’un lexique déjà très riche en la matière : l’« extrême droite radicale », l’« extrémisme ultra-droite », la « nouvelle radicalité de droite », le « nativism », le « populisme violent », etc.

 

 

L’auteur, Philippe-Joseph Salazar, avoue que ce titre putassier lui a été soufflé par sa maison d’édition quoiqu’il le reprenne à son compte et le justifie dans son introduction ; mieux, l’expression la plus appropriée lui semble être « racisme intégral » pour définir une idéologie « qui intègre la race comme facteur décisif d’une réflexion sur le politique ». On s’attend, donc, à retrouver un aréopage de néo-nazis et autres racialistes qui campent effectivement sur des positions suprématistes. Or, il n’en est rien ; il s’agit plutôt d’une série d’entretiens avec des intellectuels qui gravitent autour d’une droite culturelle et identitaire et qui tiennent le plus souvent des positions éloignées voire opposées les unes aux autres. De même, l’enquête qui se veut « mondiale » laisse accroire qu’il existerait une sorte d’« internationale blanche » prête à fondre sur le pouvoir quand la plupart des personnes rencontrées disent leur perplexité à l’égard de l’action violente et avouent leur impossibilité de se rejoindre sur des positions communes. 

On le sait, l’extrême-droite est un sujet porteur pour ceux qui aiment à se faire peur, tout particulièrement dans les salles de rédaction et chez les plus de 60 ans biberonnés au gauchisme soixante-huitard. Autant dire que sur ce point, l’ouvrage déçoit : les affreuses chemises brunes se révèlent bien pâles ! L’auteur lui-même en convient à plusieurs reprises tant ses rencontres se déroulent dans une atmosphère conviviale et autour de discussions qui mettent l’accent sur des points somme toute classiques et finalement assez peu ultra-droitiers : la nécessité d’un combat culturel à défaut de disposer d’une vraie puissance politique, l’inquiétude devant l’augmentation de l’immigration, le besoin de transmettre une connaissance qui dépasse les logiques purement marchandes, etc. Certes, deux ou trois excités (sur une dizaine d’entretiens) se laissent aller à des propos plus ethniques, comme par dépit et par défi face à une société qui leur échappe complètement.

         L’autre problème du livre réside justement dans cette compilation foutraque qui voit se côtoyer la carpe et le lapin. Le comble étant un chapitre consacré à la cinéaste Cheyenne-Marie Caron dont l’échange de messages avec l’auteur démontre qu’elle n’a rien à faire parmi les « gourous identitaires » – bien qu’elle y soit quand même, dans l’ouvrage ! Salazar, qui se présente toujours comme un intellectuel français, non sans une forme d’imbécile crânerie, ne porte pas beaucoup plus d’attention à ses concitoyens. Le chapitre consacré à la Nouvelle droite française, avec le compte-rendu expéditif d’un entretien avec François Bousquet, est tout simplement grotesque. Ainsi, la Nouvelle Librairie ressemblerait « plus à un mausolée égyptien (…) qu’à une base avancée de guérilleros culturels » tandis qu’Alain de Benoist, dont l’influence est pourtant reconnue, ne serait qu’un intellectuel compassé[1]. Salazar lui préfère largement Guillaume Faye qui, il est vrai, correspond davantage au titre de son livre et qui compte, en outre, beaucoup plus de « vu » sur YouTube ! Le chapitre consacré à Renaud Camus n’est guère plus convaincant : l’expression « Grand remplacement » parcourt tout le livre, à juste titre étant donné son succès médiatique, mais ne fait l’objet d’aucune analyse approfondie quand l’auteur se retrouve face à son concepteur. Il s’agit davantage d’une prise de contact cordial mais qui, étrangement, n’est suivie d’aucune autre conversation. 

 


         En vérité, Salazar est beaucoup plus à l’aise avec les activistes américains surtout lorsque ces derniers livrent un combat essentiellement numérique : chaîne YouTube, blogs, revues en ligne, communauté virtuelle, etc. Il faut dire que l’auteur est un excellent rhétoricien[2] mais se révèle un piètre philosophe et un quasi-ignorant de l’histoire et de la sociologie. Aussi perçoit-il avec une grande acuité la nouvelle ère numérique dans laquelle les idées politiques ne sont plus des concepts mais des « montages opportunistes » aspirés par les vents de l’actualité et par la frénésie des clics. Les jeunes Youtubeurs interviewés comme Greg Johnson et Keit Woods sont censés faire preuve de créativité en mélangeant les références pour lancer sur la toile des fragments choisis, des concepts simplifiés et des images mobilisatrices pour atteindre un large public – la fameuse viralité des réseaux. Peu importe le sens, l’incantation païenne côtoie les discours contre-révolutionnaires pour déboucher sur des positions suprémacistes bien confuses, comme l’illustrent parfaitement les tenues et les postures des factieux du capitole.

         Sur ce point, Salazar touche au plus près d’un phénomène contemporain dont la supposée extrême dangerosité laisse tout de même perplexe. Certes, le « magasin d’idées » de la droite identitaire semble bien rempli mais relève davantage du patchwork improbable que de l’élaboration doctrinale. Le courant « nordiciste » américain doit par exemple beaucoup plus à la série Viking qu’à la lecture des textes indo-européens ! Les deux entretiens les plus intéressants de l’ouvrage (avec les allemands Martin Lichnetz, Caroline Sommerfeld et Götz Kubitscheck) démontrent justement que ce sont les ancrages locaux, le tissage des liens culturels et la transmission d’un savoir être qui forment encore aujourd’hui les bases d’un combat politique de long terme et non pas le nombre de clics et de vus qui s’égrènent dans une communauté anonyme, virtuelle et sans lendemain.

Autrement dit, l’internationale blanche ou brune relève davantage du fantasme numérique que de la réalité politique. Quand on sait que chez Freud, le fantasme est la manifestation plus ou moins consciente d’un désir, l’on comprendra que l’extrême-droite demeure le meilleur ennemi des systèmes libéraux qui, dans leurs tournants autoritaristes, en agitent l’épouvantail pour effrayer les esprits critiques. Mais n’est pas gourou qui veut ! 

 


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[1] L’attitude de Salazar à l’égard d’Alain de Benoist est difficile à comprendre : d’un côté, il reconnaît sa stature intellectuelle ainsi que son influence à l’échelle internationale et, de l’autre, il se moque de son esprit encyclopédique et de son positionnement complexe qui ne peut pas être réduit à l’étiquette « suprémaciste », loin s’en faut.

[2] A cet égard, on lira avec intérêt ses articles mises en ligne sur le site : https://www.lesinfluences.fr/_Philippe-Joseph-Salazar-644_.html

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