L'âge qui vient angoisse Emile, au point qu'il nous a proposé
cette caricature de lui-même. Nous en sourions mais n'en croyons rien bien sûr
: Emile est le plus taciturne, le plus sec, le plus vigoureux d'entre-nous.
Mais il est toujours plus prudent de prendre Emile au sérieux, surtout quand il
s'angoisse, aussi avons-nous accepté de publier son poème :
La force de l’âge
(caricature)
Il n’est qu’un tronc, - ou plutôt, une
barrique
vissées aux côtés, deux minces tiges :
ses bras
un peu plus bas : pattes à panards
de jour, rubicond, il plastronne,
pontifie
de nuit, blême, il enrage en bandant
mou
Retrouvez Emile Boutefeu dans le dernier Idiocratie, le numéro Moins Deux !
Depuis le début de la semaine, vous
pouvez également trouver le dernier numéro d'Idiocratie à la librairie
"1909" qui, après un déménagement et de longs mois de confinement, a
réouvert au 5 rue Dahomey dans le 11ème arrondissement.
Cette librairie spécialisée dans
l'underground littéraire et musical, propose une sélection de pièces rares et
de curiosités qui enchantera les collectionneurs d'étrangetés. A signaler que
la librairie accueillera des évènements et expositions dès que le contexte
sanitaire le permettra.
Au
début de la séquence sanglante des attentats en tous genres qui, depuis bientôt
sept ans, ensanglantent le pays, quand, le 20 décembre 2014, un individu
attaquait avec un couteau le commissariat de Joué-lèsTours (Indre-et-Loire), et
blessait trois policiers avant d’être neutralisé, médias et politiques usaient
encore à tout va d'un nouvel élément de langage, attribuant les attaques à des
'déséquilibrés', afin de marteler que jamais, non jamais, ces actes violents
n'avaient eu le moindre rapport avec l'Islam, religion de paix et d'amour.
Après quelques centaines de morts et face à un débordement d'amour
incontrôlable, il fallut bien appeler les déséquilibrés par leur nom –
djihadistes ou islamistes – et admettre, petit à petit, attentats après
attentats, que oui, alors, peut-être que, on pouvait admettre que, puisque les
terroristes avaient la mauvaise habitude de s'encourager d'un cordial
« Allahu Akbar » au moment de commettre leurs tueries, il était
possible que ces actes de violence et ses assassinats aient un tout petit peu à
voir avec l'islam même si on n'était pas tout à fait sûr. Aujourd'hui, le
gouvernement a changé son fusil d'épaule et notre Ministre de l'Intérieur
fustige tant qu'il peut les dérives de l'islam identitaire, au point de faire
passer Marine Le Pen pour une baba-cool multikulti quand
il débat avec elle de l'immigration et de l'islam. Mais quelle que soit la
position affichée par nos représentants politiques, en fonction de la proximité
des prochaines élections présidentielles, l'islam politique ne désarme pas et
le djihadisme rampant continue à ramper tant qu'il peut jusqu'au seuil de nos
chaumières.
Comment faire dans cette
situation désespérée ?
Une fois de plus
Idiocratie vous apporte, chers lecteurs, la solution.
Un peu de modestie. La
solution a été trouvée depuis fort longtemps par un géant du cinéma français,
qui nous a quitté trop tôt, depuis 18 ans bientôt, le 23 mai 2003. Il s'agit de
Jean Yanne et de son immortel chef d'oeuvre Les Chinois à paris.
En 1974, Jean Yanne imagine, dans Les Chinois à Paris, une
Europe envahie par l'armée chinoise. La France ne tarde pas à être victime à
son tour du nouvel envahisseur et, après avoir rapidement délivré un message
d'encouragement à ses concitoyens, le Président de la République incarné par
Bernard Blier s'embarque au plus vite dans le dernier avion en partance pour
New-York, laissant le pays face au nouvel occupant et les Français partagés
comme d'habitude entre passivité, collaboration ou résistance. Le personnage
incarné par Jean Yanne lui-même dans le film choisit très nettement les
avantages procurés par la collaboration et s'évertue à entretenir les
meilleures relations avec le nouveau maître chinois. Mais pour finir, alors que
les autorités maoïstes cherchent à éradiquer la résistance qui s'organise face
à l'invasion, notre profiteur de guerre a l'idée de génie de proposer aux
intransigeants dirigeants chinois de faire de la France une sorte de réserve,
une enclave livrée au libertinage et à l'esprit de jouissance, afin d'offrir au
monde le spectacle d'un pays qui n'aura pu être sauvé de sa déliquescence
morale par l'entreprise régénératrice de la révolution mondiale. Il s'agit de
conserver, dans un monde enfin tout entier ouvert à la vérité profonde du
maoïsme, une enclave de barbarie capitaliste qui offrira au monde le
contre-exemple parfait d'une nation rongée par la décrépitude morale, face à
l'harmonie globale et au bonheur éternel apporté par le maoïsme.
