Dans L’homme qui penche, Thierry Metz raconte son séjour en hôpital psychiatrique pour une cure de désintoxication alcoolique. C’est un journal de bord sans évènements. C’est aussi le compte-rendu d’une mue intérieure, la dernière avant le suicide de l’auteur. L’ouvrage rassemble quelques poèmes en prose très brefs, moins d’une dizaine de lignes pour la plupart, composés de phrases simples juxtaposées, telles des bribes de paroles arrachées à l’aphasie. Aucun pathos, aucune révolte mais la placidité de qui sait que pour les larmes il est déjà trop tard.
Durant cette cure Thierry Metz fait preuve de bonne volonté, se ménage un espace habitable pour se consacrer à sa mission : renoncer à l’alcool, “redevenir un homme d’eau et de thé”. Il devine que ce sera difficile “je dois tuer quelqu’un en moi même si je ne sais pas trop comment m’y prendre”. L’alcool, c’est la fureur de rompre avec la vie commune, la complaisance dans l’opprobre, l’appel du gouffre ; l’hôpital, une astreinte au vide, à la fadeur ; une sociabilité tiède et encadrée, une errance paisible mais obligatoire sur une surface plane bordée de verre. Grâce aux comprimés les heurts sont indolores. Restent l’écho de quelques chocs, le souvenir engourdi d’anciennes blessures, le rappel en rêve de drames passés. Toute la journée, Metz évolue en “somnambule extra-lucide”*, noue quelques contacts, joue le jeu, participe. Dans la mesure du possible car “ Ce n’est qu’un lieu d’approche, pas de rencontre”. Et puis, partout il va “avec l’autre, celui qui voit tout : le buveur”.
La lecture de Thierry Metz suscite à chaque fois la même impression : d’abord, ce style paraît gauche, puis l’on se ravise : il est la pudeur, la délicatesse même. Il est également d’une grande rigueur. Prose non pas appliquée mais méticuleuse, d’une condensation extrême. Son auteur reste le manoeuvre économe de ses efforts, qui, la précision pour seul orgueil, s’attache patiemment à viser juste, du premier coup. Comme s’il craignait de ne pouvoir saisir ses rares états d’âme, rescapés évanescents du traitement chimique administré chaque jour.
L’homme qui penche appartient pleinement à la poésie, mais pourrait voisiner avec ces écrits en prose que sont Récit secret de Drieu la Rochelle ou Mars de Fritz Zorn, dont chacun rend compte des derniers pas d’un homme avant la chute. Livres essentiels qui seraient, s’ils en soupçonnaient l’existence, la grande peur des bien-portants. Témoignages miraculeux d’une sorte de lucidité qui toujours précède le pire.
François GERFAULT
* Roger Martin du Gard au sujet de Drieu la Rochelle
"Je ne me lasse pas d’observer ces visages. D’y mêler le mien.
Rien pourtant n’éloigne plus que cette proximité. L’homme qui penche est un être encordé. Encordé mais pas lié."
"Aucun baiser le soir. Aucune tendresse. Le lit, les comprimés. l’avant-goût de pourrir sur un tas de feuilles mortes.
Il y avait pourtant de quoi faire.
Il était une fois..."
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