dimanche 7 mars 2021

Les Chants du pauvre Yunus

 

Dans l’Antimanifeste, nous avons dressé la cartographie spirituelle du royaume des idiots, qui flottait dans les espaces de l’imaginal, pour l’opposer à l’emprise matérialiste de l’idiocratie, qui se répandait à la surface du monde – les simples d’esprit contre l’orgueil des sachants. En guise de filiation secrète, le prince Mychkine et Don Quichotte se disputaient le droit d’explorer le monde pour se découvrir anéantis par celui-ci, tandis qu’à l’autre bout du spectre Beckett se moquait de ces êtres qui ne sont qu’une « poussière de verbe, sans fond où se poser ». Il y a toujours un vide quelque part, où tomber. Les imbéciles mystiques ne le savent que trop bien : Machrab titube tout le long des sentes de l’Anatolie, Li Po s’émerveille des cimes tremblantes la tête dans le fossé, Ma’Arrî se perd pas dans l’éternelle nuit noire, Pessoa attend la diligence de l’abîme, etc. Nous avions oublié dans cette galerie des âmes les pas légers du pauvre Yunus qui dansent parmi les astres. Lui, marchait, brûlant, brûlant, barbouillé de sang, ni sage ni fou, et se tournait vers nous, souriant, pour dire : « Vois ce que l’amour a fait de moi ». Pour lui rendre hommage, du royaume où il vagabonde, comme l’oiseau sort de sa cage, nous entendons ces poèmes enlevés, et trinquons à son feu, « comme ivres de l’élixir d’éternité ».

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           A nouveau tu es ivre, Yunus

 

Dans le cœur des saints

         le roi a ouvert boutique

Combien d’hommes y sont passés

         puis comme nous repartis

 

Les saints ont pris leur vol

         franchi les montagnes, les plaines

Au chaudron de l’amour ils ont bouilli

         et voici qu’ils sont cuits

 

Les affaires de ce monde

         sont comme un corps souillé

Les chiens se jettent sur l’ordure

         l’ami du Vrai s’enfuit

 

Qui ne s’est abandonné

         est-il un amoureux

Celui seul qui supporte le blâme

         on peut dire qu’il sait aimer

 

« Ah, Yunus, te voici ivre encore

         « tu as le visage de Taptuk

« A son cœur tu t’es désaltéré

         « vois, une gorgée a suffi à t’enivrer »

 

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        J’ai vu le visage de l’Aimé

 

Ah, mon Ami, dans l’océan de ton amour

         entrer, sombrer – danser

Les deux mondes un seul espace

         mener la ronde – danser

 

Entrer dans l’océan, sombrer

         ni un ni deux, ni ceci ni cela

Rossignol au jardin de l’Ami

         cueillir des fleurs – danser

 

Beau rossignol chanter

         saisir les cœurs, gagner les âmes

La tête blottie dans ma main

         offert à ton chemin – danser

 

Beau rossignol tomber

         combien de cœurs lui conduirai

Mon visage doucement vers la terre

         le mener avec amour- danser

 

J’ai vu le visage de l’Aimé

         goûté la saveur de la rencontre

Ah, l’abandonner enfin cette ville

         du mien, du tien – danser

 

Yunus est un perdu d’amour

         des malheureux le plus démuni

Elle est en Toi ma guérison

         simplement demander – danser

 

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         Ces deux poèmes sont tirés de Yunus Emre, Les Chants du pauvre Yunus, traduit du turc et présenté par Gérard Pfister, Arfuyen, 2004.

 


         Pour aller plus loin, on ne saurait que trop conseiller Les poèmes spirituels de Yumus Emre, traduction de Paul Ballanfat, dans la superbe collection « Théôria » dirigée par Paul-Marie Sigaud, L’Harmattan, 2020.

 


 

 



 

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