Évidemment,
en 1974, il s'agissait surtout pour Jean Yanne de se foutre de la gueule des
post soixante-huitards et de tous les abrutis qui, à l'instar de Philippe
Sollers, Jean-Paul Ribes et bons nombres d'universitaires, artistes et
intellectuels, se sont agenouillés dans les années 1970 devant la « pensée Mao
Tsé-toung » avant que le méchant système capitaliste qu'ils honnissaient leur
offre de confortables maroquins et la possibilité de continuer à jouir sans
entrave tout en devenant des gens respectables. Aujourd'hui, malheureusement,
Philippe Sollers et Jean-Paul Ribes sévissent encore tandis que Jean Yanne nous
a quitté. Mais il nous aura au moins livré la clé du bonheur avant d'abandonner
ce monde, où la France fait face à des périls qui, admettons-le, sont
insurmontables.
Il est évident que notre pays qui s'est vautré trop longtemps dans
le confort et la décrépitude morale, n'est plus aujourd'hui que l'ombre de ce
qu'il fut. Patrie du libertinage, de la laïcité et des grèves à répétition, la
France est une constante insulte à la rectitude morale de nos fiers
djihadistes, qui ne supportent plus de voir un peuple de franchouillards
dégénérés s'empiffrer en toute impunité de cassoulet et de gros rouge et avoir
l'outrecuidance de laisser ces ignobles manipulatrices perverses que sont les
françaises exposer en toute occasion leur chair impie pour mettre constamment à
l'épreuve les bons croyants et autoriser de plus, péché suprême, ces femelles
dévoyées à s'exprimer en public, avec les cheveux dénoués en plus. Ces fiers
combattants de la Vraie Foi sont rejoints dans leur juste combat par les
courageuses et courageux représentant.e.s du féminisme et de la gauche wok qui
pensent que la féminisation à outrance du corps féminin est une insulte à la
féminitude et qu'il serait temps de mettre en place une sorte de théocratie du
Politiquement Correct pour mettre un terme à cette insupportable sexualisation
qui pervertit les rapports hommes-femmes.
La solution
est en réalité fort simple. Laissons ces courageu.s.es combattant.e.s de la
Vraie Morale aménager le monde selon les principes infiniment sages du
Prophète, loué soit Son Nom, ou selon les vertus de la religion
non-cisgenre-féministe-LGBTQZ+C3POR2D2, ou même selon les principes
incontestables de la pensée Xi Xinping, peu importe en fait, qui gagne à la
fin.
L'important
c'est que, dans le prochain régime totalitaire idiocratique mondial qui nous
attend, la France puisse faire office de contre-exemple offert à l'éducation
des masses, et constituer une sorte de réserve dans laquelle on continuera à
tolérer tous les comportements déviants, les micro-agressions en tous genres,
la consommation d'alcool et de nourriture hallal, les femmes qui s'exhibent et
qui parlent trop fort, les blagues de mauvais goût et les propos offensants.
Les nouveaux bâtisseurs du monde mettront l'univers en coupe réglée comme le
veut la volonté du prophète ou bien celle de Caroline de Haas et, dans ce
paradis islamiste, néoféministe ou néomaoïste, la France deviendra une sorte de
zone interdite livrée à la corruption, au patriarcat blanc dévergondé, aux
femmes impures et à tous les épouvantails que brandissent nos nouveaux
totalitarismes. Leurs grands prêtres nous observeront avec mépris, leurs
fidèles détourneront pudiquement le regard. Leurs théoricien.ne.s ne voudront
même pas évoquer le nom de cette contrée perdue pour l'humanité.
Les Idiocrates aiment la farce mais
de mauvais goût, potache, sinistre, brutale, médiévale, calomnieuse,
scandaleuse, décourageante pour les meilleures volontés; la farce qui salit,
souille les justes causes comme les bonnes réputations; la farce qui nous entraîne,
sans retour possible, loin, très loin de toute velléité d'humour bon enfant.
Jean-Noël Jeanneney :
Vous avez
déniché un texte assez surprenant où Hitler dit : « Au cas où, par
malheur, notre entreprise millénaire rencontrerait un échec, cela fera de
magnifiques ruines. »
Johann
Chapoutot :
De telle sorte
que, dans le programme architectural nazi confié tout d’abord à Troost puis à
Speer – puisque Troost meurt en 1934 –, le ruinisme est un programme,
la ruine est déjà prévue, voire désirée, c’est-à-dire que Hitler demande à
Speer de construire des édifices avec des matériaux et une architectonique tels
que les ruines de ces édifices ressembleront à des ruines romaines. Speer
s’exécute, il construit des essais, les fait dynamiter, puis fait ensuite des
croquis en les recouvrant de lierre et les présente à Hitler, qui est très
content puisque, de fait, les ruines de ces édifices ressemblent à des
ruines romaines. Autrement dit, ce qui est important avant tout, c’est le Reich
de mille ans, mais, une fois que ce Reich de mille ans n’est plus possible – et
Goebbels le dit très explicitement au printemps 1945 –, ce qui compte
désormais c’est un mythe de mille ans pour les siècles des siècles.
Dans l’Antimanifeste, nous avons dressé la cartographie spirituelle du
royaume des idiots, qui flottait dans les espaces de l’imaginal, pour l’opposer
à l’emprise matérialiste de l’idiocratie, qui se répandait à la surface du
monde – les simples d’esprit contre l’orgueil des sachants. En guise de filiation
secrète, le prince Mychkine et Don Quichotte se disputaient le droit d’explorer
le monde pour se découvrir anéantis par celui-ci, tandis qu’à l’autre bout du
spectre Beckett se moquait de ces êtres qui ne sont qu’une « poussière de
verbe, sans fond où se poser ». Il y a toujours un vide quelque part, où
tomber. Les imbéciles mystiques ne le savent que trop bien : Machrab titube
tout le long des sentes de l’Anatolie, Li Po s’émerveille des cimes tremblantes
la tête dans le fossé, Ma’Arrî se perd pas dans l’éternelle nuit noire, Pessoa
attend la diligence de l’abîme, etc. Nous avions oublié dans cette galerie des
âmes les pas légers du pauvre Yunus qui dansent parmi les astres. Lui,
marchait, brûlant, brûlant, barbouillé de sang, ni sage ni fou, et se tournait
vers nous, souriant, pour dire : « Vois ce que l’amour a fait de moi ».
Pour lui rendre hommage, du royaume où il vagabonde, comme l’oiseau sort de sa
cage, nous entendons ces poèmes enlevés, et trinquons à son feu, « comme
ivres de l’élixir d’éternité ».
*****
A nouveau tu es ivre, Yunus
Dans le cœur des saints
le
roi a ouvert boutique
Combien d’hommes y sont passés
puis comme nous repartis
Les saints ont pris leur vol
franchi
les montagnes, les plaines
Au chaudron de l’amour ils ont bouilli
et voici qu’ils sont cuits
Les affaires de ce monde
sont
comme un corps souillé
Les chiens se jettent sur l’ordure
l’ami du Vrai
s’enfuit
Qui ne s’est abandonné
est-il
un amoureux
Celui seul qui supporte le blâme
on peut dire
qu’il sait aimer
« Ah, Yunus, te voici ivre encore
« tu as
le visage de Taptuk
« A son cœur tu t’es désaltéré
« vois,
une gorgée a suffi à t’enivrer »
*****
J’ai vu le visage de l’Aimé
Ah, mon Ami, dans l’océan de ton amour
entrer,
sombrer – danser
Les deux mondes un seul espace
mener la ronde
– danser
Entrer dans l’océan, sombrer
ni
un ni deux, ni ceci ni cela
Rossignol au jardin de l’Ami
cueillir des
fleurs – danser
Beau rossignol chanter
saisir
les cœurs, gagner les âmes
La tête blottie dans ma main
offert à ton
chemin – danser
Beau rossignol tomber
combien
de cœurs lui conduirai
Mon visage doucement vers la terre
le mener avec
amour- danser
J’ai vu le visage de l’Aimé
goûté
la saveur de la rencontre
Ah, l’abandonner enfin cette ville
du mien, du
tien – danser
Yunus est un perdu d’amour
des
malheureux le plus démuni
Elle est en Toi ma guérison
simplement demander
– danser
******
Ces
deux poèmes sont tirés de Yunus Emre, Les
Chants du pauvre Yunus, traduit du turc et présenté par Gérard Pfister,
Arfuyen, 2004.
Pour
aller plus loin, on ne saurait que trop conseiller Les poèmes spirituels de Yumus Emre, traduction de Paul Ballanfat,
dans la superbe collection « Théôria » dirigée par Paul-Marie Sigaud,
L’Harmattan, 2020.